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Enquête

Crise : qui la subit, qui en profite

Enquête | publié le : 01.01.2009 | Fanny Guinochet, Anne-Cécile Geoffroy, <i>Photos : Olivier Roller</i>

Certaines entreprises pâtissent durement de la crise, d’autres anticipent, voire tirent parti de la situation pour doper leur rentabilité. Mais ce sont la plupart du temps les salariés qui trinquent.

La crise a bon dos ! » tempêtent les syndicats depuis octobre. Réductions d’effectifs, dispositifs de chômage technique, arrêt des missions d’intérim sont-ils en effet toujours justifiés ? Une chose est sûre, les entreprises ne sont pas égales face à la conjoncture. PME et sous-traitants sont les plus fragiles et commencent à restructurer silencieusement. Mais ils sont loin d’être les seuls à se lancer dans de sévères plans de rigueur. ArcelorMittal, PSA, Unilever, Molex… De nombreux groupes mondialisés, réputés solides, taillent dans leur effectif, ferment des sites, se réorganisent. Ces entreprises n’auraient-elles pas les moyens de supporter socialement les turbulences ? Ironie de l’histoire, alors que la crise est née d’un dysfonctionnement du système financier, les DAF vont sans doute prendre encore plus de poids au sein des entreprises. « La fonction RH risque de reculer d’un cran pour faire des DRH les simples exécutants des plans sociaux », note José Allouche, responsable de la chaire de recherche Mutations, anticipations, innovations de l’IAE de Paris. Et, comme un boomerang, les bonnes vieilles recettes vont resurgir pour rendre les licenciements « socialement » acceptables. Les jeunes, les précaires, les seniors sont les premiers touchés. Cyniques et soucieuses d’augmenter coûte que coûte leur rentabilité, prudentes, anticipant les effets de cette crise qui s’annonce longue ou victimes directes, Liaisons sociales magazine passe en revue les stratégies des entreprises en temps de crise.

Les cyniques Elles arguent de la crise pour faire passer la rigueur

Rethel, le 28 octobre dernier, Nicolas Sarkozy prévenait tout de go : « Je n’accepterai pas de stratégie cynique et opportuniste d’entreprises profitant de la crise pour des suppressions d’emplois. » Et, sans attendre, Bernard Thibault montait au créneau : « Des directions d’entreprise s’imaginent profiter de l’argument de la crise économique pour glisser leur plan de restructuration et faire en sorte que leurs activités soient encore plus profitables. » Et le leader cégétiste de citer un premier exemple, devenu un cas d’école : l’entreprise Molex, basée à Villemur-sur-Tarn, en Haute-Garonne, qui produit des connecteurs électriques pour automobiles. L’usine étant jugée peu compétitive, la direction prévoit de la délocaliser en Slovaquie, entraînant la disparition de 300 emplois. « L’unité de Villemur a dégagé un bénéfice de 1,2 million d’euros en 2007 », fustige Pierre Bellegarde, le représentant CGT, pour qui, avec ses 30 000 personnes dans le monde et un chiffre d’affaires annuel de 2 milliards de dollars, « le groupe américain Molex est plus que rentable ». Ce à quoi la direction rétorque, via son DRH Stéphane Kellar, que si l’usine a des résultats en hausse, rien ne dit qu’ils n’auraient pas été à la baisse à l’avenir.

Combien sont-elles ces entreprises qui, à l’instar d’ArcelorMittal, prévoient des milliers de suppressions d’emplois tout en réalisant des milliards d’euros de bénéfices dont la moitié est versée au seul profit des actionnaires ? « Très peu, heureusement », assure Jean-François Carrara, directeur chez Algoé. Selon lui, les dirigeants cherchent plutôt à limiter la casse, conscients que le capital humain sera l’un des leviers de la reprise. Professeure de GRH à Reims Management School, Rachel Beaujolin-Bellet émet toutefois des réserves : « Dans les grandes entreprises, la crise officielle permet les annonces de restructuration. Il y a alors une acceptabilité sociale plus grande. »

