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Faire la place aux malades chroniques

Pratiques | publié le : 05.02.2013 | ROZENN LE SAINT

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Faire la place aux malades chroniques

Crédit photo ROZENN LE SAINT

15 % de la population active française est atteinte d’une pathologie évolutive. Le manque d’informations et de prise en considération de ces salariés en amont empêche leur maintien dans l’emploi. L’Anact incite les entreprises à se mettre à leur chevet.

Cancer, maladie de Parkinson, sida, diabète, polyarthrite rhumatoïde… En tout, la Cnam dénombre 15 millions de Français atteints de maladies chroniques évolutives. Et seuls 35 % d’entre eux travaillent, contre un taux d’emploi général de 75 % et de 46 % pour les personnes handicapées. Or, certaines pathologies se déclarent de plus en plus tôt, ce qui pose clairement le problème de l’accès à l’emploi et de l’évolution de carrière. Par exemple, « l’âge moyen de développement de la sclérose en plaques est de 35 ans. Exclure ces malades de la sphère professionnelle revient à une double peine », estime Annick Montfort, directrice de l’évaluation de la prospective à l’Agefiph.

Crainte de la stigmatisation

Premier frein à la prise en compte des salariés victimes de ces maladies, leur réticence à en faire part à leur hiérarchie. C’est ce que montre l’étude Travailler avec un cancer de mars 2011 du Centre d’étude de l’emploi (CEE), disponible sur son site. « Les risques de stigmatisation liés aux aménagements de poste sont craints. Les salariés ont peur d’un déclassement, analyse Christine Le Clainche, une des auteurs de l’étude. Pourtant, les personnes sont plus productives après avoir bénéficié d’adaptations. »

Deuxième frein, la méconnaissance des entreprises. « Les effets des maladies chroniques sont souvent invisibles aux yeux des collègues et de la hiérarchie », témoigne Dominique Baradat, chargée de mission au sein de l’Aract Aquitaine, lors d’un colloque organisé sur le sujet*. L’Anact lui a confié la mission d’expérimenter dans sa région des solutions pour faciliter le maintien dans l’emploi des malades chroniques. Jusqu’alors, des initiatives de diverses associations de défense des patients étaient menées, mais aucune de manière transversale. L’Aract Aquitaine a regroupé les acteurs œuvrant en ce sens (le FIPHFP, l’Agefiph, le Fonds social européen, la Carsat et la Direccte Aquitaine). Dominique Baradat a maintenant pour tâche d’élargir ces actions à l’échelle nationale : « Le problème ne vient pas des personnes malades mais des organisations du travail qui sont discriminantes. »

D’où les absences à répétitions, les démissions ou les licenciements pour inaptitude. Et de citer l’exemple d’une caissière qui n’avait pas le droit de quitter son poste alors qu’elle devait se rendre régulièrement aux toilettes du fait de sa pathologie. « Quand un médecin du travail affirme qu’un de mes salariés est inapte à tout poste alors que mon association compte 50 métiers différents, j’ai dû mal à croire que le problème n’aurait pas été résolu s’il avait été pris davantage en amont », affirme Michael Goetz, DRH de l’association Aides.

Travailler sur la souplesse des organisations

D’où la volonté de l’Anact d’inciter les entreprises à s’intéresser à ces maladies chroniques et aux moyens de s’y adapter, souvent bien moins compliqués qu’on ne le pense. « Les maladies chroniques produisent des fatigues différentes, il suffit de travailler sur la souplesse des organisations du travail », indique Isabelle Burens, chargée de mission à l’Anact.

Les malades s’adaptent souvent aux organisations du travail et non l’inverse, en prenant leurs traitements à des heures différentes de ce que leur médecin leur indique pour ne pas perturber le fonctionnement de leur poste, par exemple. Avec des conséquences sur la dégradation de leur état de santé et leur aptitude, à moyen terme, à se maintenir dans l’emploi. De 2008 à 2010, l’Aract Aquitaine a sensibilisé une quinzaine d’entreprises sur le sujet, avant de devenir pilote national.

