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Sur le terrain

Retour sur… La création d’une mission de médiation à Orange

Sur le terrain | publié le : 26.01.2016 | Rozenn Le Saint

En janvier 2011, après la vague de suicides qui a frappé l’entreprise de télécom, la direction avait mis en place une cellule pour intervenir en cas d’extrême urgence. Prévue pour être temporaire, elle trouve toujours son utilité comme “béquille” managériale.

La mission nationale de soutien et de médiation créée à la suite des suicides qui ont marqué France Télécom dans les années 2008-2009 a été l’une des réponses à la crise sociale. Aujourd’hui, le DRH ne souhaite pas s’en passer : « À l’origine, nous imaginions qu’il lui faudrait autour de deux ou trois ans pour résoudre le “stock” de situations de salariés en grande difficulté. Je ne dis pas qu’elle sera permanente, mais elle durera tant qu’elle sera utile en soutien managérial », confie Bruno Mettling, le DRH du groupe.

La cellule étudie toujours environ cinq dossiers par mois. « Elle est allée plus loin que ce que peuvent faire les RH pour résoudre des situations difficiles individuelles, et elle a parfois permis la mise en place de solutions collectives », reconnaît également Patrick Ackermann, qui était délégué syndical central SUD lors de la création de la mission. Elle a notamment mis en place des outils spécifiques comme les mobilités solidaires : quand des salariés en grande souffrance ont besoin par exemple de se rapprocher géographiquement de leur famille, elle leur permet de rejoindre une autre affectation en neutralisant les impacts du changement de poste.

Des erreurs managériales évitées

Alors qu’à l’époque, sa première mission consistait à gérer des cas d’extrême urgence, elle a évolué depuis vers une forme d’accompagnement du management. « Au départ, nous pensions que la médiation transférerait son expertise, ses enseignements et ses compétences aux managers et aux services RH, qui devaient se réapproprier ses outils », relate Bruno Mettling. Cela n’a pas été entièrement le cas, mais ne signifie pas pour autant l’échec de la médiation. Depuis sa mise en place, des erreurs managériales sont évitées : « La mission fait progresser collectivement l’entreprise. En cas de défaillance professionnelle, elle a accompagné les managers afin qu’ils puissent adopter des décisions appropriées beaucoup plus rapides et graduelles, avant d’envisager des sanctions lourdes », assure le DRH.

Le président de la mission, extérieur à Orange, condition sine qua non de neutralité et de légitimité, avait été nommé dès janvier 2011. Jean-François Colin, ancien DRH de la SNCF et d’Air France, est toujours en poste, épaulé par deux autres professionnels des ressources humaines, ainsi que des psychologues, des assistants sociaux et des juristes. En tout, le budget de la mission est de 270 000 euros par an (frais de consultants et d’accompagnement psychosocial). « Cela paraît tout à fait raisonnable par rapport aux coûts de la disqualité sociale induits par les situations bloquées depuis des années », justifie le DRH.

Les organisations syndicales se sont également davantage approprié le dispositif. Alors qu’un an après sa création, elles étaient seulement à l’origine de 10 % des saisines, elles en réalisent 25 % à présent. Les DRH d’unité le sont à 75 %. Avec ce système de filtre, aucun abus de saisines dans le but de court-circuiter la hiérarchie – sans avoir échangé entre salariés et managers au préalable – n’a été relevé. « Au départ, je craignais que le fait d’autoriser les DSC à saisir la médiation n’ouvre une boîte de Pandore. Finalement, ce n’est pas du tout le cas. Ils n’essaient pas de contourner les règles classiques, ils jouent le jeu et sont facilitants quand ils accompagnent les salariés », témoigne Jean-François Colin.

350 situations gérées

Depuis sa création, la mission a géré 350 situations, « qui concernent en majorité les fonctionnaires de plus de 50 ans, dont la durée de carrière a multiplié les insatisfactions », remarque le médiateur. Il traite essentiellement des problèmes de retour à l’emploi après un long arrêt maladie avec la difficulté de trouver une affectation ; des différends à propos de l’application de la réglementation du droit du travail ; des refus de salariés de se soumettre aux règles de l’entreprise ; et de l’éloignement de personnes en arrêt maladie, qui ont du mal à supporter que le lien social se distende.

La proportion de cas non résolus a diminué, passant d’un tiers en 2012 à un sur dix aujourd’hui. « Il s’agit de situations avec des personnalités complexes, qui mettent en souffrance les collectifs et le management : les risques psychosociaux sont contagieux… », indique Jean-François Colin. « Nous intervenons quand le management classique n’a pas trouvé de solution. Les cas sont tellement compliqués qu’il arrive qu’une situation que nous pensions résolue se réveille, que des salariés que nous croyions réinsérés posent de nouveau problème trois ou quatre ans après », témoigne le président de la mission. L’idée est de réintroduire de l’écoute là où « les systèmes RH ont pour effet de mettre de la distance, avec des entretiens annuels d’évaluation parfois perçus comme une agression », relève-t-il.

Alors qu’à la création de la cellule, des managers avaient soulevé des craintes de se voir dépossédés de leur mission, l’enquête réalisée fin 2013 auprès de 190 DRH de divisions, responsables RH, managers et médecins du travail montre que neuf sur dix estiment qu’elle renforce le management dans ses actions, et seulement 4 % ont exprimé un sentiment d’inéquité et de remise en cause des managements locaux. Dans l’ensemble, ils sont très satisfaits des apports de la médiation : l’échange quand la situation est bloquée, la prise de recul et le regard neuf et neutre permettent de sortir de l’impasse et de reprendre un dialogue rompu.

Auteur

  • Rozenn Le Saint