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« L’alternance est plus qu’un outil social contre le chômage »

Enjeux | publié le : 05.02.2013 | PAULINE RABILLOUX

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« L’alternance est plus qu’un outil social contre le chômage »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

L’alternance, qui assure une synthèse quasi idéale entre la formation théorique et pratique, est un dispositif sous-utilisé par les PME et parfois mis en place pour de mauvaises raisons par les grandes entreprises. Absente des dispositifs de GPEC, l’alternance pourrait pourtant contribuer à constituer un vivier de compétences.

E & C : L’alternance est souvent parée de toutes les vertus ? Quels en sont les avantages ?

Antoine Pennaforte : L’atout généralement mis en avant est celui du social : c’est une porte d’entrée dans l’entreprise pour les jeunes, d’autant plus intéressante que leur taux de chômage est élevé. De fait, en 2009, 15 % des jeunes actifs de moins de 26 ans étaient apprentis et, depuis les années 1990, des formations en apprentissage se sont progressivement développées pour les diplômés de l’enseignement supérieur. Entre 2000 et 2010, le nombre d’apprentis de ce niveau a triplé. Plus important encore que l’aspect social, Stéphanie Pougnet et moi-même avons mis en avant, dans notre ouvrage consacré à l’alternance*, l’engagement au travail de ces jeunes qui s’impliquent conjointement dans leurs études et dans l’emploi. Choisir de passer un diplôme par la voie de l’alternance est clairement un gage de motivation, et cela va à l’encontre des stéréotypes de dilettantisme qui caractérisent trop souvent le regard porté sur les jeunes générations. À l’issue de leur formation, les alternants auront à la fois fait la preuve de leur implication, acquis une connaissance concrète du monde du travail et vécu une expérience opérationnelle directement utilisable, ce dont ne peuvent pas se targuer tous les diplômés.

E & C : Quel intérêt présente-t-elle pour les entreprises ?

A. P. : C’est peut-être là que réside le grand malentendu de l’alternance. Nombre d’entreprises l’abordent sous le seul aspect économique. Un apprenti ou une personne en contrat de professionnalisation coûte moins cher en salaire direct et permet de bénéficier d’exonérations de charges sociales patronales. Par ailleurs, l’obligation faite aux entreprises de plus de 250 salariés d’avoir dans leurs effectifs un quota de 4 % d’alternants, sous peine de pénalités financières, contribue à renforcer les implications d’abord utilitaristes, financières et de court terme de l’alternance. Or, les jeunes s’engagent dans ce type de formation pour se confronter au monde du travail et s’y insérer durablement en faisant la preuve de leur employabilité, donc avec une vision de long terme.

Plutôt que de profiter de l’apprentissage comme d’un vivier pour recruter une main-d’œuvre compétente, dont la formation correspond d’autant plus à leurs attentes qu’elles l’ont elles-mêmes dispensée en partie, les entreprises choisissent souvent, au terme du contrat, de se séparer de l’alternant. Elles préfèrent recruter un autre jeune en apprentissage qui leur coûtera moins cher que celui qu’elles viennent de former. Pour la majorité des entreprises, obligation légale ou pas, tout se passe comme si seul le coût de revient du travail était pris en compte et non la valeur ajoutée de l’alternant, dont la formation est déjà assurée. En période de crise, on peut comprendre que les entreprises ne souhaitent pas s’engager sur un emploi qu’elles ne pourront peut-être pas assurer à la fin du contrat d’alternance, un, deux ou trois ans après sa signature. Cependant, quand le terme du contrat est échu et que l’emploi existe encore bel et bien, il nous semble que ne pas prendre en compte la compétence pour ne privilégier que l’économie est une vue très étroite des intérêts de l’entreprise.

E & C : Pourquoi les petites entreprises ont-elles moins recours à l’alternance ?

A. P. : L’obligation légale de recruter des jeunes en alternance ne concerne pas les petites et moyennes entreprises, même si des dispositifs incitatifs existent, comme l’exonération temporaire de charges sociales. Par ailleurs, les démarches liées à l’embauche en alternance peuvent parfois, comme d’autres démarches administratives, paraître compliquées pour de petites structures qui ne possèdent pas de personnel RH dédié. Et, pour cette même raison, elles ne connaissent pas toujours les avantages financiers de l’alternance. Cependant, il faut se méfier des constats hâtifs. Ces petites entreprises ont recours à l’alternance dès lors qu’elles peuvent désigner un tuteur correspondant à la définition légale : trois ans d’expérience professionnelle dans l’entreprise et une qualification supérieure ou égale à celle que le jeune prépare en alternance. Dans ces structures d’ailleurs, le recrutement en alternance représente à la fois une bonne solution pour former des professionnels correspondant exactement à leurs besoins et une longue période d’essai. Les études dans ce domaine montrent que le taux d’embauche après apprentissage dans les TPE-PME est élevé – entre 58 % et 62 %, selon les chiffres de la Dares, en 2011. A contrario, si les grandes entreprises ont plus systématiquement recours à l’alternance, souvent, le tuteur y est désigné d’office par sa direction plutôt que volontaire, comme le prévoit la législation. Ce n’est évidemment pas la meilleure situation pour l’alternant, qui peine à obtenir le soutien et les conseils dont il aurait besoin. À charge pour lui de se faire aider par d’autres salariés plus collaboratifs.

E & C : Comment peut-on favoriser une alternance responsable et efficace ?

A. P. : Je crois qu’il faut s’émanciper du seul discours social : non, l’alternance n’est pas simplement un moyen d’aider les jeunes au chômage, cela peut-être également une excellente solution pour l’entreprise, et pas uniquement pour faire des économies sur les frais de personnel. Bizarrement, l’alternance n’est pas incluse dans les dispositifs de GPEC. Ce devrait pourtant être le cas, puisque les alternants peuvent constituer un vivier de compétences pour l’entreprise et que leur parcours peut s’assimiler à une période d’essai permettant de valider leur profil et leur comportement au travail. Par ailleurs, à une époque où une des priorités de la fonction RH est de recréer du collectif, le lien entre l’alternant et son tuteur est un modèle du genre, puisque sa dynamique repose sur la relation à autrui. L’alternance est enfin un excellent moyen de tordre le cou aux préjugés qui s’attachent aux jeunes. Car elle est tout simplement impossible sans motivation, ce qui peut à la fois servir de modèle d’intégration pour les autres jeunes présents dans l’entreprise et inciter les salariés plus expérimentés à dépasser leurs a priori négatifs. Une excellente manière de créer du lien, aussi bien entre managés et managers qu’entre les collaborateurs eux-mêmes !

* Alternance : cultivez les talents.

PARCOURS

• Antoine Pennaforte est maître de conférences au Cnam. Il a été chargé de formation au sein de la DRH de Veolia tout en préparant son doctorat de GRH sur la relation entre les formations en alternance et l’implication organisationnelle. Ses domaines de recherche portent sur l’alternance, sur le management de proximité, l’implication et la coopération dans les équipes.

• Il est l’auteur, avec Stéphanie Pougnet, de Alternance : cultivez les talents (éd. Dunod, septembre 2012).

LECTURES

• Managers en quête d’auteur, Maurice Thévenet, Les Belles Lettres, 2012.

• Gestion des compétences : nouvelles relations, nouvelles dimensions, Didier Retour, Thierry Picq, Christian Defélix, Vuibert, 2009.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX