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Enquête

La galère sans fin des non-qualifiés

Enquête | publié le : 01.02.2009 | Anne Fairise

Rien n’y fait. Les politiques publiques se succèdent, mais l’emploi reste un mirage pour les jeunes sans diplôme. Dernier-né, le contrat d’autonomie du plan Espoir banlieues, qui table sur l’accompagnement individuel et ouvre le placement aux consultants privés, démarre timidement.

Il y avait de quoi désespérer les cités de Roubaix, Mantes-la-Jolie, Marseille et autres quartiers prioritaires de la politique de la ville. Mais aucune n’a bougé. Et pourtant, la situation des jeunes sans qualification est la pire qui soit depuis dix ans. Trois ans après leur entrée dans la vie active, 32 % pointent au chômage et 51 % sont abonnés aux contrats précaires, révélaient en juin les experts du Céreq. La majorité des jeunes des cités n’a pas profité de la baisse du chômage ces dernières années. Ici, plus qu’ailleurs, ils sortent vite, trop vite, du système éducatif. Les taux de retard scolaire sont deux fois supérieurs à la moyenne dans les collèges des zones urbaines sensibles (ZUS). Le début de la spirale infernale : une orientation rarement accompagnée, pas de carnet d’adresses pour décrocher ne serait-ce qu’un stage, des a priori sur le service public de l’emploi, en contact avec à peine un jeune en recherche d’emploi sur deux. Même « l’accès aux dispositifs des politiques de l’emploi, notamment d’insertion et de formation en alternance, reste limité pour les habitants des ZUS, malgré une plus forte mobilisation dans ces zones des emplois aidés du secteur non marchand », constataient en juillet les sages du Conseil économique et social (CES).

« En banlieue, les jeunes sont peu formés, pauvres, dans des positions sociales peu gratifiantes et insuffisamment inscrits dans des réseaux. Or ces quatre “capitaux” – intellectuel, économique, symbolique et social – sont le socle des ressources nécessaires pour s’en sortir », résume Philippe Labbé, sociologue, spécialiste de l’insertion. L’environnement, ultrachiche en activité économique, n’aide pas à connaître l’entreprise, ni ses codes. Les dessertes en transport public n’y contribuent pas non plus. « Il n’y a pas de liaison satisfaisante, s’étonne encore le CES, entre Villiers-le-Bel et la plate-forme de Roissy-Charles de Gaulle malgré une proximité immédiate à vol d’oiseau. » Quatorze kilomètres, à peine, entre la commune et le pôle d’entreprises et ses 80 000 emplois. Ajoutez à cela l’effet repoussoir de l’adresse auprès des employeurs, qui remettent peu en question leurs pratiques et leurs représentations. Ajoutez-y les discriminations liées à l’origine ethnique, et l’écheveau des difficultés dans lequel sont empêtrés les jeunes sans diplôme des quartiers, semble inextricable.

Dilution des responsabilités. Non pas que, depuis vingt ans, l’État n’ait tenté de le dénouer. Mais en ordre dispersé : à droite, la politique de l’emploi ; à gauche, la politique de la ville. Il a fallu l’explosion des banlieues, en 2005, pour que cette dernière, axée sur les mesures d’exonérations incitant les entreprises à s’installer, inscrive l’accès à l’emploi comme priorité. Bras armé des communes pour l’insertion sociale et professionnelle des jeunes, les 500 missions locales ont ainsi été intégrées au service public de l’emploi et chargées de suivre des jeunes chômeurs. Mais il reste du boulot pour mettre en concordance tous les intervenants. Outre l’Éducation nationale, les pros de l’orientation, les associations, « pas moins de neuf acteurs sont directement concernés », comptabilise le CES : l’État, l’ANPE, les régions… Une dilution des responsabilités qui ne favorise ni l’efficacité ni la lisibilité pour les bénéficiaires.

