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SuisseLA PAYE DES FRONTALIERS EN EUROS TENTE LES EMPLOYEURS

Pratiques | International | publié le : 04.10.2011 | CHRISTIAN ROBISCHON

Payer les frontaliers français en euros plutôt qu’en devise locale : quelques entreprises helvétiques font ce choix pour lutter contre le franc fort, qui pénalise leurs coûts de production. La validité juridique de la mesure est en débat.

Vif émoi parmi les 120 000 travailleurs frontaliers français en Suisse : depuis quelques semaines, plusieurs de leurs employeurs cherchent à convertir leur salaire en euros. La mesure les pénalise, car le cours de la devise helvétique grimpe face à la monnaie européenne. C’est précisément cette flambée, source de hausse des coûts (du travail, des matières premières…) que les entreprises mettent en avant.

Parmi la dizaine qui passent à l’acte le long de la frontière, Jaquet (instruments de mesure pour l’industrie), à Bâle, a instauré mi-août un nouveau contrat de travail qui transforme en euros le salaire de ses 37 frontaliers français et allemands (30 % du personnel), selon une parité fixée à 1 euro pour 1,29 franc suisse (voir Entreprise & Carrières n° 1061). « La mesure, volontaire, a été bien comprise et acceptée. Elle prémunit les frontaliers contre le risque de change. Elle leur est moins favorable aujourd’hui, mais elle le redeviendrait si l’euro venait à remonter », souligne le Pdg Marc Jaquet. La conversion est aussi prévue chez Von Roll (isolations).

Clause monétaire

Autre option : continuer à payer les frontaliers en francs suisses, mais moins que leurs collègues. Toujours près de Bâle, l’entreprise métallurgique Angenstein l’a choisie. Sa “clause monétaire” par avenant diminue jusqu’à 10 % la rémunération des Français et des Allemands composant la moitié des 140 salariés. « Tout le monde a accepté », se félicite son patron Martin Helfenstein.

Peur du licenciement

L’unanimisme ne surprend pas le Comité de défense des travailleurs frontaliers du Haut-Rhin : la peur d’être licencié est la plus forte, estime l’organisation, qui revendique 19 000 adhérents. Pour son président Jean-Luc Johaneck, « la discrimination est patente » et elle ne saurait rester impunie. Un cas antérieur de baisse de salaire ciblée sur les frontaliers doit passer devant la justice prud’homale de Bâle début 2012. D’autres pourraient suivre.

La centrale syndicale helvétique Travail Suisse identifie deux voies de recours : « La violation de l’accord de libre circulation avec l’Union européenne et celle d’un article du Code du travail qui interdit de transférer un risque de l’entreprise vers son personnel », expose Denis Torche, membre du bureau exécutif. L’incertitude juridique fait sans doute hésiter plus d’un employeur. « Nos adhérents nous font part de leur inquiétude, mais ils ne nous ont pas remonté de cas avérés », souligne le Groupement transfrontalier européen, autre puissante association (33 000 membres), surtout implantée en face de Genève. En revanche, la loi suisse n’interdira pas à proprement parler le paiement des salaires dans une devise étrangère. Deux parlementaires proches des milieux syndicaux avaient déposé une proposition en ce sens : elle a été rejetée en septembre.

Hausse du temps de travail

Spectaculaire, l’“option euro” reste néanmoins marginale à l’échelle du pays. La réponse RH aux conséquences du franc fort tient plutôt dans l’augmentation du temps de travail sans hausse de salaire. Chez le chimiste Lonza, les 2 800 salariés en Suisse sont passés de 41 à 42,5 heures début septembre à salaire égal pour une période de dix-huit mois, avec réexamen de situation tous les quatre mois. Et, en complément de leurs clauses monétaires, Jaquet et Angenstein remontent le temps de travail, pour l’ensemble du personnel cette fois-ci.

Mais si l’on en croît le sondage de la fédération patronale Économie Suisse à la mi-août, au plus fort de la tension sur le marché des changes, les employeurs voient le temps de travail et la baisse de salaire comme les derniers des leviers à actionner pour réagir au renchérissement des coûts. Les deux hypothèses sont envisagées par 10 % à 15 % des répondants, loin derrière les efforts de productivité (70 %) ou le sourcing à l’étranger. Et, face à une éventuelle montée du chômage (qui n’était que de 2,8 % en août dernier), le gouvernement a assoupli l’usage du chômage partiel.

Auteur

  • CHRISTIAN ROBISCHON