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Les chasseurs de fraude sociale

Liaisons Sociales Magazine, N° 154 | Salaires | publié le : 04.09.2014 |

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En dix ans, les recouvrements de l’Urssaf ont quintuplé. La triche touche tous les secteurs. Mais, mieux coordonné et renforcé, le contrôle est plus efficace. Gare aux flics du social !

C’est un fléau qui siphonne les caisses de l’État et met en péril notre modèle social. Le montant des fraudes à l’Assurance maladie, à Pôle emploi (voir page 32), à l’Urssaf…, bref, à tous les organismes sociaux, oscillerait entre 20 et 24 milliards d’euros selon les estimations de l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss), le shérif des Urssaf. C’est plus que le déficit de la Sécurité sociale ou le coût de l’évasion fiscale !


Parmi les arnaques en tout genre, la plus pratiquée reste le travail illégal. Entre la crise qui rogne les marges et le ras-le-bol fiscal qui délégitime le paiement de l’impôt, il est devenu un sport national. « Une partie de notre économie s’accommode de systèmes frauduleux, observe le colonel Patrick Knittel, qui commande l’Office central de lutte contre le travail illégal (voir page 26). Il y a une banalisation des pratiques, surtout au niveau de l’économie grise. » En clair, on ne déclare pas tout. On « oublie » des heures. Les rabotages publics, comme la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires ou du calcul forfaitaire des cotisations dans les services à la personne, ont le don de faire flamber le travail au noir. « Mon Chinois à moi, il est juste à côté ! Quand on change les règles du jeu, c’est 80 000 emplois en moins ! tempête Maxime Aiach, président de la Fédération du service aux particuliers. En 2013, le nombre d’heures déclarées dans le secteur a chuté de 6,1 % ! » Les métiers de main-d’œuvre sont logiquement les plus indélicats. L’Ins­pec­tion du travail et l’Urssaf les ont à l’œil. Dans le bâtiment, l’agriculture et les ­hôtels-cafés-restaurants, 12 000 entre­prises ont été épin­glées en 2012 sur 65 000 contrôles. Soit 18,7 % !

Fini, la clémence. Faux indépendants ou faux statuts, travail à mi-temps en réalité à plein temps… Les fraudeurs rivalisent d’audace. Tous ne sont pas des pros du montage offshore sophistiqué, comme dans le détachement (voir page 28). Il y a aussi ceux qui se prennent les pieds dans le tapis. « Nul n’est censé ignorer la loi mais elle est tellement compliquée qu’on peut en toute bonne foi se retrouver dans des situations gênantes », nuance David Ser, directeur général du cabinet d’opti­misation des coûts sociaux Atequacy. Ce pauvre cafetier breton se demande encore quelle mouche a piqué les inspecteurs de l’Urssaf qui lui ont infligé une amende de 9 000 euros pour travail dissimulé simplement parce que les clients allaient chercher et rapportaient leur verre au comptoir !

L’histoire pourrait paraître anecdotique mais elle prouve que la clémence n’existe plus ! Le travail illégal a son plan trien­nal 2013-2015, la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) et les comités opérationnels départementaux anti­fraude (Codaf) ont remplacé la Délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal (Dilti). Pas moins de 11 organismes interviennent sur le sujet ! Un mille-feuille administratif qui en vérité fonctionne plutôt bien. Plus d’une enquête pénale sur quatre résulte d’opérations conjointes de différents services (gendarmerie, police, DGT, Urssaf...).


En 2013, les redressements de l’Urssaf s’élevaient à 290 millions (hors Unedic), soit cinq fois plus qu’en 2004 ! « Tous les ans, nous contrôlons près de 12 % des entreprises employant du personnel et, tous les trois ans, 50 % des cotisations déclarées par les employeurs », précise Jean-Marie Guerra, directeur de la réglementation, du recouvrement et du service de l’Acoss. Répartis au sein de 22 Urssaf, 1 500 cow-boys traquent les contrevenants. Datamining, textmining et modélisation économétrique sont leurs armes fatales. Élaborés par des statisticiens et des docteurs en mathématiques, des logiciels permettent de classer les entreprises par niveaux de risque en fonction de caractéristiques susceptibles de constituer une fraude (retards de paiement, nombre de redressements, secteur…). Celles qui explosent les scores ont droit à leur petite descente… « Ce qui fait la performance du contrôle, c’est le produit de la qualité du ciblage et des investigations conduites sur le terrain », note Jean-Marie Guerra. Mais une fois pincés, les tricheurs se débrouillent pour ne rien régler. La plupart mettent la clé sous la porte et disparaissent du jour au lendemain. À peine 20 % des sommes redressées par les agents de l’Urssaf sont ef­fectivement recouvrées. Dommage pour la Sécurité sociale !


Auteur : Emmanuelle Souffi

 

7 % des entreprises auraient déjà recouru au travail dissimulé.
20 milliards d’euros sont détournés par an.
10,8 % C’est le poids de l’économie souterraine dans le PIB français.
28 %des entreprises épinglées appartiennent au secteur du BTP.
Sources : Cese, Assemblée nationale.