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« Le responsable RH doit savoir d’emblée repérer ce qui motive un collaborateur »

Enquête | publié le : 30.08.2011 | ÉRIC DELON

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« Le responsable RH doit savoir d’emblée repérer ce qui motive un collaborateur »

Crédit photo ÉRIC DELON

Chaque individu trouve sa motivation au travail dans différentes ressources. Au responsable RH de les alimenter, faute de quoi, si ces ressources s’épuisent, le salarié sera en situation de burn out. Pour soutenir sa motivation, une approche davantage centrée sur les facteurs qui maintiennent le salarié en bonne santé et une écoute attentive de ses besoins se révèlent plus efficaces.

E & C : Selon vous, l’approche communément admise – en France notamment – en matière d’explications de l’épuisement professionnel ou du burn out n’est guère pertinente. Pourquoi ?

Jean-Pierre Neveu : En effet, l’approche classique postule que l’épuisement professionnel serait la conséquence d’un déséquilibre entre les ressources individuelles dont disposerait un individu et les contraintes liées à son travail. Cette approche largement répandue en France est basée sur une psychologie du châtiment : l’individu est broyé par l’organisation. Cela ne me paraît que relativement pertinent car c’est une approche subjective et de faible validité universelle. Tout d’abord, les individus ne sont pas égaux face aux exigences que leur impose le monde du travail. Certains y répondent très bien, d’autres beaucoup moins. Ensuite, le côté culturel a aussi son influence. Prenons l’estime de soi. Au Japon, par exemple, cette notion n’a guère de pertinence car le sens du collectif, de l’équipe, est survalorisé. Par ailleurs, l’approche classique – ou pathogénique (la recherche de la santé par l’identification du mal) – se focalise sur le dommage causé et sur la façon de “soigner” l’individu à travers notamment des programmes de santé – gymnastique, reconstruction de soi… –, censés faire office de méthodes de prévention. Or de nombreuses études révèlent que ces programmes sont souvent peu adaptés, onéreux et surtout trop brefs pour porter leurs fruits. Souvent fondés sur le volontariat, ils peuvent passer à côté de la cible – l’individu qui souffre – ou, s’ils sont trop généraux, ne pas être adaptés aux problématiques individuelles.

E & C : Quelle approche privilégiez-vous ?

J.-P. N. : La méthode que je préconise et qui est répandue dans d’autres pays européens – pays scandinaves, Espagne, etc. – est “salutogénique”, c’est-à-dire basée sur la recherche de la santé en misant prioritairement sur les atouts individuels et organisationnels. Cette approche se fonde sur les ressources et sur la mise en dynamique de ces dernières. Ce que le gestionnaire RH doit s’efforcer de comprendre est ce qui anime et motive les individus qui travaillent au sein de son organisation. Et cela est très relatif pour chacun d’entre eux.

E & C : Comment définiriez-vous les “ressources” ?

J.-P. N. : Ce sont des vecteurs de motivation, de mobilisation. On peut les classer en 4 catégories. D’une part, les ressources dites tangibles : ce sont des dimensions matérielles telles que la voiture ou le logement de fonction, le téléphone. Deuxième type de ressources : les personnelles, comme l’estime de soi, le désir de se développer, la confiance en soi… par exemple. Troisième type, la ressource interpersonnelle : au sein d’une entreprise, certains collaborateurs sont motivés par le contact avec les autres, l’esprit d’équipe. Enfin, la ressource énergétique : il s’agit de ressources qui vont être valorisées, non pour elles-mêmes, mais parce qu’elles sont instrumentales pour l’obtention d’autres ressources. Par exemple, la formation – en vue d’une progression de carrière –, l’argent – en vue de l’achat de ressources tangibles…

E & C : Comment le DRH doit-il gérer ces ressources ?

J.-P. N. : Tout se passe au moment du recrutement. Le responsable RH doit savoir d’emblée repérer ce qui motive son futur collaborateur, quelles sont les ressources qu’il va pouvoir activer tout au long de sa carrière, pour le fidéliser et pour qu’il puisse s’épanouir. Le burn out, en quelque sorte, n’est qu’un phénomène d’épuisement progressif de ces ressources. Or économistes et psychologues des organisations ont démontré que les individus étaient plus sensibles à la perte de quelque chose – en l’occurrence les ressources – qu’à un gain hypothétique – d’autres ressources. Un DRH m’a confié ceci : « Ce que veulent tous mes salariés ? De l’argent. » Funeste erreur ! Chaque demande est particulière, en quelque sorte.

E & C : Comment entretenir ces ressources en interne ?

J.-P. N. : Il faut être vigilant et se montrer à l’écoute de ses collaborateurs. Quand intervient l’entretien de satisfaction un an après le recrutement d’une personne, il est déjà très tard. Si le collaborateur est frustré par rapport à ses attentes initiales, le handicap de retard est déjà accumulé par l’organisation. Le recrutement et l’évaluation du personnel devraient être davantage couplés. Quoi qu’il en soit, le gestionnaire RH doit pouvoir conserver l’historique de la dynamique motivationnelle des collaborateurs et surtout se montrer en phase avec cette dernière.

E & C : Quels types d’outils peut-on mettre en place pour implémenter cette méthode ?

J.-P. N. : Outre des entretiens d’embauche structurés autour des motivations des nouveaux recrutés, il faudrait mettre en place un audit de climat organisationnel. De quoi s’agit-il ? De la perception que portent les salariés sur les pratiques-stratégies de leur organisation – mesure de crédibilité des messages –, sur une variété de thèmes tels que la qualité de service, la santé ou encore la sécurité. Autre méthode d’activation des ressources : ne pas verser dans l’a priori en considérant par exemple certains événements d’entreprise comme étant nécessairement des contraintes. Exemple : l’usager ou le client. Ces derniers peuvent véritablement représenter une ressource contribuant à motiver le salarié. Le professionnel ne doit pas perdre ce lien constructif et motivant avec son interlocuteur. Dans l’univers hospitalier par exemple, la démarche de “partenariat thérapeutique” soignant-soigné, aussi appelée “éducabilité cognitive”, peut s’avérer particulièrement bénéfique et entretenir une relation gagnant-gagnant entre infirmière et patient.

E & C : Êtes-vous optimiste sur l’introduction progressive de la méthode salutogénique au sein des organisations ?

J.-P. N. : À l’heure actuelle, pas vraiment. Aujourd’hui, le cadre légal favorise le rapport de force et ne privilégie que la prise en considération de ce qui ne va pas, de ce qui pose problème – pathogénique. Bref, une approche victimaire. Une approche fondée sur la recherche des facteurs de santé – salutogénique – et l’investissement dans le potentiel humain serait, selon moi, bien plus efficace tant pour les salariés que pour les organisations.

PARCOURS

• Jean-Pierre Neveu est professeur des universités à l’Institut d’administration des entreprises de l’université Montpellier 2. Docteur en sciences de gestion, il a pour thèmes de recherche principaux la santé et la sécurité au travail. Conjointement, il s’intéresse aux dynamiques de motivation, d’implication et d’épuisement professionnel.

• Membre de l’AGRH ainsi que de la Société internationale de psychologie de la santé au travail, il est l’auteur d’un ensemble de contributions publiées en France et à l’étranger.

LECTURES

• Psychologie de la santé. Modèles, concepts et méthodes, M. Bruchon-Schweitzer, Dunod, 2005.

• RH et développement durable, B. Calisti et F. Karolewicz, Éditions d’Organisation, 2005.

• The Ecology of stress, S. E. Hobfoll, London, Taylor & Francis, 1988.

Auteur

  • ÉRIC DELON