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Vie des entreprises

Sea, sex… and contrat de travail ?

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.02.2009 | Jean-Emmanuel Ray

Les participants de ’l“Ile de la tentation”, l’émoustillante émission de téléréalité de TF1, sont-ils des salariés ? Cette question ubuesque, s’agissant de jeunes gens invités à batifoler dans un cadre paradisiaque, a été posée à la cour d’appel de Paris, qui a répondu par l’affirmative. Le verdict – très attendu – de la Cour de cassation devrait intervenir à la fin du mois de mars.

Nous devions nous lever et nous coucher aux heures dites, nous soumettre à un programme d’activités ne nous laissant ni liberté, ni fantaisie. Nous ne pouvions pas sortir du site de tournage sans autorisation, et nos téléphones portables nous avaient été retirés. » Qui sont donc ces survivants de la Case de l’oncle Tom, dont l’avocat exploitant avec brio ce très médiatique filon (JuriStar Ac) évoquait, devant des conseillers prudhommes plus habitués au respect du smic et à la lutte contre les discriminations, les « conditions d’enfermement », mais aussi « les gardes armés qui bloquaient le site » ? Qui a été contraint de rejoindre ce camp de travail où des vopos semblent tirer à vue sur d’éventuels fuyards parmi ces nouveaux serfs ?

Selon Glem, la société de production de l’Ile de la tentation, « quatre couples non mariés et non pacsés, sans enfant, voulant tester leurs sentiments mutuels lors d’un séjour de quatorze jours dans un hôtel thaïlandais situé sur une île du golfe du Siam, pendant lequel ils sont filmés dans leur quotidien, notamment pendant les nombreuses activités qu’ils partagent avec des célibataires de sexe opposé. à l’issue de ce séjour, “tentateurs” et “tentatrices” font le point sur leurs sentiments envers leur partenaire ».

De quelles activités s’agit-il exactement ? Officiellement, de véritables travaux forcés : plongée, équitation, ski nautique, voile, jet-ski et feux de camp. Officieusement ? Les participants doivent céder à la tentation d’au moins trois des sept péchés capitaux : paresse, envie, puis luxure. En un mot, impérativement coucher avec autrui dans les douze jours, si possible sur la plage, au soleil couchant. Car si tout le monde restait fidèle et jouait au volley, franchement quel intérêt pour les millions de télé-voyeurs ?

Pourquoi cette distrayante affaire devient-elle véritablement calamiteuse pour le travailliste voulant voir plus loin que le bout de son Code ? Car ces forçats bien conseillés se sont rétrospectivement découverts honteusement exploités dans les soixante mois de la prescription des salaires, et ont demandé la protection du faible et de l’opprimé en saisissant plusieurs conseils des prud’hommes, dont certains ont cru devoir leur donner raison : CDI, paiement d’heures sup’ (y compris pour le voyage aller-retour en avion, sans pause de vingt minutes au bout de six heures ; rien n’est dit sur les temps d’habillage et de déshabillage), dommages-intérêts pour licenciement (au bout de deux semaines) sans procédure ni cause réelle et sérieuse, et indemnité pour travail dissimulé.

UN VÉRITABLE ACTEUR TRAVAILLE QUAND IL JOUE

Comme abondance ne nuit point, certains avaient aussi demandé à se voir reconnaître le statut d’artiste-interprète, avec à la clé le minimum conventionnel des artistes-interprètes de télévision.

Sur ce point, l’arrêt de la cour de Paris du 12 février 2008 est parfaitement respectueux de l’article L. 212-1 du Code de la propriété intellectuelle : « Si Mme Y. a été impliquée dans des jeux de scène guidés par le producteur, elle n’a pas eu à interpréter une œuvre littéraire ou artistique pour la réalisation du programme de télé-réalité à laquelle elle a participé. Elle n’a pas joué un rôle, même si elle a pu parfois, pour satisfaire au concept de l’émission, être orientée dans l’analyse de sa conduite et répéter certaines scènes filmées afin de valoriser quelques moments essentiels. Enfin, le fait d’être filmé, même au cours de relations cadrées, n’implique pas une activité d’artiste-interprète. » Ouf ! Se mettre soi-même en scène en dehors de tout scénario ne fait ni l’artiste ni l’interprète. Comment y voir un salarié ?

