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L’enquête

Cherche urgentistes désespérément

L’enquête | publié le : 09.02.2016 | C. C.-C.

Les urgentistes ont obtenu, par la grève, une réforme de leur temps de travail : ils passeront désormais moins de temps auprès du patient. Un casse-tête pour les hôpitaux, déjà confrontés à des problèmes de recrutement.

À l’hôpital, le temps de travail médical est lui aussi en chantier. Depuis le 1er mai 2015, les internes ne travaillent plus que 10 demi-journées au lieu de 11. À Noël 2014, les urgentistes se sont mis en grève et ont obtenu une réduction de leur temps de travail : il devra être décompté en heures, et la limite légale de 48 heures hebdomadaires devra être répartie entre 39 heures de travail “clinique posté” auprès du patient, et 9 heures de travail “non posté”, c’est-à-dire consacré aux réunions de service, à l’écriture de protocoles de prise en charge, à la recherche, etc.

« La réalité, c’est plutôt 60 à 70 heures hebdomadaires dans les services d’urgence. Il fallait mettre un frein à cette dérive ; les urgentistes sont exténués, en particulier quand ils avancent en âge », explique Stéphane Bourgeois, délégué régional en Provence-Alpes-Côte d’Azur de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf). Les urgentistes sont en effet pris en tenaille par une double contrainte : le manque de médecins, qui touche toutes les spécialités, et l’augmentation croissante de la fréquentation des urgences, de 5 % par an en moyenne. Aux urgences du centre hospitalier d’Avignon, dont Stéphane Bourgeois est le chef de service, « il y avait 23 000 passages annuels en 1993, nous en sommes aujourd’hui à 60 000. Côté effectifs, nous sommes passés de 18 à 23 postes en équivalent temps plein. La pénibilité du travail est donc beaucoup plus forte. Et les mentalités évoluent : nos jeunes collègues ne veulent plus de ce rythme de travail d’enfer. Cette réforme doit redonner de l’attractivité à notre discipline. »

Pénurie

La Fédération hospitalière de France (FHF), qui représente les directions d’établissement, a fait très vite part de son inquiétude. Elle estime que cette réforme revient à « neutraliser 20 % du temps de travail des urgentistes ». Marie Houssel, responsable du pôle RH, s’interroge : « Si l’effectif actuel ne permet pas d’assurer la continuité des soins sans dépasser les 39 heures de temps clinique posté, comment assurer le delta ? Est-on en capacité de recruter des urgentistes alors qu’il y a déjà des postes vacants et que les hôpitaux sont soumis à des plans d’économies ? Avec cet accord, on crée de la pénurie. » La FHF a finalement obtenu que la réforme se mette en place de « manière progressive » dans les établissements où la situation est la plus tendue.

L’instruction ministérielle est parue le 10 juillet dernier. Un travail de concertation a débuté dans chaque région au sein de conseils techniques régionaux des urgences, auxquels participent l’Agence régionale de santé, les directeurs d’établissement et les syndicats. En Paca, « nous commençons par un état des lieux des postes non pourvus et des recrutements nécessaires », raconte Stéphane Bourgeois. La situation des urgences d’Avignon est déjà difficile : « Aujourd’hui, quatre postes sont vacants. Avec la réforme, il en manque onze, explique le chef de service. Et la situation est encore plus difficile pour les établissements les moins attractifs. » La réflexion est donc menée à l’échelle du groupement hospitalier de territoire (GHT), une nouvelle structure administrative issue de la loi de santé de 2015, qui contraint les hôpitaux d’un même territoire à se regrouper et à collaborer. Autour de l’hôpital d’Avignon, trois autres hôpitaux constituent le GHT : ceux de Cavaillon, d’Apt et de Carpentras.

Pour faire tourner son service d’urgences, l’hôpital de Carpentras avait recours, il y a encore 18 mois, à « un tiers d’intérimaires, raconte son directeur Alain de Haro. Nous avons pu mettre fin à cette situation en ayant recours à des praticiens partagés entre Avignon et Carpentras ». Mais avec cette réforme, Carpentras doit recruter 3,5 postes d’urgentistes supplémentaires. « Cela représente un budget conséquent de 120 000 euros par an et par poste, explique le directeur. Et tous les hôpitaux vont vouloir recruter en même temps, alors que la démographie des urgentistes est très contrainte. Face aux hôpitaux de Marseille, nous aurons du mal en termes d’attractivité », constate-t-il, fataliste. Et ce n’est qu’une étape, admet Stéphane Bourgeois : « D’autres spécialités font aussi beaucoup de garde, comme l’anesthésie réanimation ou la pédiatrie. Dans les mois à venir, elles aussi vont revendiquer de travailler un peu moins. »

Auteur

  • C. C.-C.