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Le stress fait le bonheur des consultants

Liaisons Sociales Magazine, septembre 2008 | Accord | publié le : 04.09.2008 |

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Désemparés par l’explosion des suicides au travail et contraints de s’atteler à la prévention, les employeurs font de plus en plus appel à des experts en risques psychosociaux. Un business qui aiguise les appétits.

Voilà dix ans, pas un patron n’aurait imaginé ouvrir grand les portes de son entreprise à un psychologue ou à un psychiatre. Mais, aujourd’hui, tous leur déroulent le tapis rouge pour ausculter leur personnel. Ce subit intérêt pour le bien-être mental des salariés n’est pas le fruit de la dernière mode managériale venue d’outre-Atlantique. Mais de la récente vague de suicides liés au travail qui a frappé l’Hexagone. Renault, PSA, Areva, la Société générale, EDF, HSBC, La Poste, France Télécom, Veolia Propreté… La liste des sociétés touchées ne cesse de s’allonger. « Jusqu’à maintenant, les entreprises adoraient qu’on fasse des conférences et des numéros de claquettes. Mais elles avaient un mal fou à se convaincre que le stress était un vrai sujet. Avec les suicides, ça a changé d’une façon hallucinante. On explose sous la demande. Tout le CAC 40 s’inquiète du risque médiatique », observe le psychiatre Éric Albert, fondateur de l’Ifas, l’un des cabinets pionniers. Les employeurs ne craignent pas seulement pour leur image de marque. Le durcissement de la réglementation et les évolutions jurisprudentielles les obligent aussi à prendre les risques psychosociaux au sérieux. Le 2 juillet, les partenaires sociaux en ont d’ailleurs remis une couche en signant un accord sur le stress professionnel. « Même si les obligations sont peu contraignantes, il ne semble pas possible d’échapper désormais à un plan de prévention contre le stress », prévient l’avocat Sylvain Niel, du cabinet Fidal. Les pouvoirs publics ne sont pas non plus en reste. Le ministre du Travail a promis, en juin, de mettre en œuvre plusieurs recommandations du rapport Nasse-Légeron, dont une enquête nationale sur le stress et la création d’un site Web pour diffuser les bonnes pratiques. Un document qui, dans le Landerneau, a fait beaucoup jaser. Moins par son contenu que par le choix d’un de ses auteurs. Confier une telle mission au psychiatre Patrick Légeron, patron du cabinet Stimulus, l’un des leaders du marché, a fait grincer des dents. Celles d’Éric Albert, notamment, qui a refusé d’être auditionné.

 

Psychiatres en guerre.

 

Grands rivaux, les deux psychiatres, adeptes des thérapies cognitivo-comportementales, ont des parcours parallèles. De retour des États-Unis, où ils ont observé la montée de la thématique du stress, ils créent, au tournant des années 90, Stimulus et l’Ifas. Deux cabinets qui se spécialisent dans la mesure et l’audit du stress et l’accompagnement des managers et des salariés. Vivotant pendant dix ans, ils voient ensuite leur activité décoller. Et les critiques se multiplier. Les adeptes de la psychodynamique du travail, emmenés par le psychiatre Christophe Dejours, leur reprochent de circonscrire le stress à la sphère individuelle, en ignorant les causes organisationnelles. « Les actions individuelles donnent des résultats. Les nier, c’est avoir une approche idéologique. Mais il est clair qu’il faut aussi agir sur le collectif. Les entreprises y viennent, même si elles craignent d’ouvrir la boîte de Pandore », se défend Patrick Légeron. Parmi ses récents clients, Thomson. « Stimulus nous a aidés dans la phase de diagnostic. Mais le plan d’action, lui, est resté de notre responsabilité », explique le DRH, Éric Bachellereau. Parmi les premières mesures, la mise en place d’un numéro vert, un cofinancement du Cesu et des formations à la gestion du stress. Plutôt light.