Emplois ou contrats jeunes, exonérations pour l’embauche d’un premier salarié ou pour un temps partiel, contrats aidés : les dispositifs, spécifiques ou non, pourtant, n’ont pas manqué. Mais la grande nouveauté, depuis dix ans, pour les jeunes peu qualifiés, ce sont les programmes d’accompagnement individualisé, visant insertion sociale et professionnelle, avec un référent unique chargé de « mailler » les dispositifs en un parcours vers l’emploi. Trace, sigle pour trajet d’accès à l’emploi, a ouvert la voie en 1998, suivi par 320 000 jeunes en cinq ans. Les événements de 2005 ont enfanté le Civis (contrat d’insertion dans la vie sociale), signé depuis par 664 000 jeunes, dont un sur cinq issu de ZUS.

Accompagnement ultra-intensif. Mesure-phare du plan Espoir banlieues, le contrat d’autonomie s’en inspire directement. L’objectif ? Mener vers l’emploi, la création d’entreprise ou la formation qualifiante, en trois ans, 45 000 jeunes peu qualifiés des quartiers, de préférence non connus du service public de l’emploi. La baguette magique ? Un accompagnement ultra-intensif (six mois, un an maximum) et contractualisé entre un organisme de placement et le jeune, rémunéré d’une bourse de 300 euros par mois. Peu réaliste pour les pros de l’insertion des jeunes, qui déplorent la mise aux oubliettes de l’accompagnement social. « On ne suit pas un jeune recherchant un premier emploi comme un chômeur de longue durée. Coaching et nouveau CV ne suffiront pas : retrouver la confiance, l’estime de soi, prend plus de six mois », martèle Annie Jeanne, présidente de l’Association nationale des directeurs de missions locales. « C’est une politique bling-bling, renchérit Philippe Labbé, qui fait fi du temps d’apprentissage et de sociabilisation. L’insertion des jeunes, surtout les moins qualifiés, prend de plus en plus de temps : les études sont unanimes. »

Surtout, l’ouverture du placement des jeunes au privé passe mal. C’est la première fois qu’un tel marché est passé. Nouveauté aussi que l’engagement des opérateurs sur des objectifs chiffrés et sur une rémunération aux résultats : « 25 % quand le jeune entame son parcours d’autonomie, 40 % s’il décroche un contrat et 35 %, six mois après, s’il est toujours en emploi », rappelle Thierry Frère, patron de C3 Consultants, présent dans neuf départements. Signe du malaise, seules deux missions locales se sont positionnées. « Répondre à l’appel d’offres pour les missions locales, c’est être reléguées dans un rôle de simple opérateur aux côtés d’organismes vers lesquels elles orientent les jeunes », pointe un spécialiste.

Autre gifle pour le réseau des missions locales qui mettent en œuvre le Civis : le budget moyen par jeune, de 6 000 à 10 000 euros selon les opérateurs du contrat d’autonomie. « Rien à voir avec le budget moyen d’un jeune en Civis ! Le rapport est de 1 à 10. C’est difficile à accepter, lorsqu’on se bat depuis des années avec des bouts de ficelle », renchérit un directeur de mission locale. Attention, précise Thierry Frère, « les budgets intègrent frais de fonctionnement, location des bureaux, budget “frais d’emploi” pour les jeunes, bourse mensuelle. Finalement, le coût de l’accompagnement n’est pas éloigné de celui des missions locales ».

Un vrai accompagnement. Reste que les volumes de jeunes n’ont rien de commun et autorisent un vrai accompagnement individualisé. « Un conseiller Civis suit 80 à 100 jeunes par an ; un conseiller contrat d’autonomie en aura trois fois moins. Il peut faire du sur-mesure et prendre le temps de la prospection. Ce qui fait défaut dans les missions locales », précise Jacques Losson, directeur de la mission locale de Mulhouse, opérateur sur le dispositif. « J’ai un vrai interlocuteur, que je peux appeler à tout moment et voir dans la journée, sans rendez-vous. Ça booste », note Miriam, 20 ans, en contrat d’autonomie depuis décembre. Et il y a d’autres adjuvants : les 300 euros mensuels, vraie rupture sur fond de débat récurrent sur les bienfaits ou non d’un RMI jeunes, et surtout l’enveloppe pour couvrir les frais d’emploi. C’est 1 000 euros par jeune chez C3 Consultants. « Selon les cas, on financera une formation, un permis », précise Ichem Smakhou, responsable de site à Asnières. « Ces aides matérielles sont mobilisables tout de suite : fini le porte-à-porte auprès des financeurs auquel les conseillers de mission locale sont contraints », approuve Jacques Losson.

