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Chronique juridique

Paralysie des clauses de mobilité ?

Chronique juridique | publié le : 01.12.2008 | Jean-Emmanuel Ray

Un arrêt récent risque de rendre bien difficile la mise en œuvre des clauses de mobilité : celles-ci, précise la Cour de cassation, ne doivent pas porter atteinte au droit du salarié à une vie personnelle ou familiale, sauf si cette atteinte est justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. C’est donc un examen au cas par cas auquel il faudra se livrer.

Le retour de congé maternité n’est pas toujours un long fleuve tranquille pour la jeune maman, soupçonnée de vouloir davantage développer les capacités de sa progéniture que le chiffre d’affaires de la personne morale qui l’emploie. On ne compte donc plus les arrêts où la chambre sociale a dû prendre position sur ce moment délicat, l’entreprise proposant parfois à l’ex-wonder woman des postes éloignés de celui précédemment occupé, parce que ce dernier a été supprimé ou qu’il est désormais bien occupé par un remplaçant très célibataire et très engagé.

L’arrêt de principe du 14 octobre 2008, dont vont pouvoir bénéficier toutes les entreprises, constitue une caricature des pratiques de certaines sociétés de services qui exigent un engagement total de leurs salariés, qui estiment donc qu’un cadre à temps partiel n’est que partiellement un cadre et chez lesquelles une mère de famille et, a fortiori, un papa, manifestant désormais d’autres centres d’intérêt que leur centre de profit, voient s’ouvrir toutes grandes les portes de Pôle Emploi.

Basée à Marseille, notre consultante et désormais jeune maman Stéphanie M. avait eu en plus l’outrecuidance de demander un congé parental à temps partiel, puis refusé une mission de trois mois en région parisienne. Son contrat prévoyant la « possibilité de déplacements en France et à l’étranger, certaines missions pouvant justifier l’établissement temporaire de sa résidence sur place », elle est licenciée pour faute.

Alors que les magistrats (inamovibles) de la cour d’Aix-Marseille l’avaient déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (« le déplacement prévu était limité à trois mois, dans une ville située à quelques heures de train ou d’avion de Marseille, la mauvaise foi de l’employeur n’étant pas établie »), la chambre sociale casse au visa apparemment paradoxal de deux articles à la logique bien différente, L. 1121-1 (ex-L. 120-2) et 1134 du Code civil, reprochant aux juges d’Aix de « n’avoir pas recherché si, comme le soutenait Mme M., la mise en œuvre de la clause contractuelle ne portait pas une atteinte au droit de la salariée à une vie personnelle et familiale, et si une telle atteinte pouvait être justifiée par la tâche à accomplir et était proportionnée au but recherché ».

MOBILITÉ GÉOGRAPHIQUE ET VIE PERSONNELLE

Énoncer que la situation personnelle du salarié peut avoir un impact sur sa mobilité géographique n’est pas vraiment un scoop. Certes, le 28 mars 2006, la Cour avait déclaré qu’« une mutation géographique ne constitue pas en elle-même une atteinte à la liberté fondamentale du salarié quant au libre choix du domicile », liberté garantie par l’arrêt du 12 janvier 1999 au visa de l’article 8 de la CEDH selon lequel « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Visant cette fois une mobilité voulue par le salarié, l’arrêt du 24 janvier 2007 rendait déjà un son bien différent et stéréo avec celui ici commenté, mais au bien classique visa de la bonne foi contractuelle : le juge du fond « aurait dû rechercher les raisons objectives s’opposant à ce que l’un des postes disponibles dans la région d’Avignon soit proposé à Mme N., contrainte de changer de domicile pour des raisons familiales impérieuses. La décision de l’employeur de maintenir son affectation à Valenciennes, alors qu’il était informé depuis plusieurs mois de cette situation, portait atteinte de façon disproportionnée à la liberté de choix du domicile de la salariée et était exclusive de la bonne foi contractuelle ». Invoquer la bonne foi de l’article L. 1222-1, c’est aller beaucoup moins loin que devoir confronter nécessités de l’entreprise et droit du salarié à « une vie privée et personnelle », même si cette démarche n’est pas nouvelle. Pour passer de Menton à Bergues ou rejoindre une base vie chinoise, on choisit rarement un père d’une nombreuse famille, ou la maman divorcée avec ses trois enfants.

