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La deuxième vie du contrat de transition professionnelle

Dossier | publié le : 01.02.2009 | Sabine Germain, Laure Dumont

Il coûte cher, mais il obtient de meilleurs résultats que les autres dispositifs de reclassement. Crise oblige, le contrat de transition professionnelle, testé sur sept bassins d’emploi depuis 2006, vient d’être étendu à 18 autres zones géographiques.

À Morlaix, Nathalie Mevel a tiré un trait sur ses dix-sept années d’expérience dans l’hôtellerie et la restauration pour suivre une formation de soudeuse : un métier qui lui semble davantage porteur d’avenir. à Charleville-Mézières, éric Soissons a jonglé pendant des années entre CDD et missions d’intérim dans l’industrie. Désireux de quitter l’univers des usines, il a suivi un cursus de conducteur d’engins, puis a été embauché dans une carrière, où il pilote un bulldozer. à Toulon, après avoir été licenciée économique par le restaurant qui l’employait en tant que serveuse, Julie Capodanno n’a pas hésité, en dépit de son jeune âge – 23 ans –, à créer sa propre affaire : un restaurant de cuisine provençale. Trois parcours différents. Mais des histoires qui illustrent bien le mécanisme du contrat de transition professionnelle : un dispositif de reclassement expérimenté depuis mai 2006 dans sept bassins d’emploi (Saint-Dié, Charleville-Mézières, Montbéliard, Valenciennes, Morlaix, Vitré et Toulon), qui – malgré ses bons résultats – s’apprêtait à s’éteindre dans l’indifférence quasi générale. Jusqu’au 25 octobre dernier. Lors d’un déplacement à Valenciennes, Nicolas Sarkozy a annoncé sa volonté d’étendre l’expérimentation à 18 nouveaux bassins d’emploi, dont Sandouville et Niort, durement éprouvés par les difficultés de Renault et le dépôt de bilan de la Camif.

Des critères de choix rigoureux. L’annonce du président de la République a été confirmée par l’adoption, le 9 décembre, d’un amendement gouvernemental au projet de loi de finances 2009. Ces zones géographiques seront choisies « sur la base de critères rigoureux : taille minimum (en termes de population et d’emploi salarié), taux de chômage, sinistralité économique, fragilité du tissu industriel (liée notamment à la crise mondiale affectant la filière automobile) », a expliqué Christine Lagarde, ministre de l’économie, des Finances, de l’Industrie et de l’Emploi, lors des débats parlementaires sur le projet de loi de finances. Le 8 janvier, deux conventions étaient signées entre l’état et deux organismes mutualisant les cotisations de la formation continue, Agefos PME et Opcalia. Elles prévoient l’engagement de 20 millions d’euros répartis par moitié entre, d’une part, les deux Opca et, d’autre part, le Fonds social européen. Dix mille personnes supplémentaires devraient en bénéficier.

Le pilotage opérationnel du dispositif a été confié au nouveau Pôle Emploi issu du regroupement de l’ANPE avec les Assedic. Du moins sur les 18 nouveaux sites. Car sur les sept premiers bassins d’emploi, l’Afpa reste aux commandes, via une structure (Transitio) créée précisément pour gérer le déploiement du CTP. Lors de la signature des conventions, le secrétaire d’état à l’Emploi, Laurent Wauquiez, a annoncé qu’il confiait au patron de Pôle Emploi, Christian Charpy, la mission de constituer une « task force commando » qui interviendrait ponctuellement auprès des bassins d’emploi. Une évaluation complète du dispositif sera réalisée courant 2010. Mais les bilans mensuels d’ores et déjà réalisés par l’Afpa plaident en faveur d’un développement du contrat de transition professionnelle. Sur les 5 730 personnes licenciées par des entreprises de moins de 1 000 salariés dans les sept bassins d’emploi concernés, 4 642 ont choisi d’adhérer à ce contrat ; ce qui représente un taux d’adhésion de 81 %. Parmi ces 4 642 adhérents passés dans le dispositif entre mai 2006 et novembre 2008, 60,2 % ont retrouvé un emploi durable (CDI ou CDD de plus de six mois). Pour y parvenir, 42 % ont changé de métier et 10 % ont créé leur entreprise.