Alors que l’objectif était de 4 500 contrats d’autonomie fin 2008, la DGEFP n’en comptabilisait que 2 980 début janvier. La faute à la sélection tardive des opérateurs, et au temps nécessaire pour recruter les équipes et trouver des locaux

Las, avec son objectif de 45 000 jeunes en trois ans, le contrat d’autonomie relève de l’expérimentation. Autant utiliser un dé à coudre pour vider la mer : de 150 000 à 200 000 jeunes seraient en quête d’emploi, chaque année, dans les cités, tous niveaux confondus ! Le CES déplore un énième contrat jeune mais pas de vraie « entrée dans l’emploi ». Le contrat d’autonomie assure un accompagnement : aux consultants de mettre le pied dans la porte des entreprises. « Nous allons les convaincre des capacités de nos candidats. Notre ultime carte consistera à puiser dans l’éventail des contrats aidés ou exonérés, pour emporter la décision », note Ichem Smakhou, du site C3 Consultants d’Asnières.

Les nouveaux coachs des banlieues, arrivés depuis septembre dans 35 départements, n’ont pas été accueillis avec des brassées de roses. Sur le terrain, chaque couac est moqué comme une nouvelle preuve d’un échec annoncé. Pas de chance : ils se sont multipliés malgré la prise en main du dossier par Bertrand Martinot. Le patron de la DGEFP réunit, chaque semaine, département après département, préfet, responsable de Pôle Emploi, missions locales, nouveaux opérateurs… Pourtant, l’objectif de 4 500 contrats d’autonomie (10 % du total) à la fin 2008 n’a été atteint qu’aux deux tiers : le 5 janvier, la DGEFP en comptabilisait 2 980, et 3 500 quinze jours après. La faute à la sélection tardive des opérateurs, au temps nécessaire pour recruter les équipes et trouver des locaux. S’installer dans les quartiers n’a pas toujours été possible.

Démarrage difficile. à Grande-Synthe, Ingeus s’est installé au cœur de l’Albeck, cité nordiste où le chômage dépasse 30 %. à Roubaix, par contre, l’enseigne ne s’est implantée dans aucun des deux quartiers qu’elle couvre : « Un lieu neutre, c’est l’assurance de pouvoir accueillir les jeunes de cités concurrentes », note Erik Pillet, directeur d’Ingeus France. Autre écueil, l’entrée en contact avec le public réputé volatile. Le temps du bouche-à-oreille a fait défaut, celui pour arpenter les cages d’escaliers et lancer des campagnes spécifiques (flyers ou numéro vert) aussi. Pour alimenter le programme, les préfets ont donc incité Pôle Emploi et missions locales à orienter des jeunes vers les nouveaux coachs, censés partir à la conquête des jeunes hors des circuits. « Au total, 65 % des jeunes ayant signé un contrat d’autonomie viennent du service public de l’emploi », précisait la DGEFP, début janvier. « Près de 40 % viennent de la prospection de nos consultants. Dans l’avenir, nous espérons qu’ils seront majoritaires », ajoute Erik Pillet, d’Ingeus France. « Le dispositif comporte une difficulté, le nombre important d’interlocuteurs chargés du suivi des jeunes. établir des relations avec chacun prend du temps. »

Dans certains départements, le crêpage de chignons est tangible. « Le Pôle Emploi ne nous a envoyé aucun jeune, déplore un nouveau coach des banlieues. Quand les missions locales jouent le jeu, elles orientent des profils difficiles à intégrer. Dernièrement, une jeune femme enceinte de cinq mois et un jeune homme illettré. »

Reste que le contrat d’autonomie ne va pas modifier, miraculeusement, l’état du marché du travail. Sur les panneaux d’Ingeus à Grande-Synthe : une majorité d’offres d’intérim ou des CDD de téléconseillers. Certes, il y a les milliers d’offres d’emplois et de stages proposés par les grands groupes signataires de « l’engagement national pour l’emploi des jeunes des quartiers » lancé par Christine Lagarde. Encore faut-il que leur adhésion se décline localement. « Les signatures se font au niveau des directions générales, mais il faut le temps que cela redescende sur le terrain. Parfois même, nous faisons connaître aux unités locales l’engagement national de leur groupe », déplore un coach.