 

A l’Ifas aussi on revendique haut et fort cette approche par les hommes. « On ne mesure pas les facteurs de stress car ça crée des revendications syndicales auxquelles les directions ne savent pas répondre. Notre job consiste à agir, à contrainte égale, sur les comportements. Car l’instance de régulation du stress, c’est le management », insiste Éric Albert. Ces discours hérissent le poil des syndicalistes, qui jugent les cabinets d’expertise auprès des CHSCT plus aptes à parler des « vrais » sujets : la charge de travail, le manque d’autonomie, les techniques d’évaluation. Cette différence d’approche oblige parfois les uns et les autres à cohabiter.
À la Société générale, Stimulus s’est vu confier une étude exploratoire sur le stress, et Technologia une expertise sur la salle des marchés. Finalement, toutes les factures restent à la charge des directions. Les prix tournent autour de 1 500 euros la journée pour un expert auprès des CHSCT, et peuvent atteindre 2 000 euros pour un consultant de cabinet du type Ifas.

 

« Pompiers » décriés.

 

Autre type d’intervention plébiscitée par les directions : la prise en charge, à l’extérieur, des salariés en souffrance. Des « pompiers » décriés par les syndicats, qui les accusent de ne pas régler les problèmes à la source. « Notre métier est d’accompagner psychologiquement, en face à face, les salariés en difficulté, pas de modifier la stratégie des entreprises. Si nos interventions étaient inefficaces, vous croyez que les assureurs continueraient à travailler avec nous ? » répond Alain Bouellat, directeur du développement de Solareh, une filiale à 50 % de la Scor, qui intervient dans les sociétés via leurs contrats de prévoyance. « Il y a dix ans, les entreprises n’étaient prêtes à faire intervenir des tiers qu’en cas de gros pépin. Mais, en agissant en pompiers, on a mis un pied dedans.
Aujourd’hui, elles sont mûres pour travailler sur les causes du stress », abonde Jean-Marie Gobbi, président de la plate-forme téléphonique Psya. Globalement, les numéros verts restent assez peu composés : atteindre 5 % de salariés utilisateurs relève presque de l’exploit. En forte croissance, le business du stress reste émergent. À titre d’exemple, Stimulus, l’un des leaders, n’a fait que frôler les 2 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2007 (+ 40 %).
Sur ce marché éclaté, les positionnements évoluent. Les « pompiers », notamment, cherchent à remonter la chaîne du stress pour intervenir dans un domaine plus préventif. Ainsi de Psya, qui assure réaliser désormais la moitié de son activité dans des actions de conseil et de formation. Ce dont doutent ses concurrents, agacés par l’agressivité commerciale de la PME. Même volonté d’expansion chez IAPR. Créée en 2000 par la RATP et la GMF, l’association est sortie de sa niche originelle : la gestion du stress post-traumatique.
Elle profite de ses interventions « à chaud » dans les entreprises et les administrations pour développer d’autres compétences. « On s’oriente aussi vers un travail en amont. On veut aider les entreprises à poser les bons diagnostics sur les causes du stress, pour y remédier », confirme son président, Luc Roumazeille.

 

Au début affaire de spécialistes, le business du stress s’ouvre aussi à des généralistes issus des RH ou de fonctions opérationnelles. On trouve sur ce créneau des sociétés comme Axis Mundi, expert en « développement du potentiel humain », ou Artélie Conseil, qui s’intéresse aux « situations humaines difficiles ». Pour se faire une place au soleil, ces nouveaux venus n’hésitent pas à remettre en cause les modes opératoires de leurs prédécesseurs. Le dossier de presse d’ASP Entreprises dresse ainsi la liste des sociétés qui, malgré leur observatoire du stress, n’ont pu se prémunir contre le risque suicidaire.
À l’instar du constructeur Renault, qui n’a pas su, ou voulu, exploiter les données recueillies. « Les outils de mesure sont d’un intérêt limité. Ils permettent au mieux de localiser les endroits où la plainte est la plus aiguë. Encore faut-il, après, être capable de transformer ces résultats en actions », observe la directrice générale d’ASP Entreprises, Valentine Burzynski, ex-consultante chez Bain puis Roland Berger. De quoi ajouter encore à la confusion des dirigeants, DRH en tête, complètement déboussolés par la question du stress.

Stéphane Béchaux