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La Poste modernise à tout-va

Dossier | publié le : 01.01.2009 | E. B.

Privatisation oblige, La Poste a engagé de grands chantiers. Organisation, management, GRH… Une révolution facilitée par ses engagements sociaux et les départs à la retraite de seniors.

Touche pas à ma Poste ! », « Non à la privatisation ! » Cet automne, les postiers se sont mis en grève et ont manifesté à plusieurs reprises pour protester contre le projet d’ouverture du capital. Un projet porté par Jean-Paul Bailly, le président du groupe, qui espère céder 30 % du capital en 2011, contre 3 milliards d’euros. De l’argent frais, indispensable à ses yeux pour financer une modernisation à marche forcée, résister à la concurrence et figurer parmi les meilleurs opérateurs du secteur en Europe d’ici à 2012. Pour autant, les changements à l’intérieur du groupe n’ont pas attendu l’ouverture hypothétique du capital. Arrivé fin 2002, Jean-Paul Bailly tire les conséquences de l’ouverture du marché postal à la concurrence et lance le groupe dans un vaste chantier de modernisation tous azimuts. Des quatre métiers du groupe, l’activité guichet, la banque postale, les colis et le courrier, c’est ce dernier, dont l’activité générait 11,5 milliards d’euros en 2007 – 55 % du chiffre d’affaires total –, qui connaît les transformations les plus avancées. Les vieux centres de tri laissent petit à petit la place à des « plates-formes » industrielles. Vingt-neuf sont prévues dans le cadre du programme « cap qualité courrier », qui planifie les investissements. Ces plates-formes sont équipées de machines capables de trier 50 000 lettres à l’heure et de les placer dans l’ordre de la tournée des facteurs. Des casiers ergonomiques, des vélos électriques, des Caddie choisis avec l’aval du CHSCT groupe sont également prévus. « Bien entendu, une telle transformation des méthodes de travail ne peut être réalisée sans la participation des salariés. C’est pourquoi, sur les 3,4 milliards d’euros d’investissement prévus de 2004 à 2010, 800 millions sont dévolus à l’accompagnement des postiers », explique Marie Llobères, DG des opérations courrier. Au programme, des formations, des indemnités de mobilité géographique ou encore des facilités de départ vers un poste administratif pour les fonctionnaires. Mais le changement ne se passe pas sans couac. Régis Blanchot, le secrétaire fédéral de SUD PTT, dénonce un turnover frôlant les 20 % en 2005 sur la plate-forme flambant neuve de Gonesse. « C’est quatre fois plus que la moyenne nationale des centres. Sans compter un nombre de jours de congé maladie deux fois plus élevé. Ces résultats sont la preuve que la charge de travail s’est accrue et que les conditions de travail se sont détériorées. »

Le service public préservé. Conscient des efforts qui attendent les 280 000 salariés du groupe – à 60 % fonctionnaires –, Jean-Paul Bailly a pris des engagements devant les partenaires sociaux peu après sa prise de fonction. Outre la préservation du service public, il s’engage à ne procéder à aucun licenciement et à gérer les mobilités sur la base du volontariat. « Il y a 20 000 postiers qui partent à la retraite chaque année. La direction n’en remplace qu’un sur deux. Ça lui donne des marges de manœuvre », tempère Nadine Capdeboscq, déléguée centrale CFDT. Parallèlement, la direction cherche à renouveler le dialogue social au sein de l’entreprise. En juin 2004, un accord national sur les principes et méthodes du dialogue social est finalisé. Et, en novembre de la même année, le groupe s’engage à transformer les CDD en CDI, et les temps partiels en temps pleins. Depuis, quelque 10 000 personnes employées en CDD ont trouvé un CDI au sein du groupe, 16 625 ont bénéficié d’un temps complet. « Contrairement à nos concurrents européens, nous avons fait le choix de privilégier les emplois pérennes et de modifier nos organisations pour nous adapter aux creux et aux pointes d’activité. Mais cela implique le développement de la polycompétence », note Marie Llobères.

Suivent d’autres accords sur la formation et le développement des compétences en juillet 2005, la promotion en juin 2006 ou le développement professionnel des facteurs en janvier 2007. La direction du courrier s’est également engagée dans un chantier d’amélioration des conditions de travail, en lien avec les CHSCT. Au-delà des accords, les syndicats apprécient surtout d’être tenus informés des résultats et des décisions stratégiques. « Les représentants syndicaux sont réunis en commission d’échange stratégique après chaque conseil d’administration important », note Nadine Capdeboscq, qui déplore cependant que la direction ne tire pas toutes les conséquences de ces améliorations. « Il n’y a pas de responsable RH dans les établissements. Tout remonte encore à la direction opérationnelle. L’entreprise a pourtant choisi de regrouper les centres pour créer des établissements plus importants. La présence d’un spécialiste des ressources humaines à ce niveau serait judicieuse. »

Toutes ces transformations du dialogue social se doublent d’une réorganisation et d’un changement des modes de management. « Nous sommes engagés dans une révolution visant à responsabiliser les managers de terrain », indique Marie Llobères. Une charte managériale résume depuis 2008 les valeurs de l’entreprise et les attentes : engagement, équipe, performance, innovation et respect constituent le nouveau credo des managers de La Poste. Lequel formera l’ossature des futurs entretiens annuels d’évaluation. S’inspirant du privé, la direction a aussi simplifié l’organisation hiérarchique pour passer de cinq à trois niveaux : directions d’établissement, directions opérationnelles (41) et siège. Ce remaniement s’appuie sur un dispositif de formation et le soutien de coachs à travers l’École des managers. « Nous invitons nos managers à visiter d’autres entreprises pour se confronter à des cultures managériales différentes. Nous les accompagnons par du tutorat et nous mettons un outil d’échange de savoir à leur disposition sur l’intranet », indique Marie Llobères. Les managers souhaitant valoriser leurs efforts peuvent même entreprendre une formation diplômante aux Arts et Métiers.

Ce bouleversement de la culture managériale s’accompagne d’un retour aux sources : lors d’une cérémonie, au cours de laquelle leur est remis un diplôme, les nouveaux embauchés sont invités à prêter serment, en s’engageant à « remplir avec conscience, honnêteté et probité les fonctions qui [leur] seront confiées »… Ce rituel, institutionnalisé en 1790 et destiné à cultiver le sentiment d’appartenance et la foi en l’entreprise, était tombé en désuétude depuis une quinzaine d’années. Preuve qu’on peut moderniser tout en respectant les traditions…

Auteur

  • E. B.