Mais, dans cet arrêt rendu en plénière de chambre, la formulation générale de la Cour semble aller bien au-delà des clauses d’affectation, comme en l’espèce.

RETOUR VERS LE PASSÉ ?

Il y a fort longtemps, au millénaire dernier, la jurisprudence avait adopté une analyse très humaine qui conduisait à une casuistique au résultat aléatoire : pour chaque salarié visé, telle mobilité géographique entraînait-elle « un bouleversement dans sa vie personnelle, familiale ou sociale » ? Selon la localisation du domicile du collaborateur, sa situation de famille (officielle/officieuse et évolutive), les moyens de transport, voire les heures des crèches et des maternelles locales, les solutions étaient donc fort diversifiées… Un peu comme désormais après l’arrêt du 14 octobre 2008 ?

Revirement spectaculaire avec l’arrêt M. H. du 4 mai 1999 récusant cette vision subjective au résultat trop aléatoire car reposant sur l’examen de la situation de chaque sujet de droit concerné. Le changement du lieu de travail « doit être apprécié de façon objective », les juges du fond devant par ailleurs examiner si le nouveau lieu de travail est situé dans le même secteur géographique : mobilité devant alors être acceptée. « Lentement mais sûrement, la chambre sociale semble vouloir bientôt passer les clauses de mobilité au tamis de L. 1121-1. Les entreprises prévoyantes les limitent donc aux salariés pouvant être concernés, et s’expliquent plus avant sur la nécessité de cette mobilité géographique. » Annoncé en septembre dernier dans la 17e édition d’un ouvrage vivant, l’arrêt du 14 octobre 2008 constitue une modification substantielle du droit antérieur.

Car, en cas de contestation par le salarié, le juge doit désormais répondre à deux questions successives :

1° La mobilité envisagée porte-t-elle atteinte au droit du collaborateur à une vie personnelle et familiale ? Ce qui signifie que l’employeur va devoir entrer dans la vie privée de chaque salarié visé, quitte à se mettre en délicatesse avec l’article 9 du Code civil, mais avec l’ex-article L. 122-45, devenu L. 1132-1 et pénalement sanctionné : « Aucune personne ne peut […] faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par la loi du 27 mai 2008 […] en raison de sa situation de famille. » Après l’ordre des licenciements, l’ordre des mutations ? Parmi les 23 consultantes, pourquoi Stéphanie ?

2° Une telle atteinte peut-elle être justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché ?

Trois conséquences :

• Les clauses de mobilité, contractuelles ou conventionnelles, ne sont plus ce qu’elles étaient. Car, par définition, elles ne visent pas un transfert à 20 kilomètres mais plutôt à 200 ou 2 000 kilomètres : dans la plupart des cas, le maintien du domicile est exclu, et la vie personnelle et familiale forcément largement perturbée. Si l’arrêt du 14 octobre 2008 est légitime (« Dans la vie, il faut marcher sur deux pieds » : c’est l’intérêt com0mun), on souhaite bien du courage aux juges du fond pour trouver le bon équilibre entre nécessités de l’entreprise et respect des droits de chaque collaborateur. Exemple le plus délicat : les nécessités d’un accord de GPEC, et a fortiori une mobilité imposée à 132 salariés après la fermeture partielle d’un établissement.

• Même problème au sein du même secteur géographique… comme avant l’arrêt M. H. de 1999 : cette mobilité peut également bouleverser la vie privée et familiale du collaborateur visé. Ainsi du passage d’un bout à l’autre de nos grandes agglomérations, avec un temps de transport quotidien s’allongeant de quinze minutes à trois heures ou rendant matériellement impossible le steeple-chase quotidien du matin (crèche-train-collège-métro).

