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Enquête

L’espoir déçu des diplômés

Enquête | publié le : 01.02.2009 | Stéphane Béchaux

Côté grands groupes, la diversité peine à franchir le cap du marketing RH. Côté PME, tout reste à faire. Pour les jeunes, les perspectives sont minces.

D’énormes efforts et des résultats… maigrelets. Pilotées par la préfecture des Hauts-de-Seine, les rencontres Emplois & Divers’Cités, tenues le 20 octobre à la Défense, n’ont pas tenu leurs promesses. 470 CV collectés, 182 jeunes diplômés issus des quartiers prioritaires sélectionnés et coachés, 323 mini-entretiens de recrutement organisés avec 30 entreprises pour 10 embauches espérées début 2009. Pas de quoi pavoiser. « Cette journée n’a pas été bénéfique pour les jeunes, si ce n’est sous l’angle de se confronter à la dureté de l’entreprise », en conclut la ville de Gennevilliers dans une note assassine. Et celle-ci de dénoncer des « postures inadmissibles » : certaines sociétés « regrettaient le manque d’expérience des candidats (Groupama demandait cinq années d’expérience), d’autres ont eu des propos douteux (« Vous êtes une outsider »), d’autres enfin voulaient quitter l’initiative (Groupe Lagardère) estimant qu’il y avait trop de candidatures de juristes ». Même sévérité à Colombes. « Ce type d’opération relève du jeu de dupes. Si les recruteurs ne cherchent dans les cités que des profils rares, ce n’est pas la peine », critique Patricia Margely, directrice des affaires économiques et de l’emploi de la commune.

Culte du diplôme. Hormis dans les secteurs en forte pénurie de main-d’œuvre, telle l’informatique, les grandes entreprises n’ont pas renoncé au culte du diplôme et de la grande école. « Les recruteurs n’ont pas repensé leurs pratiques et leurs besoins. Ils viennent chercher dans les banlieues des diplômés d’HEC ou de Sciences-Po avec juste une autre couleur de peau. C’est un problème majeur », déplore Carole da Silva, fondatrice de l’Association pour favoriser l’intégration professionnelle (Afip). Des pedigrees exceptionnels. Plus que de superdiplômés issus des formations d’élite, les cités regorgent de jeunes sortis des cursus universitaires en sciences humaines ou d’écoles de communication ou marketing de troisième catégorie. « Dans les quartiers, les premières discriminations sont antérieures à l’emploi. Elles commencent lors des études. Pour s’orienter, ces jeunes suivent d’abord les conseils du corps professoral, quand les autres s’appuient sur des structures professionnelles », note Naouel Amar, déléguée générale de l’Association pour faciliter l’insertion professionnelle des jeunes diplômés (Afij).

Découragés. Mal adaptés au marché de l’emploi, ces profils n’attirent pas l’œil des recruteurs. D’autant moins qu’ils ne disposent d’aucun réseau professionnel pour les aider à franchir le seuil des entreprises. Or, écumer les forums et répondre aux annonces ne suffit pas. « J’ai envoyé des dizaines de CV et de lettres de motivation. La plupart du temps, on ne me répond pas. Ou alors pour me dire que je suis trop jeune ou pas assez expérimentée », témoigne Radhia, 22 ans, titulaire d’un BTS comptabilité et gestion, qui habite dans une zone urbaine sensible de l’agglomération nantaise. « Quand vous venez d’une cité, avec un nom à consonance étrangère, il y a toujours une bonne raison pour préférer le candidat d’à côté, qui vous rassure parce qu’il vous ressemble. Et, au bout de deux ans, on vous dit que votre formation ne vaut plus rien », dénonce Saïd, 29 ans, intérimaire malgré son master professionnel de physique. Un parcours très ordinaire. Dans les cités, on ne compte plus les jeunes diplômés qui, découragés par des recherches infructueuses, acceptent un boulot alimentaire et disparaissent à jamais des circuits.

Pour tenter d’arrêter ce gâchis, quelques initiatives se font jour. Dans le Rhône, le préfet se démène depuis dix-huit mois pour faire embaucher les jeunes diplômés en galère des ZUS de l’agglomération lyonnaise. Entre octobre 2007 et mars 2008, une première opération a permis à 309 jeunes de plus de 25 ans, de niveau bac + 2, de décrocher un CDI et à 441 autres d’obtenir un CDD. Désormais baptisée Motivés par l’emploi, l’initiative a été reconduite et élargie. En Seine-Saint-Denis, c’est le Medef qui a pris les devants en lançant, en novembre 2005, l’opération Nos quartiers ont des talents. La structure patronale accompagne les bac + 4 des cités franciliennes vers l’emploi en les faisant « coacher » par des parrains cadres en entreprise.

