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La reconversion réussie des ex-Lejaby

Pratiques | RETOUR SUR… | publié le : 05.02.2013 | LAURENT POILLOT

À Yssingeaux (43), l’atelier de confection doit sa reconversion au calendrier électoral, qui lui a permis de trouver un repreneur et un plan de formation intégralement financé par la solidarité nationale. L’établissement, rebaptisé les Ateliers du Meygal, s’offre à présent le luxe de créer des emplois.

Lyon, le 18 janvier 2012. Le tribunal de commerce désigne l’homme d’affaires Alain Prost, ancien Pdg de La Perla, pour reprendre Lejaby qui, placée en liquidation judiciaire un mois plus tôt, avait déjà fermé trois sites en 2010. Cette décision scelle le sort de l’usine d’Yssingeaux (Haute-Loire), la dernière de la marque en France, dont Alain Prost avait prévenu qu’elle ne serait pas maintenue dans le périmètre des actifs repris. Au total, 93 emplois seront supprimés, leur charge de travail devant être transférée en Tunisie.

Les salariées n’ont alors plus qu’une carte dans leur jeu : faire parler d’elles, à l’approche des élections présidentielles. Soutenues par la CGT, elles vont occuper l’usine et multiplier les actions médiatisées durant plus de deux semaines. « Cette période a été exceptionnelle, commente Bernadette Pessemesse, déléguée CGT. Même en étant sur place, je n’ai pas tout vu du manège des voitures officielles et des camionnettes d’antenne. Nous tenions une assemblée générale chaque matin, pour informer les salariés et la presse de ce que nous savions. »

Au fil des jours, le cas Lejaby illustre de plus en plus l’image d’une industrie manufacturière française à sauver. Jusqu’à l’annonce conjointe de la reprise de l’usine, le 1er février, par Laurent Wauquiez, ministre et élu local, et par le groupe LVMH. Le chevalier blanc est la PME Sofama, un fournisseur du maroquinier Louis Vuitton établi en Auvergne. Son dirigeant, Vincent Rabérin, accepte de reprendre l’effectif. Il rebaptise l’établissement l’Atelier du Meygal et fait venir des machines de transformation du cuir et de toiles de doublure. « Nous allions faire de la petite maroquinerie, comme des cloches-clés pour sacs à main et des porte-cartes. On savait qu’il faudrait se former », raconte Bernadette Pessemesse.

Changement d’identité professionnelle

Quelles dispositions les entreprises ont-elles prises pour reconvertir le site ? Elles ne le disent pas. Le repreneur ne donne plus d’interview, tandis que le service de presse de LVMH relativise l’importance des changements d’organisation : « Vous connaissez le point commun entre la confection de sous-vêtements et la maroquinerie ? C’est la machine à coudre », tranche une porte-parole. Or, tout s’est accéléré en février 2012. Une quinzaine de salariées, proches de la retraite, jettent le gant. Les 78 autres vont recevoir près de 400 heures de formation de mars à juillet, pour devenir opérationnelles sur des presses à coupe, refendeuses, pareuses, fileteuses et bancs à teinter. Elles seront rejointes par de nouveaux profils : un prototypiste, un responsable de site ainsi qu’une DRH. Les ouvrières, elles, vont se partager en deux catégories d’opératrices : les piqueuses à plat et les préparatrices en maroquinerie, intervenant notamment sur les coupes, le collage et la teinture des pièces. Pour ce faire, un ample dispositif de formation a été mis en œuvre (lire l’encadré ci-dessous).

Mais les ouvrières, réparties dans des îlots qui ont remplacé les quatre lignes de production, restent inquiètes pour leur emploi. Car, au réapprentissage de gestes professionnels, s’ajoute la pression de la validation de leurs nouvelles compétences : « Il n’a jamais été question de leur faire passer un examen, mais certaines ont pensé qu’elles devraient partir si elles n’avaient pas le titre », commente Cécile Ajello, l’ingénieure Afpa chargée de conduire les validations. Elle estime aussi que « cette démarche de certification les a aidées à changer d’identité professionnelle ». Finalement, toutes ne sont donc pas allées au bout. « Des ouvrières ont redouté de changer de métier, à des âges où l’usure d’une carrière se fait ressentir », explique Bernadette Pessemesse, qui a enregistré 11 abandons, compensés, depuis, par 15 recrutements.

Activité assurée

La pyramide des âges se transforme chaque mois un peu plus. Sur les vingt dernières embauchées, qui ont entamé leur formation au Greta, la moitié sont encore très jeunes. « À la fin 2013, nous serons entre 120 et 130 salariés. L’activité est assurée », respire la syndicaliste, satisfaite de « notre lutte ». La suite lui donnera peut-être raison. Sofama s’est lancé dans la construction d’un nouvel atelier, à quelques kilomètres de là.

UN DISPOSITIF DE FORMATION “HORS NORME”

Au chevet des ouvrières, quatre organismes de formation ont été appelés en renfort : Formacuir, le Centre technique du cuir, l’Afpa et le Greta, qui iront jusqu’à reprendre d’anciens formateurs à la retraite pour réunir une équipe d’une dizaine d’intervenants. C’est l’Afpa qui a élaboré l’ingénierie pédagogique. L’un de ses spécialistes des métiers du cuir, Antoine Fervonnat, élabore le référentiel qui va ensuite donner lieu à la création de deux titres professionnels. C’est une demande des financeurs de la formation, Opcalia et le Fonds national de l’emploi (FNE), qui, pressés d’apporter conjointement 1,5 million d’euros pour couvrir l’ensemble du plan et des frais annexes, sans aucun reste à charge pour l’entreprise, ont exprimé le besoin de faire certifier les compétences enseignées. « Nous avons tout couvert, confirme Xavier Royer, directeur du département textile-mode-cuirs d’Opcalia (ex-Forthac). Ce fut un plan hors norme et global. Activer le FNE sur de tels montages n’est pas courant, car les fonds disponibles ne sont pas faramineux. »

Auteur

  • LAURENT POILLOT