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Politique sociale

Vacances de luxe pour les héros du travail cubains

Politique sociale | publié le : 01.02.2009 | Hector Lemieux

Les « meilleurs » travailleurs cubains se voient offrir des séjours dans des hôtels-clubs pour touristes étrangers. Au paradis du socialisme tropical, l’égalité reste hiérarchisée.

Ils sont arrivés dans une Lada jaune hors d’âge. La mère de famille a filé vers la réception, laissant sa sœur avec les valises et deux fillettes. « Companera (“camarade”, NDLR), voici votre bracelet », a dit la réceptionniste. Toute la famille Dominguez a reçu un bracelet jaune, le précieux sésame qui permet d’accéder aux services de l’hôtel (1). Yanitza, la mère, est directrice de banque à La Havane. Récompensée pour ses bons résultats professionnels et son dévouement au régime castriste, elle a eu droit à une semaine de vacances tous frais payés avec ses proches.

Selon Juan Carlos Espinosa, coordinateur des études à l’Instituto de estudios cubanos de l’université de Miami, il existe, au total, plus de 26 médailles du travail, « héros du travail », « avant-garde nationale », « avant-garde provinciale », etc. à Cuba, chaque entreprise fixe des objectifs à ses salariés. La banque qui emploie Yanitza a reçu le titre de Vanguardia nacional (avant-garde nationale). Si tous les employés méritants peuvent bénéficier, en théorie, de congés payés dans des hôtels-clubs de l’île, la plupart des élus sont des cadres : ingénieurs, personnels de santé… « Les familles viennent pour trois jours ou pour une semaine. Cela dépend de leurs résultats. Celles qui résident dans cet hôtel font partie de la Vanguardia. Ce sont les meilleurs travailleurs qui sont ici, les meilleurs des meilleurs dans leur catégorie. Enfin, presque, car il y a aussi quelques Cubains qui connaissent les camarades des agences de voyages et d’autres qui sont des membres du Parti », explique Vladimir, un jeune serveur, en s’assurant que ses collègues ne l’écoutent pas. Car, à Cuba, une parole inappropriée peut vite vous mener en prison. Dans le complexe hôtelier où travaille Vladimir, au cœur des plages de l’est de La Havane, la moitié de la clientèle est cubaine.

Héros du travail. « Pour avoir montré une attitude révolutionnaire et des mérites au travail », explique la journaliste cubaine Amarilis Corta Rey sur le site Internet Cubanet, les bons soldats du régime savourent des vacances payées par le gouvernement dans un immense hôtel aux capitaux cubains et étrangers. Avec la production de nickel, de fer et de sucre, le tourisme est devenu l’une des principales sources de revenus du régime. Le nombre de touristes a bondi de 340 000 en 1990 à plus de 2,3 millions en 2008, pour des revenus de 1,6 milliard d’euros. Selon Jean Lamore, professeur à l’université Bordeaux III et auteur de Cuba (éd. PUF, 2007), « plus de 400 000 personnes travaillent actuellement dans le tourisme », soit près de 10 % de la main-d’œuvre cubaine. Le tourisme compte pour 41 % dans la balance des paiements.

Dans un pays qui importe 80 % de ses besoins alimentaires, les hôtels-clubs trônent au firmament des paradis inaccessibles. Car si la croissance a été officiellement de 7 % en 2007 à Cuba, la pauvreté, elle, est permanente. « Il paraît qu’au restaurant on peut manger ce que l’on veut. Il y a des œufs et même de la viande et du poisson. Il suffit de demander et le cuisinier prépare ce que l’on souhaite », assure Ernesto, étudiant, à une fiancée ébahie. À l’heure des repas, des familles cubaines subjuguées par les formules de plats à volonté engloutissent des montagnes de poulet et de riz. En ce soir d’hiver tropical, 80 employés de l’entreprise nationale d’électricité participent à un séminaire de motivation de trois jours. La bière Bucanero coule à flots. On sort les appareils photo numériques envoyés par les cousins de Miami. Cet autre groupe de salariés du ministère de la Santé s’est vu décerner la Vanguardia pour la réalisation de 20 disques compacts, destinés aux professionnels de la santé qui travaillent au Venezuela. Sur 4,9 millions de travailleurs cubains, pour une population de 11 millions d’habitants, 78 % travaillent pour l’État.

À Cuba, le salaire mensuel d’un policier varie de 8 pesos convertibles (7 euros) à 25 pesos convertibles (22 euros). Le salaire d’un médecin, de l’ordre de 20 pesos convertibles (18 euros), compte parmi les plus élevés de l’île. Tous ces revenus sont complétés par le marché noir ou par la corruption. Les inégalités entre les riches Cubains, les membres du Parti, les travailleurs méritants, d’une part, et la majorité laborieuse, d’autre part, sont criantes. « À l’hôtel, nous n’avons pas tous les mêmes revenus. Les barmans gagnent parfois 20 pesos de pourboires par jour ! Certains camarades ont droit aux buffets de l’hôtel. Moi, je dois avaler une nourriture pas toujours mangeable à la cantine et je n’ai droit à aucun pourboire », s’indigne cet animateur. D’autant que les Cubains travaillent souvent six jours par semaine, à raison de huit heures par jour.

Travailler plus. Fin décembre 2008, Raul Castro, qui a succédé à son frère Fidel, a annoncé que la retraite était repoussée de 60 ans à 65 ans pour les hommes et de 55 ans à 60 ans pour les femmes. Pour la Vanguardia, ces vacances sont donc un véritable bonheur. Natacha et Ramon poussent la porte de la Tienda, la boutique du complexe touristique. Le couple découvre des dizaines de maillots de bain, mais aussi du shampoing et du dentifrice. « C’est du luxe à Cuba, puisqu’il faut payer ces produits en pesos convertibles (une monnaie réservée aux étrangers et aux membres de la nomenklatura), mais au moins ici on regarde sans faire la queue », philosophe Ramon. Rachel, architecte retraitée de Santiago, se souvient des belles années : « Dans les années 1980, nous allions une semaine à Varadero. C’était fréquent. Il paraît qu’aujourd’hui ces récompenses sont moins courantes. » D’autant qu’à la fin de l’année dernière, Raul Castro a annoncé un plan de rigueur : « Pour maintenir les niveaux de vie actuels, il faut produire plus. »

(1) Les lieux et les prénoms ont été changés.

Auteur

  • Hector Lemieux

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