C’est certain, depuis une dizaine d’années, le discours sur la sauvegarde de la compétitivité des entreprises s’est banalisé, abonde Antoine Lyon-Caen, professeur de droit à Paris X : « Néanmoins, les juges vont se montrer très vigilants sur les restructurations opportunistes. Les situations sont tellement difficiles à interpréter et les licenciements si massifs qu’[ils] ne donneront pas leur blanc-seing aux entreprises. » Et ce d’autant plus qu’aujourd’hui les sociétés disposent d’outils, comme la meilleure indemnisation du chômage partiel. « Les magistrats seront tentés de dire aux entreprises : n’allez pas trop vite, vous avez de nouveaux instruments avant de licencier », poursuit Antoine Lyon-Caen. Idem pour les plans de départs volontaires qui ,selon lui, sont le premier indicateur d’une entreprise -opportuniste, les autres ne pouvant les -financer. » « Des guichets boudés par les salariés, affirme Olivier Labarre, directeur général adjoint du cabinet BPI. Les salariés estiment qu’il fait trop froid dehors. »

Coupes claires. Le salarié comme variable d’ajustement ? « Souvent, la situation des entreprises ne justifie pas des mesures aussi drastiques », répond Jean-Louis Delrieu, délégué CFE-CGC chez Procter & Gamble. Et le syndicaliste de comparer les entreprises à des montgolfières qui profiteraient de ce moment pour s’alléger de quelques sacs de sable un peu trop lourds. Ce pourrait bien être le cas de Hewlett-Packard, qui annonce de bons résultats – une hausse du chiffre d’affaires de 13 %, le portant à 118,4 milliards de dollars –, a les moyens d’acquérir EDS, une entreprise de services, et qui, dans le même temps, prévoit la suppression de plus de 9 000 emplois en Europe, dont 580 en France. « C’est dans la lignée de la stratégie de H-P depuis cinq ans, regrette Didier Pasquini, délégué CFE-CGC. Les économies se font toujours sur le dos des salariés. » Le syndicaliste souligne combien, en ces temps de crise, ces coupes claires paraissent disproportionnées : « C’est à se demander dans quelle mesure la crise n’est pas générée et utile à l’entreprise ! » Si H-P n’en est pas à son premier plan social, le groupe a toujours eu recours au volontariat. Cette fois, des licenciements secs sont redoutés.

Autre exemple qui laisse pantois les salariés, la fermeture de deux des trois sites d’Amora Maille, en Bourgogne, qui laisserait sur le carreau plus de 300 salariés, dont 75 sont rattachés au centre de R & D. « Quand une entreprise comme Unilever annonce fin septembre un bénéfice de 1,7 milliard d’euros, les salariés ne peuvent pas comprendre ce genre de décision, souligne Jean-Pierre Cordier, délégué syndical FO et porte-parole de l’intersyndicale. J’appelle ça des licenciements préventifs. » Face à l’émotion suscitée par le projet, Amora Maille a vite ouvert, le 6 décembre, un site Internet pour se justifier et parer aux critiques. « Le seul objectif est de construire une usine compétitive », indique dans une vidéo Hervé Laureau, président d’Amora Maille. Reste que pour Fabrice Boucherie, élu CFE-CGC au CE du centre de R & D de Dijon, « Unilever n’a qu’une vision financière et privilégie toujours les marges. On ne voit pas le bout des restructurations. Un PSE en appelle un autre ». Une chose est sûre, au-delà des stratégies, cette crise révèle surtout l’incompréhension des salariés face au poids des actionnaires.

Les prudentes Elles tranchent dans les effectifs sans attendre
Hewlett-Packard annonce de bons résultats, mais, dans le même temps, prévoit la suppression de plus de 9 000 emplois en Europe

Pour la plupart, les restructurations étaient déjà engagées bien avant l’été. La crise a simplement accéléré le processus », remarque Jean-Luc Verreaux, directeur de la branche emploi chez BPI. En témoigne la Camif, malade depuis plus de dix ans. « La crise a porté la dernière estocade », poursuit le consultant. Chez Rieter Automotive Systems, un sous-traitant automobile, filiale d’un groupe suisse, qui compte près de 1 250 salariés en France, la conjoncture a clairement changé la donne. « En février dernier, nous envisagions une concentration de sites. C’était un aménagement naturel pour une meilleure adaptation au marché, tous les salariés devaient être reclassés », explique un membre de la direction. « Avec ces turbulences, nous sommes obligés de procéder à des mesures plus dures. » En clair, un plan social avec 200 suppressions de postes et l’arrêt net des 200 missions intérimaires. Associée chez Eurogroup, Marie-Laure Fayet confirme : « La crise précipite les orientations. L’entreprise ne se permet plus de jouer la montre, comme parfois, lorsqu’elle attendait que les départs à la retraite règlent ses sureffectifs. » Dans l’industrie pharmaceutique, par exemple, la conjoncture précipite la disparition de certains métiers, comme les visiteurs médicaux. Idem dans la finance, la distribution ou l’immobilier. « Tant que l’on avait de la marge on maintenait des postes même s’ils n’étaient pas totalement rentables. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Les fonctions support et le back-office n’y résistent pas », note un cadre supérieur de Kaufman & Broad, promoteur qui s’apprête à licencier plus de 150 personnes.