Vu la conjoncture, les opérateurs expliquent désormais que 50 % d’accès à « l’emploi durable » des jeunes des cités sans diplôme serait un très bon résultat. à peine supérieur à ceux du Civis, où 42 % des jeunes décrochent un emploi durable au bout d’un an. Seule différence : il aura été décroché en deux fois moins de temps.

Mehdi, de Saint-Denis (93), 18 ans, niveau 2e année de CAP
“Ça s’est mal passé avec mes patrons”

Le plus important pour moi, c’est d’avoir un boulot sûr après le contrat d’autonomie. Mon père est intérimaire dans l’automobile. Je veux pas de cette vie. C’est pour ça qu’après la 3e j’ai fait apprenti en pâtisserie. La pâtisserie, on s’en passera jamais. C’est mon meilleur ami qui m’a donné envie. J’aimais bien le métier, j’ai même été sélectionné pour le concours de meilleur apprenti de France. Mais ça s’est mal passé avec mes patrons. Les premiers m’en ont fait baver : trop d’heures sup’ pas payées et des réflexions racistes, vu mon sang algérien. Avec les seconds, j’apprenais rien. Alors, j’ai tout lâché à quatre mois de passer le CAP. Après, j’ai été hospitalisé et j’ai levé le pied. J’ai pris un an “sympathique” comme on dit : j’ai bossé au black, vendeur ou serveur en boîte de nuit. Mais j’ai tout arrêté depuis le contrat d’autonomie. J’avais pas de temps de faire les recherches. Là, j’ai des pistes pour être préparateur de commandes ou agent de sécurité incendie. Mais mon rêve, c’est d’être webmaster. Ça, c’est l’avenir. Il faut un niveau bac + 5, mais un ami m’a formé et je me débrouille bien. J’aimerais aussi avoir mon studio. La chambre d’hôtel dans laquelle je vis avec mon père, c’est pas le paradis. Y a du moisi sur les murs. Et les fils brûlent quand on met le chauffage.

Sahra, des Francs-Moisins à Saint-Denis (93), 18 ans, niveau 3e
“On m’a baladée comme jamais”

Je veux travailler avec les enfants depuis mes 14 ans. J’espère enfin y arriver avec ce contrat d’autonomie. Car on m’a baladée comme jamais. Mes parents sont fautifs. Après la 3e, je voulais faire un BEP sanitaire et social. Ils ont refusé et je me suis retrouvée en seconde générale, option sciences médico-sociales. Ça m’intéressait pas. J’ai redemandé à partir en BEP sanitaire et social. Y a pas de places, on m’a dit. Alors j’ai redoublé ma seconde. J’ai tenté de passer un CAP petite enfance : j’étais même prise en centre de formation mais j’ai pas trouvé d’employeur. La seconde SMS, j’en pouvais plus. J’y allais plus. Ils m’ont finalement conseillé de trouver un lycée proposant un BEP sanitaire et social. J’en ai trouvé un. Mais je me suis inscrite en seconde générale, option initiation sciences ingénieur, pensant qu’après je pourrais basculer vers le BEP sanitaire et social. Impossible, on m’a dit au 2e trimestre. Alors j’ai tout plaqué et je me suis retrouvée, à 17 ans, à rien faire. J’ai galéré… de la mairie à la MJC et à la mission locale. Dès qu’un éducateur m’a parlé du contrat d’autonomie, j’ai signé. Mais les CAP petite enfance, c’est pas avant septembre. En attendant, j’ai passé le Bafa, la partie théorique. Et je cherche un stage en centre de loisirs.

Auteur

  • Anne Fairise