UN JOUEUR NE TRAVAILLE PAS : PAS DE CONTRAT DE TRAVAIL SANS TRAVAIL

Si certains juges ont donné raison à ces damnés de la mer, celui de Saint-Étienne s’est déclaré incompétent le 21 décembre 2008 : « La relation ayant existé entre Raymond Reboul et la société Glem n’était pas constitutive d’un contrat de travail. »

Le conseil des prud’hommes de Boulogne a pour sa part entendu début décembre 2008 les avocats de 74 participants de l’Ile de la tentation et d’une trentaine d’autres émissions de télé-réalité ne se remettant toujours pas d’avoir quitté les feux de la rampe. Les divers jugements seront rendus entre février et mars prochains… la Cour de cassation devant statuer fin mars sur le renversant arrêt de la cour de Paris du 12 février 2008.

Sa requalification en contrat de travail au nom du principe de réalité, sur le ton de l’évidence pour une émission de télé-réalité où chacun se met lui-même en scène dans des positions avantageuses, surprend d’abord sur le plan technique : où sont les ordres patronaux ? Et le pouvoir disciplinaire ? La naïade décidément trop chaste va-t-elle être mise à pied ? Et le service organisé décrit – toute production collective exige un process – ne constitue qu’un indice d’un éventuel « lien de subordination juridique permanente ». Il s’agit davantage d’un contrat aléatoire (Code civil, art. 1964).

« Galvauder : déshonorer » (Littré). Cet arrêt laisse surtout pantois celui qui estime que l’application automatique de la seule technique juridique n’est pas l’alpha et l’oméga du juriste. Spécialement pour les droits placés sous le signe de l’ordre public de protection, qui ont une fonction spécifique, et en particulier le droit du travail qui n’a pas pour vocation de protéger des adolescents dont le seul labeur est de commettre un délit : harceler sexuellement autrui.

Séquence émotion : « Considérant que, même consentie, l’immixtion de caméras dans la vie privée ne relève pas d’un simple divertissement ; qu’elle n’est pas exclusive de contrainte dès lors que l’action consiste à isoler le sujet dans un contexte relationnel de nature à éprouver ses sentiments et partant sa personnalité ; qu’un cadre dépaysant et beau, des activités ludiques ne sont que des contreparties dont l’objet de surcroît est aussi de fournir un décor et un spectacle agréables au téléspectateur ;

Que cette mise à l’épreuve de la personne relève bien de la définition avancée par l’appelante, selon laquelle le travail est une “activité humaine exigeant un effort soutenu, qui vise à la modification des éléments naturels, à la création et/ou à la production de nouvelles choses, de nouvelles idées”, soit en l’espèce la mise à l’épreuve pendant plusieurs jours et nuits de sentiments en vue de leur évolution, la modification de relations interpersonnelles aux fins de soumission des réactions des sujets, notamment au cours de séances obligées appelées “feux de camp”, à l’examen du téléspectateur ;

Que la prestation d’un travail est consacrée d’ailleurs par le règlement liant les parties qui impose en effet une disponibilité permanente du “participant” pour le tournage, avec interdiction de sortir du site et de communiquer avec l’extérieur, pendant plusieurs jours et nuits tant que dure le tournage, le “participant” ne pouvant interrompre sa collaboration qu’au motif de circonstances exceptionnelles ou avec l’accord préalable de la société de production. »

Requalification en contrat de travail, avec, pour notre Cosette ayant « travaillé » douze jours sur une île paradisiaque, 8 176 euros pour heures sup’, 817 de congés payés, 500 euros de dommages-intérêts pourlicenciement irrégulier, 1 500 euros pour rupture abusive et, cerise sur le gâteau, 16 012 euros d’indemnité pour travail dissimulé. Soit près de 30 000 euros (avec les 1 525 euros initialement payés par la production à titre « d’avance sur les recettes de produits dérivés ») pour exhiber l’intimité de sa vie privée.

