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L’interview

Étienne Colin : «  Généraliser le référendum en entreprise revient à y affaiblir les syndicats »

L’interview | publié le : 15.12.2015 | Pauline Rabilloux

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Étienne Colin : «  Généraliser le référendum en entreprise revient à y affaiblir les syndicats »

Crédit photo Pauline Rabilloux

Le référendum en entreprise peut sembler à première vue une expression légitime de la démocratie dans l’organisation, puisqu’il revient à demander directement leur avis aux salariés sur les sujets qui les concernent. Pourtant, revenant à court-circuiter les syndicats, il affaiblirait considérablement la démocratie sociale.

E & C : On parle de plus en plus souvent de l’opportunité de consulter les salariés par référendum. Pouvez-vous préciser dans quel contexte juridique ?

Étienne Colin : La consultation des salariés par référendum n’est pas nouvelle. Les syndicats sont d’abord libres de l’utiliser informellement pour connaître l’avis des salariés avant de négocier avec les directions d’entreprise. En droit positif ensuite, la mise en place d’accords d’entreprise par consultation directe du personnel est prévue par les articles L. 2332-21-1 et L. 2232-27 du Code du travail dans certaines situations : en l’absence de délégués syndicaux dans les entreprises de 50 salariés au moins, ou en l’absence de délégués du personnel désignés comme délégués syndicaux dans les entreprises de moins de 50 salariés. Dans ces cas d’espèce, les organisations syndicales représentatives peuvent mandater un représentant du personnel ou, à défaut de candidats parmi ceux-ci, un salarié de l’entreprise pour négocier un accord collectif dans le cadre d’une négociation déterminée. L’accord alors signé n’acquerra la valeur d’accord collectif de travail qu’après avoir été approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés. L’accord conclu avec un représentant du personnel mandaté pourra porter sur tout sujet de négociation collective, tandis que celui conclu avec un salarié mandaté portera, en principe, sur des thèmes de négociation dérogatoire – principalement le temps et l’organisation du travail.

Peut-on étendre le champ du référendum au-delà de ce cadre légal strict ?

Demander l’avis des salariés sur tel ou tel point les concernant au premier chef semble frappé au coin du bon sens. Puisque ce sont eux qui devront subir ou bénéficier des changements, ce serait à eux de décider. Mais ce raisonnement revient à calquer des mécanismes de la démocratie politique sans considérer les spécificités de la démocratie sociale. Dans la vie politique, le référendum est l’expression ultime de la démocratie, d’ailleurs limitée au niveau national et à certains domaines : le peuple souverain décide. Dans l’entreprise, la logique est très différente, puisque les salariés ne sauraient être assimilés au “souverain” de la sphère citoyenne. Ils sont par ailleurs dans un lien de subordination à l’employeur, qui est au fond le seul détenteur du pouvoir. Or seuls les syndicats, parce qu’ils ont cette qualité représentative qui dépasse l’entreprise, peuvent imposer une norme au-delà de leurs membres. C’est leur représentativité qui donne le pouvoir aux organisations syndicales de signer des accords collectifs qui vont s’appliquer à tous les salariés.

Les voix des salariés d’une entreprise, même majoritaires, n’ont pas de qualité qui leur permet d’imposer une norme aux minoritaires. Le recours au référendum sans aucune intervention d’une organisation syndicale représentative ne permettrait pas d’imposer le résultat à tout le personnel, à l’opposé de l’objectif poursuivi.

Existe-t-il un risque pour les syndicats ou pour les salariés ?

Le recours à l’argument démocratique pour justifier la généralisation du référendum en entreprise constitue en fait une idée pervertie de la démocratie. D’une part, on l’a vu, les salariés ne peuvent représenter qu’eux-mêmes – quid des futurs embauchés, de ceux qui ne sont pas d’accord ? – ; d’autre part, on ne peut pas considérer qu’ils choisiraient librement, puisque le prétendu choix qu’on leur propose serait souvent inexistant.

Demander par exemple aux salariés de choisir entre travailler davantage ou être licenciés relève d’une technique qu’on ne saurait accepter sur un plan démocratique. Les travailleurs n’adhéreraient alors pas tant à la proposition qu’ils fuiraient la menace de perte d’emploi. Au demeurant, il s’agirait d’un choix tronqué, puisque l’employeur resterait libre de licencier, quel que soit le résultat du référendum, en vertu du principe de prohibition des engagements perpétuels. Le principal but poursuivi par les promoteurs du référendum en entreprise est de revenir sur la présence syndicale, soit plus de quarante ans en arrière. Chacun peut comprendre que, si les syndicats n’ont plus une vocation naturelle à négocier et à signer les accords collectifs, alors ils seront privés de leur principale raison d’être dans les entreprises, et en sortiront mécaniquement. Tel est le but, inavoué, de ceux qui appellent à une généralisation du référendum : la désyndicalisation de l’entreprise.

Faut-il en conclure qu’il s’agirait d’une piste qui affaiblirait la démocratie sociale ?

Tout à fait. La démocratie sociale présente des richesses que n’offre pas la démocratie politique dans le champ des relations du travail. Elle permet d’introduire dans l’entreprise un intérêt qui dépasse l’intérêt individuel des salariés, qui est celui du travailleur en général. Le syndicat permet de le soustraire à sa seule condition individuelle pour le faire exister en tant que salarié-citoyen dans le monde du travail. La représentation syndicale donne sa consistance à la démocratie dans l’entreprise, les deux sont d’ailleurs historiquement indissociables, en France comme dans tous les pays démocratiques. À cet égard, la rhétorique sur la prétendue faible représentativité des syndicats, qui sert à justifier le recours au référendum, est largement erronée.

Au nom de quoi jugerait-on de la légitimité des syndicats à l’aune du nombre de salariés syndiqués, alors que la loi fonde la représentativité syndicale sur les suffrages exprimés en faveur des organisations syndicales aux élections professionnelles, et que le taux de participation à ces élections est d’environ 65 % ? Aurait-on l’idée de contester la légitimité des partis politiques en se fondant sur leur nombre d’adhérents, bien inférieur à celui des travailleurs syndiqués ? Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. Cette maxime illustre le discours ambiant sur le syndicalisme, porteur de graves menaces sur la démocratie sociale, et donc sur la démocratie tout court.

Étienne Colin avocat et enseignant

Parcours

→ Étienne Colin, avocat, enseigne le droit du travail à l’université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense. Depuis février 2013, il est associé au sein du cabinet Parienté & Associés où il a en charge les relations collectives de travail : droit syndical, négociation collective, représentation du personnel, restructurations et PSE.

Lectures

→ Il faut sauver le droit du travail, Pascal Lokiec, Odile Jacob, 2015.

→ La Gouvernance par les nombres (cours au Collège de France 2013-2014), Alain Supiot, Fayard, 2015.

Auteur

  • Pauline Rabilloux