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LA SEMAINE

Des représentants du personnel SOUS TENSION

LA SEMAINE | publié le : 09.06.2015 | Virginie Leblanc

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Des représentants du personnel SOUS TENSION

Crédit photo Virginie Leblanc

La moitié des représentants du personnel se déclarent exposés à un stress avéré ou sévère. C’est l’un des enseignements de l’enquête du groupe Alpha, qui décortique la spécificité de l’exposition des IRP à ce risque.

« Les experts auprès des CE et des CHSCT sont régulièrement confrontés à des élus en souffrance. Nous avons perçu l’émergence croissante du sujet et constaté que très peu de travaux lui avaient été consacrés, relate Claire Blondet, chargée d’études du Centre études & prospective (CEP) du groupe Alpha. Alors même que les élus et les mandatés peuvent jouer un rôle clé dans l’amélioration des conditions de travail et la prévention des risques psychosociaux de l’ensemble des salariés. »

Or, à la lecture des résultats de l’enquête(1) menée par Secafi et le CEP, il serait temps de se préoccuper de la situation. 50 % des représentants du personnel font état d’un stress décompensé, c’est-à-dire pour lequel ils ne trouvent plus les ressources nécessaires pour faire face. 55 % d’entre eux affirment ressentir au moins un symptôme ayant un lien probable avec leur mandat. L’étude souligne notamment l’importance de troubles du sommeil (55 %), de la sensation de mal-être (38 %) et de la fatigue persistante (36 %).

Des facteurs de surexposition

La confrontation à la souffrance des salariés figure parmi les facteurs de surexposition importants : 47 % des représentants ont dû accompagner des salariés dans le cadre d’une procédure individuelle de licenciement, 39 % ont connu une restructuration ou importante réorganisation de l’entreprise, et 20 % des répondants ont été confrontés à un suicide ou à une tentative de suicide d’un salarié. « 20 %, c’est énorme, remarque Claire Blondet, difficile dans ces situations extrêmes de prendre de la distance pour se protéger. D’autant que, lors de nos entretiens en face à face, nous avons nettement perçu que les représentants du personnel étaient parfois atteints du syndrome du sauveur. »

Pour décrypter les spécificités de l’exposition aux RPS de ces salariés mandatés, l’étude a retenu et adapté la grille d’analyse du collège d’expertise Gollac (intensité et temps de travail ; exigences émotionnelles ; autonomie ; rapports sociaux au travail ; conflits de valeurs ; insécurité de la situation de travail). Ainsi, sur le sujet des rapports sociaux au travail, l’enquête souligne que le mandat permet d’élargir son champ de relations sociales, mais c’est aussi un facteur d’isolement pour 39 % des répondants. « Lors des absences des élus s’ils ne sont pas remplacés, les collègues peuvent avoir plus de travail et parfois mal comprendre et percevoir le rôle de l’élu, remarque Claire Blondet. De plus, le mandat complique aussi la relation hiérarchique de proximité, au moins au début. »

Forte charge de travail

En outre, « l’activité du salarié à laquelle s’ajoute l’exercice de sa fonction de représentant du personnel génère une forte charge de travail, qui n’est souvent pas compensée par les heures de délégation, souligne Gérald Magallon(3), médecin du travail au service de santé au travail interentreprises de Gap (Hautes-Alpes) et membre du groupe régional de prévention des RPS. De plus, avec les évolutions rapides du monde du travail, ils sont directement confrontés à la notion de complexité qui augmente leur charge psychique. Sans compter les évolutions nombreuses qu’ils doivent suivre concernant le Code du travail ».

De fait, 62 % des élus estiment que le temps réellement consacré à leur mandat est supérieur à celui alloué par l’entreprise. « La question des moyens n’est pas seulement celle de disposer de plus de moyens, mais de pouvoir réellement les utiliser. De nombreux élus nous ont dit ne pas être en mesure de le faire faute de pouvoir adapter leur charge de travail », souligne Claire Blondet.

Injonctions paradoxales

Gérald Magallon pointe aussi la difficulté des représentants du personnel à disposer des moyens de faire un travail de qualité, d’autant que « leurs valeurs sont fortes et ils sont souvent confrontés à des injonctions paradoxales internes, par exemple lorsqu’ils sont persuadés qu’il faudrait agir dans un sens, mais vont dire à leurs collègues tout autre chose car ils n’ont pas obtenu la solution souhaitée ».

Pour pallier cette surexposition des élus aux RPS, l’étude dessine trois pistes de prévention. « Les formations syndicales constituent un temps fort pour les élus, elles leur permettent de confronter leurs expériences avec leurs pairs, de prendre du recul, c’est une sorte de ‘soupape de sécurité’ », affirme Claire Blondet. Bénéficier d’un accord de droit syndical dans son entreprise est un deuxième point d’appui mis en avant, à condition qu’il soit respecté… Troisième ressource citée par les répondants : le soutien d’une union syndicale.

Gérald Magallon signale que les élus peuvent prendre appui sur la médecine du travail, mais, regrette-t-il, « il existe encore un déficit de qualité dans la relation entre les services de santé au travail et les représentants du personnel. Nous avons encore l’image d’une médecine patronale. Tandis que, de leur côté, les employeurs nous sollicitent souvent trop tard car ils ont l’impression que nous sommes les défenseurs des salariés… Nous intervenons davantage en réparation qu’en prévention. »

Autre élément d’appui que mentionne Claire Blondet : être aidé et soutenu par son environnement personnel, un item qui ne ressort que pour les hommes. « Les femmes vont vivre l’articulation avec leur vie personnelle de façon plus compliquée », précise la chargée d’études. Et elles sont également plus exposées au mal-être que les hommes (43 % contre 30 %).

1) Réalisée à partir de 20 entretiens qualitatifs et de 3 868 réponses de représentants du personnel à un questionnaire en ligne.

2) Collège d’expertise coordonné par Michel Gollac, directeur du laboratoire de sociologie quantitative du Centre de recherche en économie et statistique.

3) Le docteur Gérald Magallon figure parmi les intervenants de la journée-débat autour de l’enquête, le 8 juin, à Marseille.

Pas de réponses dans le projet de loi sur le dialogue social

Alors qu’un des motifs du projet de loi sur le dialogue social porté par François Rebsamen était de répondre à la « crise des vocations », l’enquête de Secafi et du Centre études & prospective du groupe Alpha illustre la « faiblesse des moyens tangibles dont sont assortis les dispositifs proposés, du moins concernant le chapitre valorisation des parcours professionnels ». Ainsi, les entretiens professionnels prévus en début et en fin de mandat (pour certains élus) ne prévoient « aucun objectif précis et contrôlable sur la conciliation de l’activité professionnelle et de l’exercice du mandat, sur l’adaptation de la charge de travail de l’élu ou sur les conditions de sa réinsertion professionnelle ». Et la question de la formation est absente du projet.

Auteur

  • Virginie Leblanc