" NUR JURIST, KEIN JURIST "

Nous éviterons de pleurnicher sur cette malheureuse filiale de TF1 se plaignant par avocat interposé des 30 000 à 400 000 euros demandés par chaque ex-lofteur ou tentateur, « soit l’équivalent de dizaines d’années de smic par ces personnes dévoyant la notion de travail ». TF1 serait-elle une franchise d’ATD Quart-Monde ou un centre de réinsertion ignorant la notion d’argent, voire de profit ? Nemo auditur…

Évitons aussi de faire la morale à ces nouveaux Icare de 25-30 ans aux revenus souvent faibles voulant obtenir toujours plus ; ils gagneront 100 fois moins, et ont été surtout beaucoup moins nocifs pour la collectivité, que d’autres du même âge ayant obtenu des bonus annuels de millions d’euros pour vendre des produits financiers pourris qui ont fini par contaminer toute l’économie mondiale avec les résultats que l’on connaît.

Mais, côté magistrats, peut-on raisonnablement juger « au nom du peuple français » qu’exhiber ses charmes, certes un peu télé-guidés, constitue sans rire un travail exigeant la protection du Code du même nom, à l’instar du faux artisan mais véritable salarié du BTP pas payé depuis six mois ? Pour le travailleur se levant chaque matin pour aller au bureau ou à l’usine, chaque tentateur et autre lofteur va-t-il « bosser », « boulonner », « marner », « trimer », « turbiner », « bûcher » quand il fait du jet-ski ou doit s’approcher d’une peu farouche créature ?

Il importe que la justice ne prête pas la main à une opération aussi contre-productive en termes d’exemplarité pour les jeunes générations, pour l’image du droit mais surtout d’elle-même : un tel autisme technico-judiciaire en cette année 2009 que l’on pressent socialement terrible serait parfaitement décalé.

Ou alors… Ou alors les magistrats de la cour de Paris ont ainsi voulu tuer ces émissions de télé-réalité. Tuer économiquement car si contrat de travail il y a, les coûts de cette « main-d’œuvre » honteusement exploitée vingt-deux heures sur vingt-quatre deviennent astronomiques : TF1 et M6 ont déjà évoqué une délocalisation. Tuer juridiquement car l’application du Code du travail, en particulier des durées de travail et surtout de repos, rend l’opération automatiquement illégale. Même si ces salariés très autonomes passaient en forfait-jour, ils ne seraient pas en forfait-nuit : or, s’il manque à l’antenne les rushs des onze heures minimum de repos (du guerrier) où tout doit se passer… quel ennui !

Jean Valjean, ce représentant de la classe ouvrière que Hugo fait sortir des égouts, va devoir s’occuper de ces émissions de télé-poubelle !

FLASH
Flux et reflux du contrat de travail

Depuis la loi Madelin pour l’initiative économique du 1er août 2003, nombreux ont été les textes visant à contrer l’impérialisme jurisprudentiel d’un contrat de travail jugé trop envahissant. À notre époque, où bien peu de créations d’emplois sont attendues côté entreprises, la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a ainsi créé le très attractif statut fiscal et social d’auto-entrepreneur – et donc d’auto-emploi –, entré en vigueur le 1er janvier 2009 : 40 000 personnes se sont déjà déclarées intéressées.

Par ailleurs et comme le note la circulaire RSI du 12 décembre 2008 : « L’article L . 8221-6 du Code du travail prévoyait l’application de la présomption de non-salariat rétablie par la loi du 1er août 2003 au cas du travailleur indépendant ou de la société régulièrement immatriculée. La loi de modernisation de l’économie complète cette disposition en étendant la présomption de non-salariat aux personnes exerçant une activité commerciale ou artisanale qui bénéficient de la dispense d’immatriculation (liée à l’auto-entreprise) ».

Le législateur a aussi inséré un article L. 8221-6-1 au Code du travail qui dispose qu’est « présumé travailleur indépendant celui dont les conditions de travail sont définies exclusivement par lui-même ou par le contrat les définissant avec son donneur d’ordre ».

« La subordination à vie est-elle un idéal insurpassable ? » (Alain Supiot).

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray