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Enquête

Séisme sur l’échiquier syndical

Enquête | publié le : 01.12.2008 | Stéphane Béchaux

La remise à plat des règles de représentativité va bouleverser un paysage figé depuis quarante ans. Des syndicats vont disparaître dans les entreprises et les branches. D’autres voir le jour. De quoi rebattre les cartes du dialogue social.

Le syndicalisme en pantoufles, c’est fini ! À partir du 1er janvier prochain, les bonnes vieilles règles héritées de 1966 disparaîtront. Toute section syndicale d’entreprise devra désormais faire la preuve de sa représentativité afin de prétendre parler au nom des salariés. Pour l’Unsa, rien de neuf. En quinze ans d’existence, la centrale a déjà plaidé 1 300 fois devant les tribunaux pour obtenir sa reconnaissance. Pour le « club des cinq », en revanche, c’est une révolution. Auréolées de leur « présomption irréfragable » de représentativité, ces confédérations n’auront pas eu à faire la moindre démarche depuis quarante-deux ans. Une incroyable rente de situation qui touche à sa fin. « C’est le prix à payer pour retrouver de la crédibilité. On ne peut plus accepter qu’un gars sans le moindre adhérent ni élu ait la même légitimité à négocier que les autres », explique Gilles Dantot, patron de la CFDT Construction et bois.

Des critères énoncés par la loi du 20 août 2008, un seul retient toute l’attention : l’audience électorale. Rien à voir avec le scrutin prud’homal de ce mois de décembre ! Mais tout syndicat qui n’atteindra pas la barre des 10 % de suffrages exprimés aux élections professionnelles sera non représentatif dans l’entreprise. Ce qui le privera du droit de négocier et de signer des accords collectifs. Le pourcentage vaut aussi pour le délégué syndical, qui devra recevoir l’onction des salariés électeurs… « L’audience, c’est le sésame de la loi. Si vous faites 9,98 % ou 10,01 %, ça change tout. Les juges vont avoir du boulot », prévient le professeur de droit Jean-Emmanuel Ray. Dans les entreprises, la casse s’annonce massive. En particulier pour la CFTC, qui risque de payer très cher sa faible implantation. Dans des groupes comme Renault, Rhodia, EADS, les Caisses d’épargne ou Carrefour, la centrale chrétienne pourrait tout bonnement disparaître… La CFE-CGC, elle, s’en tire un peu mieux. Ses scores honorables chez les cadres lui assurent de conserver sa représentativité catégorielle. Mais pas de pouvoir négocier des accords globaux. Les autres confédérations ne sont pas non plus à l’abri de mauvaises surprises. Force ouvrière, notamment, se trouve en sursis dans certaines entreprises, telles Rhodia, Solvay, Thales, Axa ou le Crédit du Nord. Même la CFDT et la CGT, pourtant signataires de la position commune à -l’origine de la loi, s’apprêtent à pren-dre des coups. Chez Generali, par exemple, la CGT ne fait que… 6 % des voix.

Grand ménage. La nouvelle donne ne touche pas seulement les syndicats. Les employeurs aussi vont devoir composer avec un paysage chamboulé. À la RATP, les prochaines élections professionnelles s’annoncent sportives. Des huit organisations syndicales présentes, seules la CGT et l’Unsa franchissent actuellement le seuil fatidique. « Les six syndicats qui sont au-dessous de 10 % cumulent 42 % des voix. Si l’électorat n’y prend pas garde, on risque de voir s’envoler ces suffrages. Ce qui créera une certaine amertume », prévient la DRH, Josette Théophile. Le cas est extrême, mais pas isolé. À la SNCF, la Caisse d’épargne ou Air France, l’émiettement pourrait, sauf recomposition syndicale, laisser plusieurs organisations sur le bord du chemin. Un grand ménage qui n’arrange pas forcément les directions. Ravis, d’un côté, de limiter le nombre d’acteurs, les DRH craignent, de l’autre, de perdre des alliés réformistes. Mais leurs marges de manœuvre pour « sauver » un syndicat sont faibles. « Il y a une zone de flou sur les effectifs qu’ils peuvent exploiter pour influer sur les pourcentages. Mais ils ne peuvent aller au-delà, sauf à faire du prosélytisme », décrypte l’avocate Anne-Élisabeth Combes.

Au niveau des groupes, la remise à plat va poser de sérieuses difficultés. Notamment pour calculer le poids électoral de chacun. « On doit agréger les résultats obtenus dans une centaine d’établissements, de sociétés, de petites et grosses filiales. Avec des rythmes d’élection variables, qui vont de deux à quatre ans », souligne Marianne Naud, directrice de la politique sociale d’Areva. Rhodia, BNP Paribas, L’Oréal… la plupart des groupes sont dans ce cas. De plus, l’empilement des degrés de négociation va aboutir à des situations paradoxales. Des syndicats non représentatifs globalement ne pourront négocier les accords de groupe mais pourront les décliner dans les établissements où ils sont présents. « Notre accord d’intéressement a été signé à l’échelle du groupe. Mais il nécessite des négociations locales car la moitié de la prime dépend de critères à fixer par établissement », illustre Max Matta, DRH France de Rhodia. Pas simple, quand on doit composer avec une puissante CGT radicale et faire le deuil de deux syndicats faibles, FO et CFTC…

Car ce grand chambardement de la représentativité se double d’une évolution des règles de conclusion des accords. Pour entrer en application, un texte ne doit plus seulement échapper à l’opposition des syndicats majoritaires. Il doit désormais être ratifié par des organisations pesant au moins 30 % des voix. Une barre que la plupart des entreprises privées devraient atteindre sans trop de casse. Mais pas celles du public qui, à EDF, la SNCF, La Poste ou la RATP, doivent compter avec de puissants syndicats radicaux. Et ce n’est pas fini. « Le centre de gravité du droit du travail s’est déplacé du champ légal vers le champ conventionnel. D’où la nécessité de renforcer la légitimité des accords et des acteurs. La prochaine étape, c’est 50 % », prévient le professeur de droit Paul-Henri Antonmattei.

Dans les branches, l’épreuve de vérité a été repoussée à 2013, avec une barre couperet à 8 %

Un pragmatisme salué. Du côté des employeurs, on se félicite de cette étape intermédiaire, pragmatique, à durée de vie indéterminée. Seule voix discordante, celle d’Yves Barou. « La majorité à 30 %, ça défie le bon sens. Il fallait aller directement à l’accord majoritaire, le vrai, à 50 %. C’est la situation la plus claire, la plus parlante pour les salariés », estime le DRH de Thales. Une position qui irrite les milieux patronaux. « Facile de donner des leçons quand on hérite de ses prédécesseurs un dialogue social riche et nourri », assène un dirigeant de la métallurgie.

Dans les branches aussi, syndicats et patronat sont aux aguets. Sauf que la bataille s’annonce plus lointaine. Les partenaires sociaux ont en effet jusqu’en 2013 pour adapter le dialogue social sectoriel. Pendant les négociations, le Medef a fait une fleur aux dirigeants de la CFTC. « Ils nous ont fait savoir qu’à 10 % on leur coupait la tête. On les a entendus, en abaissant le seuil à 8 % », confie un négociateur patronal. Un taux plus bas qui arrange aussi la CFE-CGC et la CGT-FO. Sans oublier certaines fédérations patronales, soucieuses de maintenir en vie leurs interlocuteurs réformistes. Pour l’instant, difficile de compter les perdants : de très rares branches disposent de données fiables sur la représentativité syndicale. Autant dire que tout le monde attend au tournant la Direction générale du travail, chargée d’organiser le nouveau système de décompte (voir encadré page 18).

Dans la métallurgie, les "cinq" devraient sauver leur peau, mais de justesse pour la CFTC et la CFE-CGC

Quelques fédérations patronales disposent déjà de données solides. Dans le secteur bancaire, il ressort des chiffres de l’Association française des banques (AFB) que toutes les centrales devraient passer le cap, y compris la CFTC (11 %). Dans les assurances, en revanche, la centrale chrétienne paraît plus menacée. Avec 8,6 % des voix, elle pourrait faire les frais de la nouvelle loi, en compagnie de la CGT-FO (8,8 %) et de l’Unsa (7,5 %). « Nous soutenons ardemment l’instauration de ce critère d’audience électorale. Pour développer la négociation, nous avons besoin d’avoir en face de nous des organisations syndicales dont la légitimité est renforcée », souligne Éric Ver-haeghe, directeur des relations sociales de la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA). Dans les industries chimiques aussi, la confédération de Jacques Voisin est en danger : selon les calculs patronaux de l’Union des industries chimiques (UIC), elle ne recueillerait que 6 à 7 % des voix. Enfin, dans la métallurgie, les cinq centrales syndicales devraient sauver leur peau. Mais la CFTC (9,3 %) et la CFE-CGC (9,1 %) flirtent avec la ligne jaune. Dernière inconnue, la place de l’Unsa. « La loi permet au gouvernement, dans la phase de transition, de reconnaître d’autres organisations syndicales au niveau national. Cela leur donnerait, de fait, le droit de négocier dans toutes les branches, même si elles n’y ont aucune réalité concrète. Ce qui nous inquiète beaucoup », révèle Jean-Claude Guéry, directeur des affaires sociales de l’AFB. Passée inaperçue, cette disposition, absente de la position commune initiale, émane du… palais de l’Élysée.

Casse limitée dans les branches. Les bouleversements devraient néanmoins être plus limités dans les branches que dans les entreprises. En cause, l’abaissement du seuil de représentativité à 8 %, couplé à un mode de calcul de validité des accords moins contraignant (30 % des voix obtenues par les seuls syndicats représentatifs). « Les organisations menacées sont aussi celles qui signent des accords. Sauf à figer le dialogue social, les branches ne sont pas mûres pour un système majoritaire à 50 % », justifie Pascal Le Guyader, directeur des affaires sociales du Leem, la fédération patronale des labos pharmaceutiques. « La barre à 30 %, c’est pragmatique. Avant d’aller plus loin, on a besoin de voir comment la CGT évolue », abonde Ithier d’Avout, son alter ego à l’UIC. Reste qu’avec ces nouvelles règles certains accords très décriés lors de leur signature pourraient ne plus voir le jour. Comme l’accord 35 heures de la métallurgie, signé voilà dix ans pour torpiller les lois Aubry.

Explosif décompte des voix

Incapables de mesurer l’audience électorale des syndicats dans les branches, les partenaires sociaux ont refilé le bébé à la Direction générale du travail (DGT). « Merci du cadeau ! » ironise son patron, Jean-Denis Combrexelle. Pour ses services, la mission s’annonce particulièrement ardue. À eux d’agréger, branche par branche, les résultats obtenus par les syndicats lors des élections professionnelles d’entreprise. Un boulot monstrueux : la France compte presque 700 branches, dont 600 de moins de 5 000 salariés, telles celles du remorquage maritime ou des boutons de cuir. Et pas question d’y aller à la louche. En 2013, la représentativité des syndicats dépendra directement, au niveau national et dans les branches, des résultats obtenus chez les ouvriers, les techniciens et les cadres. Avec une barre couperet fixée à 8 %. Gare aux contentieux…

À la DGT, on planche sur l’élaboration du nouveau système, qui devrait être opérationnel fin 2009. Le recensement et l’exploitation des résultats seront confiés à un prestataire extérieur unique qui moulinera les chiffres fournis par les entreprises après contrôle de l’Inspection du travail. Un haut conseil au dialogue social, tripartite et indépendant, supervisera le processus et planchera sur le règlement des différends. « Il faut que le système soit exhaustif, fiable et transparent », insiste Jean-Denis Combrexelle. Pas gagné. La Dares, qui, tous les deux ans, mesure l’audience des syndicats lors des élections des comités d’entreprise, reste très loin du compte. Ses enquêtes accusent des pertes en ligne de… 30 %, de l’aveu même de la DGT.

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Auteur

  • Stéphane Béchaux