L’adhésion au contrat de transition professionnelle requiert en effet une véritable implication de la part du bénéficiaire : il s’engage à rencontrer son référent chaque semaine, à élaborer et mettre en œuvre un plan d’action pour trouver un nouvel emploi, à suivre les formations qui lui sont proposées et, surtout, à accepter une éventuelle mobilité géographique ou professionnelle. En contrepartie, il bénéficie d’une meilleure indemnisation chômage : 80 % du salaire brut pendant douze mois (contre 70 à 80 % pendant huit mois dans le cadre d’une convention de reclassement personnalisé). Il peut également suivre un parcours de formation (jusqu’à 800 heures) financé pour près de la moitié par l’Agefos PME, un partenaire particulièrement actif du CTP. Dans le cadre d’une mobilité géographique ou professionnelle, il peut aussi demander une période d’immersion en entreprise, pour valider son projet. Enfin, il bénéficie de mesures financièrement incitatives : prime de retour à l’emploi, indemnité différentielle de reclassement, capitalisation des droits restant à courir…

En tête pour les taux de reclassement. Mais surtout, l’adhérent qui a retrouvé un emploi garde la possibilité de reprendre le cours de son contrat de transition à l’expiration de son CDD ou si sa période d’essai n’est pas concluante. « C’est une situation beaucoup plus fréquente qu’on ne le pense, explique Patricia Bouillaguet, directrice générale adjointe de l’Afpa (voir également l’interview ci-contre). Cela s’est produit dans environ 10 % des cas que nous avons suivis. Sachant qu’ils peuvent reprendre le cours de leur CTP si leur expérience n’est pas concluante, les adhérents acceptent beaucoup plus volontiers des propositions d’emploi qui auraient pu les faire hésiter. » Avec le montant de l’indemnisation, c’est la principale différence entre le CTP et les autres dispositifs de reclassement. En particulier, la convention de reclassement personnalisé, qui pourrait céder peu à peu sa place au CTP. Et pour cause : le taux de reclassement du CTP est supérieur à 60 % alors que celui de la CRP n’est que de 39 % et que les cellules de reclassement « classiques », créées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, obtiennent – malgré un coût considérable – un taux de réussite moyen de l’ordre de 56 %.

Un référent pour 30. De fait, le contrat de transition professionnelle coûte, lui aussi, plus cher que les mesures de reclassement classiques. Ne serait-ce que parce que les bénéficiaires sont mieux indemnisés pendant plus longtemps. Et parce qu’ils bénéficient d’un suivi personnalisé, avec un référent pour 30 personnes seulement (alors qu’un conseiller de l’ANPE peut suivre entre 100 et 200 demandeurs d’emploi). Lors de la négociation sur l’assurance chômage engagée en décembre dernier, les partenaires sociaux ont demandé à l’Unedic de chiffrer le coût de l’amélioration de l’indemnisation des victimes d’un licenciement économique. Bilan : une facture de 230 millions d’euros par an. Ce n’est pas exorbitant, mais cette estimation ne tient pas compte du coût de l’accompagnement personnalisé (sur lequel repose en grande partie la réussite du CTP). Ni du probable emballement de la machine à détruire les emplois, qui ne devrait pas connaître de répit en 2009…

Par ailleurs, l’expérience prouve que le bilan du CTP varie considérablement d’un bassin d’emploi à l’autre : le taux de reclassement durable dépasse largement les 65 % à Morlaix (67,6 %), Montbéliard (68,8 %), Valenciennes (69,3 %) et Vitré (69,9 %) ; en revanche, il plafonne à 58,1 % à Charleville-Mézières, 53,6 % à Toulon et même 47,8 % à Saint-Dié. Toulon est un cas à part : ce bassin d’emploi, où les PME dominent, a fourni le plus gros bataillon d’adhérents au CTP, avec 1 061 personnes inscrites. Cela explique en grande partie le score – inférieur à la moyenne de l’expérimentation – qui y a été obtenu. « De plus, l’accompagnement peut encore y être amélioré », plaide une observatrice. En revanche, les cas de Charleville-Mézières et, plus encore, de Saint-Dié mettent en évidence les limites du CTP dans un bassin d’emploi réellement sinistré. Située au fond d’une vallée encaissée, ce qui rend la mobilité difficile, avec un tissu industriel vieillissant et peu d’activités de substitution, Saint-Dié a eu du mal à faire rebondir ses candidats au CTP, déjà rudement éprouvés par les restructurations passées, peu mobiles et souvent désabusés.