En trois ans, 1 600 auraient ainsi décroché un emploi, selon les chiffres de l’association, qui va ouvrir des antennes à Lyon et à Marseille. Une tâche ardue. « On a du mal à toucher ces jeunes, qui sont souvent invisibles. Certains ont un job alimentaire, d’autres ne sont pas inscrits à l’ANPE. Pour nous aider à les identifier, on a écrit à plus de 300 mairies. Le nombre de réponses est ridicule ! » dénonce le délégué général, Raynald Rimbault. Des opérations encourageantes, mais insuffisantes. Entre 2004 et 2007, le taux de chômage des diplômés du supérieur résidant en ZUS a stagné, aux alentours de 11 %. Celui des bac + 2, lui, a sérieusement augmenté, passant de 10,4 % à 13,2 %. Des taux deux fois supérieurs à ceux des quartiers voisins, dans lesquels l’emploi a connu une certaine embellie sur la même période…

Ces résultats obligent à relativiser la portée des opérations lancées par le gouvernement et les patrons depuis 2004. Chartes, accords, colloques, forums, opérations spéciales… la promotion de la diversité est devenue un business et une obligation pour toute entreprise soucieuse de sa marque employeur. « Certaines – mais pas toutes, loin de là – sont assez cyniques. Elles se disent que pour continuer à attirer les mêmes talents qu’avant, elles ont intérêt à inclure un volet sociétal sur la diversité dans leur communication de recrutement », observe Olivier Théophile, directeur d’études à Entreprise & Personnel.

En l’absence de données chiffrées – la Cnil en refuse la collecte –, difficile de distinguer entre belles intentions et résultats concrets. Y compris dans les entreprises réputées vertueuses, telle celle de Claude Bébéar. « Axa fait énormément d’actions internes de sensibilisation et de formation. Cela va indéniablement dans le bon sens. Mais en matière d’embauches, les résultats ne nous semblent pas exceptionnels », juge ainsi le coordinateur cédétiste de l’assureur, Daniel Kayat.

Opération de communication. Aujourd’hui, rares sont les groupes qui, à l’instar de L’Oréal, ne cantonnent pas le sujet à la fonction RH, mais forment l’ensemble de leurs managers. « Certaines entreprises communiquent sur le sujet sans vraiment s’engager. Pas nous. La diversité fait partie intégrante de notre réalité depuis plusieurs années », justifie Jean-Claude Le Grand, directeur mondial de la diversité chez L’Oréal. La multinationale aurait, néanmoins, encore du mal à sortir du culte du diplôme d’élite. « Chez eux, recruter un jeune issu de l’université reste un exploit », note un consultant spécialiste de la diversité.

Avec le plan Espoir banlieues, les entreprises peuvent, désormais, prendre des engagements chiffrés. Sur la période 2008-2010, les 68 premiers signataires ont ainsi promis de recruter plus de 40 000 jeunes issus des ZUS, diplômés ou non, en CDD ou CDI. Mais l’initiative ne dépasse pas, pour l’instant, l’opération de communication. « On n’a pas attendu le gouvernement pour recruter des techniciens dans les quartiers. Le formaliser ne change rien pour nous. Sauf à nous faire connaître », estime Emmanuel Journé, secrétaire général de la société de dépannage informatique PC30, qui a promis d’engager 35 % de ses recrues dans les cités sensibles en 2010. « Le secrétaire d’état est ravi de nous faire poser sur la photo. Nous, ça nous permet de communiquer et de valoriser nos métiers », renchérit éric Dadian, patron d’Intra Call, dont « 30 à 40 % » des téléconseillers viennent des cités. Au cabinet de Laurent Wauquiez, on refuse de donner des chiffres détaillés, entreprise par entreprise : « On a promis de ne pas communiquer à leur place. Toutes ne prennent pas d’énormes engagements. Mais on compte sur la mise en pratique et l’effet d’entraînement. »

Du côté des dirigeants, on suit les courbes de près, mais sans appréhension. « Notre objectif principal, c’est de diversifier les sources de recrutement. On fait le pari qu’en y parvenant on donnera naturellement leur chance à des jeunes issus de ZUS », explique Laurent Geoffroy, le DRH de Coca-Cola, qui a promis 45 embauches en 2009, sur un total de 300 recrues. Un travail en profondeur, qui oblige à repenser les pratiques. Tout le contraire du CV anonyme, cher à Sarkozy, rejeté par les entreprises. « On le présente comme une recette magique. Mais sa généralisation ne peut pas tenir lieu de politique. Sans traçabilité des processus de recrutement, le CV anonyme ne peut protéger à lui seul contre les risques de discrimination », juge Richard Ozwald, directeur insertion et solidarité de la Société générale.

Pour les jeunes qualifiés des cités, la sortie du tunnel n’est toujours pas en vue. Elle implique que les PME se saisissent du sujet, encore trusté par les grands groupes. Depuis quelques années, la CGPME organise, en Ile-de-France, des matinées d’information pour ses adhérents, auxquelles l’Afip participe. Convaincre les petits patrons y reste un combat. « Ils passent leur temps à dire “oui, mais”. Ils ne voient dans la question de la diversité qu’un souci supplémentaire et dans la Halde qu’un nouvel ennemi », constate Carole da Silva. Une frilosité avouée à demi-mot par la CCIP des Hauts-de-Seine, qui s’est énormément impliquée dans les rencontres Emplois & Divers’Cités : « On n’a eu aucun mal à mobiliser les grandes entreprises. Mais pour les PME, c’était timide. » Avec la crise, pas sûr que la prise de conscience s’accélère…

Benoît, 29 ans, Villiers-le-Bel (95)
“Sans réseau, c'est hyperdur”

Naïvement, j’ai cru qu’avec mon diplôme de l’école supérieure de commerce de Marseille, j’allais trouver facilement du boulot. J’ai vite déchanté. En 2004, après six mois de recherches sans résultat, j’ai accepté un CDI de vendeur dans une boutique de duty free, à l’aéroport de Roissy. Un travail sans rapport avec ma spécialisation en marketing. Mais j’avais besoin de gagner ma vie, d’autant plus que je m’étais endetté pour payer ma formation. Au bout de deux ans, j’ai décidé de reprendre des études. D’abord par correspondance, puis à la fac de Cergy où j’ai obtenu l’an dernier un master 2 en management des technologies de l’information et de la communication. Depuis quelques semaines, je suis de nouveau en recherche active d’emploi. La plus grande difficulté quand on habite en banlieue, c’est l’absence de réseau. Quand on n’a ni carnet d’adresses ni contacts, on se retrouve à répondre à des petites annonces, sur un marché où la concurrence est hyperdure. Probablement que la couleur de la peau ou le quartier de résidence jouent aussi. Mais c’est plus difficile à mesurer car aucun recruteur ne vous dira jamais qu’il ne vous prend pas parce que vous êtes noir de peau.

Dany, 26 ans, Bussy-Saint-Georges (77)
“Je me suis retrouvé lâché dans l'arène”

J’ai quitté l’école supérieure de gestion en décembre 2005, mon master de finance en poche. Contrairement aux autres étudiants, de milieux aisés pour l’essentiel, je n’ai pu compter sur aucun réseau pour chercher du travail : mes parents vivaient au Togo et j’habitais alors dans un quartier populaire de Noisy-le-Grand. Je me suis donc retrouvé lâché dans l’arène. Très vite, j’ai compris que je ne trouverais pas de travail en répondant à des petites annonces. Je suis parti à Londres, en mai 2006, pour bosser comme vendeur dans une boutique de textile haut de gamme. À mon retour, j’ai envoyé des candidatures spontanées dans des banques. Là, ça a marché. J’ai travaillé un an au CIC comme conseiller financier, puis six mois à la BNP comme chargé d’affaires pour les professionnels. Mon premier CDI, je l’ai signé avant l’été 2008 chez Altran, comme consultant junior. Hélas, le client a rompu le contrat et comme j’étais en période d’essai, je me suis retrouvé dehors. Franchement, j’ai hâte de décrocher un nouveau CDI et de valider ma période d’essai. Mes perspectives à long terme, c’est d’occuper un poste d’encadrement. En fonction de mes résultats et des opportunités qui s’offrent à moi. D’où l’intérêt de me constituer un réseau.

Auteur

  • Stéphane Béchaux