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La fin de trois tabous économiques et sociaux

Social | publié le : 14.06.2023 | Antoine Foucher

La fin de trois tabous économiques et sociaux

La fin de trois tabous économiques et sociaux.

Crédit photo DR

Le bloc-notes d'Antoine Foucher

Tous ceux qui s’intéressent aux conséquences économiques et sociales de la transition énergétique devraient lire le passionnant rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, « Les incidences économiques de l’action pour le climat ». Pour la première fois, voici un rapport qui prend le temps de partir des mesures concrètes qui changent la vie des salariés et des entreprises : interdiction de la vente de voitures thermiques en 2035, verdissement du parc automobile des entreprises, obligation de rénovation énergétique des résidences... Au lieu d’inférer de modèles macroéconomiques un peu abstraits un impact potentiel sur la vie des gens, ils entreprennent la démarche inverse : décrire ce que chaque mesure implique pour un salarié, un ménage et une entreprise, et en déduire une politique qui rendrait la mesure acceptable.

Le résultat est exaltant et, en forçant un peu le trait, on peut dire qu’il conduit à lever trois tabous, car c’est la première fois qu’un rapport d’un organisme public ose dire, assumer et expliquer trois vérités déstabilisantes pour le pouvoir.

Le premier porte sur la capacité des marchés, entreprises et consommateurs à réaliser la transition par eux-mêmes. C’est impossible : la transition énergétique requiert des investissements et des transformations qui ne sont pas induits par le jeu de l’offre et de la demande. Traditionnellement, les entreprises investissent pour développer leur capacité de production et améliorer leurs produits. Habituellement, les consommateurs cherchent le meilleur produit au meilleur prix. Or, la transition énergétique vient perturber le jeu : il faut désormais produire et consommer « décarboné », même si c’est, dans un premier temps, plus cher pour tout le monde. Seule la puissance publique a la capacité d’imposer cette prise en compte aux entreprises et aux consommateurs. Elle va donc largement influencer et orienter les marchés, si ce n’est les piloter dans certains secteurs. Exit l’autorégulation par la main invisible et le consommateur roi.

Le second tabou est que le pouvoir d’achat ne sera pas touché : c’est un mensonge. Car au lieu d’acquérir et d’accumuler de nouveaux biens, nous allons devoir remplacer des biens que nous avons déjà et dont nous pouvons être satisfaits par d’autres biens quasiment identiques, mais moins consommateurs en CO2 : une voiture électrique à la place d’une voiture thermique, une pompe à chaleur à la place d’un chauffage au fioul, un appartement ou une maison mal isolés par une maison ou un appartement répondant aux normes… À chaque fois, c’est le même bien ou le même service qui est au bout (une voiture, du chauffage, un logement), sauf qu’il nous aura coûté plusieurs dizaines de milliers d’euros supplémentaires. Le rapport chiffre ainsi l’investissement nécessaire pour un ménage à une année entière de revenus. C’est vertigineux, et l’intérêt du rapport est de ne pas cacher cette vérité socialement explosive, mais de la partager courageusement pour chercher des solutions, consistant par exemple à aider financièrement ménages et entreprises à investir.

D’où le troisième tabou qui est, lui aussi, vaillamment levé : puisque la transition énergétique sera, au moins jusqu’en 2050, une épreuve collective qui demandera des efforts substantiels, il faut partager ces efforts équitablement, faute de quoi nous irons à des conflits sociaux d’une intensité inédite. Que les 10 % des Français qui possèdent 70 % du patrimoine financier national en concèdent 5 % (une contribution unique donc, et pas un nouvel impôt récurrent) pour l’action contre le réchauffement climatique : c’est la proposition du rapport, indispensable pour avoir la légitimité de demander, à tous, un effort durable et difficile, seul moyen crédible de faire notre devoir vis-à-vis des générations futures.

 

 

 

Auteur

  • Antoine Foucher