• Surtout, la situation de chaque salarié est évolutive. C’est sans doute la raison pour laquelle la chambre sociale n’a pas voulu mettre en cause la validité même des clauses de mobilité mais les conditions de leur mise en œuvre à tel moment de la vie. Ce qui permet aussi d’éviter le séisme des effets d’une annulation rétroactive de centaines de milliers de clauses.

Même si deux salariés ont la même clause de mobilité, le Casanova officiellement célibataire du service marketing serait donc désormais plus mobile que sa voisine de bureau également célibataire mais dotée de deux jeunes enfants et s’occupant de son vieux père. Car l’évolution démographique va multiplier les « raisons familiales impérieuses » (pléonasme), notamment « la garde d’un enfant ou la prise en charge d’une personne dépendante » évoquées pour le travail à temps partiel (L. 3123-24) ou de nuit (L. 3122-44).

Solution moins aléatoire pour le salarié : la négociation d’un avenant restreignant ou supprimant sa clause. Voire, pour les plus chanceux, la rédaction personnalisée d’une clause de stabilité géographique permettant d’échapper à toute mutation, y compris dans le même secteur géographique.

ET EN CAS DE REFUS DU COLLABORATEUR ?

Quelle suite donner à un refus d’exécution d’une clause de mobilité justifié par des raisons personnelles ou familiales ? Après « la faute grave en principe » des années 90, la chambre très sociale avait rectifié le tir avec l’arrêt du 9 mai 2001 : « Le refus ne constitue pas nécessairement une faute grave. » Puis « le refus de la modification de son lieu de travail par le salarié dont le contrat de travail contient une clause de mobilité ne caractérise pas, à lui seul, une faute grave » (Cass. soc., 23 janvier 2008) : la Cour de cassation se refuse légitimement à traiter comme un voleur un(e) salarié(e) ne pouvant manifestement pas faire autrement.

Et demain ? Car, après l’arrêt du 14 octobre 2008, un tel refus ne semble plus pouvoir être qualifié de fautif : une simple cause réelle et sérieuse pour le salarié ayant des raisons raisonnables de refuser (ex. : enfants en bas âge) ? Mais si justement, il a de bonnes raisons…

Pour les salariés des deux sexes ne voulant pas être mobiles, morale en forme d’éventuel accident de travail : se marier et avoir beaucoup, beaucoup d’enfants.

Flash
Dégâts collatéraux des clauses de mobilité

« Lorsqu’elle s’accompagne d’une modification de tout ou partie de la rémunération, la mise en œuvre de la clause de mobilité suppose, nonobstant toute clause contraire, que le salarié l’accepte. » Or c’était en l’espèce une clause conventionnelle qui permettait la modification de primes en cas de mobilité (Cass. soc., 14 octobre 2008, M. Stéphane T.).

« La mutation d’une salariée entraînant la perte de primes d’astreintes constitue une modification du contrat de travail. » (Cass. soc., 19 juin 2008.) « Lorsqu’elle s’accompagne d’un passage d’un horaire de nuit à un horaire de jour ou d’un horaire de jour à un horaire de nuit, la mise en œuvre de la clause de mobilité suppose […] que le salarié l’accepte. » (Cass. soc., 14 octobre 2008, M. Joël M.) On comprend la volonté de la chambre sociale de limiter les effets d’une clause de mobilité à la stricte… mobilité géographique. Mais quelle mobilité se fait en toute « neutralité salariale », pour reprendre l’expression de l’avocat général ? A fortiori lorsque la Cour parle de « rémunération », terme plus globalisant que « salaire » : entre les « primes de région parisienne », « la nature des objectifs fixés à M. D. qui déterminait la partie variable » (Cass. soc., 28 octobre 2008) et les usages et accords collectifs du nouvel établissement, la « rémunération » est presque toujours touchée. Les clauses de mobilité ont du plomb dans l’aile.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray