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Dans les syndicats, l'arrivée des nouveaux adhérents sera-t-elle vivifiante?

Syndicats | publié le : 05.09.2023 | Judith Chetrit

Dans les syndicats, l'arrivée des nouveaux adhérents sera-t-elle vivifiante ?

Dans les syndicats, l'arrivée des nouveaux adhérents sera-t-elle vivifiante ?

Crédit photo Emanuel Corso / Adobe stock

Plusieurs mois de lutte unitaire contre la réforme des retraites auront permis aux centrales syndicales de faire repartir les adhésions à la hausse. Aujourd’hui, les syndicats font les comptes et cherchent à s'assurer de l'engagement à plus long terme de ces néosyndiqués. Pour peser dans les entreprises… et face à l'État.

Jamais les syndicats n’ont été aussi enthousiastes à communiquer sur leur nombre d’adhérents. Plutôt habitués à répondre laconiquement sur une syndicalisation poussive et effritée ou à botter en touche sur la faible participation aux élections professionnelles, la vague continue d'adhésions enregistrée depuis le début 2023 leur redonne un élan qu’ils comptent bien pérenniser au-delà de l’effet d’annonce. Au début de l’été, le cap des 100 000 nouveaux adhérents, toutes organisations confondues, semblait déjà franchi.

Certes, il faudra décompter les sortants pour obtenir un nombre net d’arrivées, mais rien que la CGT et la CFDT ont édité pas moins de 80 000 nouvelles cartes : 32 000 et des milliers de demandes de contacts pour le premier et plus de 47 000 adhésions pour le second. Les autres syndicats avancent des pourcentages ou des fourchettes : entre + 10 % et + 30 % en fonction des fédérations à la CFE-CGC, 6 000 à 8 000 nouveaux cotisants chez Force Ouvrière et l’Unsa relève une accélération des demandes d’adhésion sur tout le premier trimestre. « Nous savons que certains ont adhéré par soutien, mais il nous faut avoir pour objectif d’éviter que ces syndiqués partent et qu’ils puissent trouver leur place dans l’organisation syndicale », avance Catherine Giraud, secrétaire confédérale en charge de la vie syndicale et du renforcement.

« La lutte contre la réforme des retraites a été un accélérateur »

Passé cette litanie de bons chiffres, qui peuvent autant signer un ralentissement de la désaffection qu’un changement plus durable de perception sur le syndicalisme et le monde du travail, chacun avance les facteurs qui expliquent ce succès d’estime – en n’y mettant pas tous les mêmes pondérations. Bien que les gains aient été faibles à l’arrivée, il y a bien entendu la popularité de l’intersyndicale derrière quatorze journées de mobilisation qui ont généré à chaque fois un pic d’adhésions en ligne. « Nous avions déjà noté une progression des adhésions, mais la lutte contre la réforme des retraites a été un accélérateur et un amplificateur », décrit Jean-Philippe Tanghe, le nouveau secrétaire général de la CFE-CGC.

Mais l’image macro de cette unité d’action s’est aussi conjuguée ces derniers mois à deux cycles d’élections professionnelles dans le public et le privé qui ont un effet habituellement vivifiant sur les sections et les fédérations. Moments auxquels il faut additionner l’arrivée hautement médiatisée de Marylise Léon et de Sophie Binet à la tête des deux principales confédérations. « Ces différents moments ont aidé les syndicats à retrouver de la visibilité et de la légitimité comme corps intermédiaire qui peut réussir à organiser un contre-pouvoir », ajoute Aurélie Merlet, secrétaire régionale de la CFDT en Bretagne. À la CGT, face à la dématérialisation et la hausse importante des inscriptions en ligne, il y a même eu l’envie d’imprimer ces nouveaux bulletins pour se rendre compte de l’afflux !

« Un tiers des nouveaux adhérents ont moins de 35 ans »

Dans les fédérations professionnelles et les unions régionales, l’heure est déjà à l’accueil et l’intégration plus organisée et systématisée des syndiqués en quête d’orientation. Globalement, les rencontres se font sur un mix de présentiel et de visios avec des horaires plus étendus que d’habitude pour s’adapter au rythme de travail et de vie des adhérents. « Cela permet de mettre un visage sur un nom d’adhérent, puis de les interroger sur leurs attentes et les informer sur les services auxquels ils ont accès », glisse Dominique Toussaint, secrétaire général de la CFDT Grand Est qui compte plus de 4 100 nouveaux venus sur un total de 76 000 adhérents. Parmi eux, certains n’ont pas toujours connaissance de l’organisation concrète du champ syndical. À la CGT, un livret d’accueil a été distribué et des inscriptions ont été programmées pour la formation d’une journée « S’impliquer à la CGT » afin de repérer aussi ceux qui avaient envie de s’investir davantage. « Nous avons organisé des temps d’échange sur le sujet entre des unions départementales, car nous avons senti que c’était un levier pour encourager les structures qui pouvaient être inquiètes sur la manière de gérer ces adhérents », indique Catherine Giraud.

Naturellement, un enjeu de fidélisation, mais aussi de connaissances à consolider sur ces membres, dont la photographie socioprofessionnelle peut différer. En partie lorsqu’il s’agit de travailleurs précaires et isolés, habituellement moins syndiqués : « Nous avons beaucoup syndiqué dans les secteurs de la propreté ou de l’aide à la personne », expose Allan Bertu, 34 ans, le plus jeune responsable départemental de la CGT dans le Calvados, qui prépare justement des réunions d’accueil pour le mois de septembre. Avec les fédérations de la santé action sociale et des services publics ainsi que les unions départementales du Nord et de Paris qui cumulent le plus d’adhésions, la centrale de Montreuil se félicite aussi d’une percée chez les jeunes. « Un tiers des nouveaux adhérents ont moins de 35 ans », calcule Valérie Lamoot, la responsable du pôle ressources et données au sein de l’espace vie syndicale, qui souligne une hausse du nombre d’étudiants salariés. Difficile toutefois de jauger encore leur appétence pour des mandats et une carrière syndicale, quand bien même plusieurs personnes interrogées pointent une plus grande politisation et une plus grande attention à la transition écologique ou aux conditions de travail. Lors d’une table ronde organisée mi-juillet par l’association des journalistes de l’information sociale, Lydie Nicol, la secrétaire nationale de la CFDT en charge du développement signalait que 36 % des adhérents disaient se sentir en adéquation avec les valeurs portées par le syndicat lors du remplissage de leur formulaire d’adhésion.

Un quart des élus CSE ne souhaite pas se représenter

Pour les syndicats, la bataille de l’implantation dans de nouvelles entreprises s’en trouve d’autant plus boostée. À son niveau, Khalid Oughzif, secrétaire de la fédération des transports et de la logistique FO-UNCP, l’observe déjà, même si le travail de fond était déjà entamé depuis deux ans. « Nous sommes plus présents sur le terrain pour mener des rencontres avec des salariés près de leurs lieux de travail, témoigne-t-il. Dès qu’il y a deux adhérents, il est possible d’organiser des réunions. Cela répond au besoin ressenti actuellement de créer de l’unisson autour des questions de rémunération et des conditions de travail. » La confédération organisait en avril dernier un forum sur le développement de la syndicalisation où il était invité à raconter comment il a créé une série de pages Facebook pour chaque établissement du groupe Amazon en France, où cinq sections ont pu être créées. « On apportait des informations et on répondait déjà à leurs questions avant de les solliciter sur leur envie de s’engager », complète-t-il. De même, la fidélisation des entrants a fait l’objet de différentes prises de parole lors de l’au revoir à Laurent Berger au Zénith de Paris. « Cela entraîne tout le monde dans une dynamique de fierté militante. Cette hausse des adhérents nous oblige aussi », commente Dominique Toussaint. Peu encore parviennent, par exemple, à déterminer un nombre fiable de nouvelles entreprises de provenance parmi les syndiqués.

Par ailleurs, pour l’instant, alors que les CSE se renouvellent dans le privé, ce regain d’adhésions se traduit encore peu dans le climat social des entreprises à un niveau plus microéconomique. Un décalage qui s’explique aussi par le temps de la construction d’une culture militante et d’un engagement : « L’histoire sociale et syndicale est peu enseignée en France. L’acculturation est importante dans l’entrée d’un collectif de ce type, a fortiori lorsque ce sont des jeunes qui, en montant plus rapidement les échelons, peuvent faire grincer les dents de militants plus anciens », estime Camille Dupuy, maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Rouen. À la clé, le mandat est surtout perçu comme moins attractif qu’auparavant, pointe la consultante de Syndex, Marion Edern, qui s’appuie sur un récent baromètre pour rappeler qu’un quart des élus multicartes des CSE n’avait pas envie de se représenter à un nouveau mandat. « L’accompagnement dans le parcours militant importe pour sécuriser les personnes et les emmener vers un premier mandat », ajoute-t-elle. Autrement dit : encore un peu trop tôt pour clamer le renouvellement générationnel, mais déjà un argument de plus pour asseoir ses positions dans un agenda social de rentrée bien rempli.

Auteur

  • Judith Chetrit