Dans ce cadre, elle s’est penchée sur un groupe agroalimentaire du Sud-Ouest, Delpeyrat, qui a reçu le prix de l’Anact 2012 pour ses actions menées dans le domaine. « A priori, le problème soulevé relevait du privé et était loin de nos préoccupations. Il était individuel et non collectif, se souvient Jean-Robert Lasheras, DRH de l’entreprise productrice de foie gras. Pourtant, nous étions en première ligne mais totalement désarmés. Certaines personnes malades étaient licenciées pour inaptitude parce que, par manque d’anticipation, l’on ne trouvait pas de réponse à temps. »

Délais légaux de reclassement trop courts

Et de soulever le problème des courts délais légaux laissés aux entreprises pour reclasser ces salariés. « Souvent, quelques mois plus tard, on identifie des solutions, cela laisse un goût amer. Il fallait donc mettre en place des capteurs en amont pour se donner le temps de réfléchir à la meilleure façon de maintenir dans l’emploi des malades chroniques », indique-t-il.

Le site d’Agen a servi d’expérimentation. « Parmi les 200 salariés, 20 malades chroniques ont été identifiés. Nous avons fait entrer dans la société des ergonomes, qui ont aménagé leur poste mais aussi ceux de certains de leurs collègues par la même occasion, de manière à améliorer globalement les conditions de travail », relate Patrick Leclerc, RRH en charge de la sécurité au travail à Delpeyrat. Parfois, les aménagements consistent simplement à passer d’un poste debout à un poste assis, d’un travail de nuit à un travail de jour, ou à faire appel à l’Agefiph pour bénéficier d’aides à la manutention, de manière à diminuer la fatigue des salariés malades. « Si un ouvrier à la chaîne doit prendre un traitement à heures régulières, nous nous organisons pour ne pas tout arrêter au risque de perturber le rythme de production. Un agent de maîtrise le remplace sur la ligne au moment de la prise de médicaments », relate Franck Genest, responsable de production chez Delpeyrat. Un changement de fonctionnement d’ores et déjà généralisé à l’ensemble du groupe, qui compte 3 000 salariés.

Le but de l’Anact est maintenant d’entraîner dans ce sillage d’autres entreprises, à l’image du Crédit agricole, qui a lancé une expérimentation au printemps 2012 dans sa caisse de Val de France. « Comme ce type de maladie est évolutif, plus on traitera en amont la problématique, plus on permettra un maintien durable dans l’emploi », affirme Anne Bizouard, responsable études et développement des ressources humaines au Crédit agricole.

Lever les freins psychologiques

Première étape, la création d’un groupe de projet, composé de responsables des ressources humaines, de directeurs d’agence, de managers et de médecins du travail. Le but est de les sensibiliser pour lever les freins psychologiques des salariés à se déclarer. Puis viendra l’étape de la recherche de solutions au premier semestre 2013. « Nous ferons du sur mesure et ce retour d’expérience nous permettra de généraliser la méthode d’ici à la fin de l’année 2013 », prévoit Anne Bizouard.

Une autre façon d’aider les malades chroniques à se maintenir dans l’emploi consiste à valoriser l’aide apportée par les proches. « Une formatrice de Mont-de-Marsan atteinte d’une sclérose en plaques était malvoyante et souffrait du dos. Son mari la conduisait au travail, l’aidait à porter ses affaires et à préparer ses présentations Powerpoint sans que personne ne le sache, se souvient Christian Martin, ergonome consultant à l’Aract Aquitaine. Nous avons fait reconnaître sa prestation handicap et il a été salarié par une entreprise de service à la personne. Cela a changé leur vie à tous les deux. »

Cette année, l’Anact s’est fixé deux nouveaux axes de travail. D’abord, élargir la palette des maladies chroniques aux personnes souffrant de pathologies psychiques et d’addictions. Ensuite, travailler davantage avec la fonction publique. Dominique Baradat l’assure, « le FIPHFP, le pendant de l’Agefiph dans le public, souhaite mettre en place un projet d’envergure avec l’Anact ».

* « Travailler avec une maladie chronique », colloque organisé par l’Anact et l’Aract Aquitaine le 13 décembre 2012, dans le cadre de la campagne européenne Work adapted for all, initiée par le réseau European network for workplace health promotion.

L’ESSENTIEL

1 Plus d’un actif sur six est victime d’une maladie chronique.

2 Les salariés atteints de ces pathologies évolutives redoutent de les déclarer à leur entreprise, de peur d’être déclassés, selon une étude du CEE.

3 Pour éviter leur licenciement pour inaptitude, l’Anact propose des changements dans l’organisation du travail en amont.

Auteur

  • ROZENN LE SAINT