Panique chez les dirigeants. Directeur du développement chez Accetis International, spécialiste du recrutement et du conseil RH, Nicolas Thébault poursuit : « Avec la crise, la direction sera tentée de trancher plus rapidement. Pour les salariés, c’est d’autant plus violent et brutal que l’accompagnement ne s’est pas fait en amont et que le temps pour les négociations se trouve réduit. » Surtout, le consultant souligne la panique à laquelle sont tentés de céder les dirigeants : « Il y a un effet psychologique de la crise. Sans être ma-chiavélique, le patron qui pensait doucettement à réorganiser il y a quelques mois passe à l’action sans attendre. » Plus question de GPEC négociée à froid. « Les effets de mode ont cédé la place à un sujet plus sérieux : le plan -social. C’est le retour en force du droit du -li-cen-ciement », analyse le professeur de droit Antoine Lyon-Caen.

La marge de manœuvre des DRH risque d’ailleurs de fondre comme neige au soleil. Selon une étude interne d’Eurogroup réalisée en octobre auprès de 33 dirigeants de grands groupes, 72 % d’entre eux voient dans les fonctions support (RH, SI) le premier gisement de réduction des coûts. Et quand bien même des équipes RH allégées ne se mueraient pas uniquement en coupeurs de têtes, elles gèlent d’ores et déjà des projets. « Les recrutements sont suspendus dans les sièges, explique Cathy Kopp, DGRH du groupe Accor. Des conventions ont été supprimées ou reportées. »

Directeur d’Altedia, Xavier Lacoste cons-tate qu’« un certain nombre d’entreprises dans le brouillard sont tentées de pren-dre rapidement des mesures préventives ». Les salariés de Renault Trucks de Blainville-sur-Orne sont ainsi tombés des nues. « En juin, la direction consultait encore les représentants des salariés sur un projet d’investissement, raconte Michel Chaussepied, DSC SUD. Fin août, elle annonçait le renvoi des 800 intérimaires d’ici à janvier, la planification de quatre-vingt-dix jours de chômage partiel en 2009 pour les seuls ouvriers et le passage en modulation basse jusqu’à la fin de l’année. » La faute à la chute des commandes de poids lourds, selon la direction. « Nous n’avons aucun moyen de le vérifier, reprend Michel Chaussepied. La direction ne veut pas perdre en rentabilité et préfère dégrader les conditions de travail. » Ce que les salariés de Renault Trucks savent aussi, c’est qu’ils toucheront un intéressement cette année. « Dans tous les cas de figure, 2008 sera une année bénéficiaire », constate le syndicaliste. Autre exemple à la Snecma. Baisse d’activité et conséquences de la grève du fournisseur Boeing poussent la société d’aéronautique à réagir. « Même si la direction ne cerne pas bien l’impact de la crise, elle anticipe déjà », note Marc Aubry, délégué central CFDT. Avec toujours les mêmes remèdes : incitation à solder les jours de RTT et de congés payés, non renouvellement des CDD…

Les victimes Face à la tempête elles sont acculées aux plans sociaux
“Sans être ma-chiavélique, le patron qui pensait doucettement à réorganiser il y a quelques mois passe à l’action sans attendre”, explique un consultant

La scène se déroule début décembre à Saint-Jean-d’Ardières, dans le Rhône. Les salariés de l’équipementier Saint Jean Industries bloquent le chargement de pièces destinées aux usines Renault Trucks de Blainville-sur-Orne, Bourg-en-Bresse et Vénissieux. Volvo, principal actionnaire du constructeur de poids lourds, n’a pu négocier les tarifs de son sous-traitant à la baisse. Il lui laisse quinze mois pour trouver d’autres clients. En réaction, l’équipementier a menacé de fermer le site. Outrés, les sa-lariés se sont mis en grève. Ils ne veulent pas être les prochaines victimes de cette crise qui, par ricochet, pousse les donneurs d’ordres à imposer des conditions toujours plus drastiques à leurs sous-traitants ou à annuler leurs commandes. « Ils défendent leur bifteck, souligne Michel Chaussepied, syndicaliste SUD de l’usine de Blainville-sur-Orne. Pour nous, c’est quatre jours de production en moins qui s’ajoutent aux mesures prises par la direction pour absorber les baisses de commandes. »

Navigation à vue. Face à la brutalité de la crise, les PME sont sur les dents. À Marnaz, en Haute-Savoie, la société Bouverat Pernat Décolletage (45 salariés) n’a pas vu arriver la tempête. « Début octobre, je pensais faire un mois normal. Fin octo-bre, le chiffre d’affaires reculait de 17 %. En novembre, c’était moins 40 %. Pour la suite, je n’ai aucune idée de ce que cela va donner. Nous naviguons à vue », explique Louis Pernat, le chef d’entreprise, également vice-président de la CGPME de Haute-Savoie. Dans la vallée de l’Arve, les PME de décolletage sont durement touchées. « Certaines font face à une baisse de leur carnet de commandes de l’ordre de 80 %. Elles sont au bord du dépôt de bilan. Et cela touche tous les secteurs, pas seulement ceux qui travaillent pour l’automobile », poursuit Louis Pernat. Une situation d’autant plus ubuesque que ces PME ont connu jusqu’à la rentrée une croissance à deux chiffres : « Nous étions obligés de refuser des commandes par manque de main-d’œuvre qualifiée. »

“Aujourd’hui je n’ai plus d’intérimaires ni de CDD, nous avons mis un coup d’arrêt aux heures sup. Tout le monde est aux 35 heures”, indique le décolleteur Louis Pernat

Autre victime, l’intérim, qui subit la baisse d’activité de l’automobile. Au niveau national, la profession annonce un recul de 5,7 % pour les dix premiers mois de l’année. Dès la mi-octobre, Adecco a lancé un PSE qui touche 600 salariés et se traduit par des fermetures d’agences. Directrice de l’agence Adecco Rennes Automobile, Pascale Nogre enregistre une baisse de 50 % de son activité. Lorsqu’une usine comme celle de PSA à Rennes fait chômer ses ouvriers du 5 décembre au 5 janvier et annonce un plan de 850 départs volontaires, les répercussions ne se font pas attendre chez les sous-traitants locaux. Spécialiste des produits à base de polymères pour l’automobile, Barre Thomas (1 300 salariés) a annoncé un plan de départs volontaires. « La direction a prévenu qu’un PSE suivrait très vite. L’ambiance est d’autant plus délétère que 309 personnes ont été licenciées cette année. En 2006, 328 personnes étaient déjà parties », comptabilise Bernard Langevin, syndicaliste CFTC.

À fin d’amortir les secousses, les PME se mettent en quatre pour éviter de se séparer de leurs salariés et mieux repartir dès les premiers signes de reprise. « Aujourd’hui je n’ai plus d’intérimaires ni de CDD, nous avons mis un coup d’arrêt aux heures sup. Tout le monde est aux 35 heures », récapitule le décolleteur Louis Pernat. Pour les fêtes, l’entreprise a fermé deux semaines.

Dans la vallée de l’Arve, une dizaine de PME ont cherché des solutions afin de ne pas laisser leurs salariés tourner en rond chez eux. « Pour éviter qu’ils se démotivent, nous proposons que les temps de chômage partiel soient employés à de la formation. Cela nous permettrait d’utiliser nos parcs machines. Les salariés y perdraient moins en pouvoir d’achat », note le patron. À Rennes, Pascale Nogre, chez Adecco, imagine aussi des solutions. « Nous essayons de proposer des reclassements dans des secteurs un peu moins touchés, comme l’agroalimentaire, le transport ou la logistique. » Et, pour cela, de multiplier les formations aux intérimaires réguliers. « Par exemple un module d’une semaine qui permet aux opérateurs de l’automobile de se tourner vers des postes de caristes. » Des mesures qui ne suffiront peut-être pas pour passer la crise.

William, 28 ans : “J’ai peur d’être sur la liste”

Après quatre ans d’intérim et de CDD à Renault-Cléon, William Grevrand, 28 ans, pensait être à l’abri, avec le CDI décroché il y a trois ans. Mais, depuis septembre, il n’a pas travaillé une semaine complète. Pour 2009, il est très inquiet. « En cas de plan social, j’ai peur d’être sur la liste. » Sa femme est intérimaire pour l’automobile. Cet automne, elle a multiplié les coups de fil aux agences, mais rien n’a débouché. Pour élever leur enfant, ils rêvaient de s’acheter une maison. Aujourd’hui, « avec un loyer de 670 euros par mois, un crédit voiture et les autres frais, on essaie surtout de s’en sortir ».

Jean, 53 ans : “Négocier un reclassement”

Le 1er mars, Jean Geffroy fêtera ses trente et un ans d’ancienneté chez Yoplait. Drôle d’anniversaire : l’entreprise a annoncé en novembre le licenciement de ses 60 commerciaux. À bientôt 54 ans, Jean Geffroy se veut malgré tout optimiste. « Je dois encore travailler cinq ans pour boucler ma retraite. Mais ma femme travaille et notre maison est payée. Pour tout reclassement, Yoplait propose des postes de conducteurs de Fenwick au Mans et à Vienne. Il va falloir négocier un reclassement qui tienne la route », note ce DS CGC.

Céline, 22 ans : “On espérait une embauche”

Céline, 22 ans, déjà deux enfants, se sentait bien chez Renault Trucks. « Ça faisait quatorze mois que je travaillais comme opératrice intérimaire. Ils étaient contents de mon travail. La direction nous faisait miroiter des embauches. » Et puis, à la rentrée, l’espoir s’est envolé. « Mon chef est venu nous dire que les contrats des intérimaires étaient supprimés. La direction faisait passer l’équipe du week-end sur nos postes ». Depuis fin octobre, elle est au chômage. « Mon mari travaille, mais avec 500 euros en moins par mois, ça va devenir difficile avec le crédit de la voiture, le loyer et les charges. »

Les amortisseurs sociaux vont-ils tenir ?

Pour le moment, la France imagine la crise, elle ne la vit pas encore ! Les dix-huit mois qui viennent vont être un vrai trou noir. » José Allouche, professeur en management des RH à l’IAE de Paris n’y va pas par quatre chemins. Il est vrai que, ces dernières semaines, les entreprises ont actionné les amortisseurs sociaux pour faire face aux turbulences.

D’emblée, leur réflexe a été de limiter le recours à l’intérim et aux CDD. En un an, le nombre d’intérimaires a chuté de 4,7 %. Elles ont ensuite stoppé le recours aux heures supplémentaires et annoncé aux salariés des congés forcés pour la fin de l’année. Résultat, bon nombre ont fermé leur site deux à trois semaines en décembre-janvier en faisant consommer à leurs salariés congés payés et RTT. Une souplesse rendue possible par les accords sur le temps de travail qui en période de crise donnent aux RTT une allure défensive toute nouvelle. Les PME notamment se sont rué sur cet outil pour préserver le pouvoir d’achat de leurs salariés et ne pas avoir recours au chômage partiel, dispositif en partie financé par l’Etat qui permet d’éviter ou de repousser les licenciements économiques. Depuis octobre, les annonces se sont succédé, en premier lieu dans le secteur automobile. Pour fluidifier, rendre plus acceptables les départs de salariés, certaines entreprises, comme PSA, ont annoncé d’ambitieux plans de départs volontaires. Reste à savoir si les salariés se jetteront sur ces mesures quand nombre d’entreprises réduisent la voilure, gèlent les embauches et annoncent des plans sociaux. De mai à octobre 2008, ils ont déjà été multipliés par deux.

De nombreux économistes s’accordent pour dire que le quatrième trimestre verra la destruction de 30 000 à 40 000 emplois. L’annonce par le gouvernement de l’extension du contrat de transition professionnelle (CTP) à 25 nouveaux bassins d’emploi contre sept actuellement, l’assouplissement du recours au CDD et les 100 000 nouveaux contrats aidés seront-ils suffisants pour servir d’ultimes amortisseurs à la crise sociale ?

Patrick, patron de PEM : “On serre les boulons”

A 58 ans, Patrick Rosselot, patron de la société PEM à Creil, 45 salariés, n’en est pas à sa première crise. « J’ai connu 1974, puis 1992. Aujourd’hui, c’est plus inquiétant. » Sous-traitant automobile, il a vu son carnet de commandes fondre de 35 % en moins de trois mois.

« À l’automne, je n’ai pris qu’un intérimaire au lieu de 5 ou 6 d’ordinaire. Je n’ai pas renouvelé les CDD ni remplacé les trois personnes parties avant l’été. » Prudent, il attend que le vent tourne. « Pour le moment, on sert les boulons. Je ne me pose pas la question du chômage partiel, mais il ne faudrait pas que ça dure au-delà de février. »

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  • Fanny Guinochet, Anne-Cécile Geoffroy, <i>Photos : Olivier Roller</i>