Plus performant que la moyenne des dispositifs, le contrat de transition ne peut pas faire de miracles. C’est flagrant à l’examen des résultats obtenus par tranche d’âge. Les moins de 26 ans (10,8 % des effectifs) ont connu un excellent taux de reclassement (67,3 %). Les 26-45 ans (55,6 % des effectifs) et les 46-50 ans (13,8 % des effectifs) ont atteint des scores tout à fait honorables : respectivement 63,3 % et 61,4 %. En revanche, les seniors sont, une fois encore, restés sur le carreau : seulement 50,4 % des 50-55 ans, et 32,8 % des plus de 55 ans ont retrouvé un emploi durable.

Malgré ces deux bémols, le contrat de transition professionnelle a plus que jamais sa place dans la palette des dispositifs de reclassement. Reste à mieux articuler entre eux les différents dispositifs encore en vigueur : CTP ou CRP pour les entreprises de moins de 1 000 salariés, cellules de reclassement pour les autres… Pour Gérard Cherpion, député UMP des Vosges et auteur du rapport « Travail et emploi », « il faut clarifier ce système et créer un dispositif unique, se rapprochant du contrat de transition professionnelle, puisque c’est le plus efficace ». Une proposition de loi pourrait être déposée sous peu à l’issue de la négociation sur l’assurance chômage et de celle sur la formation professionnelle. S. G.

Patricia Bouillaguet DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE DE L'AFPA, EN CHARGE DU DISPOSITIF CTP
“L’accompagnement fait la différence”

À l’issue de la première phase d’expérimentation sur sept bassins d’emploi, quel bilan faites-vous du contrat de transition professionnelle ?

Ce dispositif de reclassement a fait ses preuves. D’une part, parce que 81 % des personnes à qui il a été proposé ont choisi d’y adhérer. D’autre part, parce que plus de 60 % d’entre elles ont retrouvé un emploi (un CDI ou un CDD de plus de six mois). C’est mieux que tous les autres dispositifs de reclassement.

Comment l’expliquez-vous ?

Si le CTP a rencontré une aussi forte adhésion, c’est évidemment parce qu’il accorde aux bénéficiaires le meilleur niveau d’indemnisation (80 % du salaire brut sur douze mois). Tous les adhérents le reconnaissent. Mais ils s’empressent d’ajouter que l’accompagnement proposé dans le cadre du CTP fait la différence : la proximité avec le référent, les rendez-vous hebdomadaires et le plan d’action élaboré avec ce dernier leur permettent de rester mobilisés, avec le même rythme que dans la vie professionnelle. Je reste toutefois convaincue que l’une des clés essentielles du CTP, c’est la possibilité offerte aux adhérents de revenir dans le dispositif si leur reclassement n’a pas été concluant. Ils n’ont ainsi aucune hésitation à accepter un CDD ou une mission d’intérim et ne perdent pas le contact avec le monde du travail.

Le suivi du CTP, initialement confié à l’Afpa, doit désormais être assuré par le Pôle Emploi. Qu’en pensez-vous ?

Je n’ai pas à me prononcer sur cette décision. D’autant que le dispositif n’est pas encore complètement défini. Je constate toutefois que la pluridisciplinarité des équipes est essentielle : les expertises du Pôle Emploi, de l’Afpa et des consultants privés impliqués dans le suivi du CTP sont très différentes et complémentaires. Tous nos partenaires nous ont fait part de leur souhait de voir l’Afpa, qui a fait ses preuves notamment en matière d’ingénierie financière et d’ingénierie de la formation, rester dans le dispositif.

7 BASSINS D’EMPLOI, 7 BILANS

Taux de reclassement durable (CDI ou CDD de plus de six mois) des salariés ayant adhéré au contrat de transition professionnelle

47,8 % à Saint-Dié

53,6 % à Toulon

58,1 % à Charleville-Mézières

67,6 % à Morlaix

68,8 % à Montbéliard

69,3 % à Valenciennes

69,9 % à Vitré

Auteur

  • Sabine Germain, Laure Dumont