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Vie des entreprises

Un Club Med haut de gamme pour ses GM, moins pour ses GO

Vie des entreprises | méthode | publié le : 01.11.2008 | Anne-Cécile Geoffroy

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Évolution des embauches 2004-2007

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Pour redresser le Club Med, son P-DG, Henri Giscard d’Estaing, a changé de cap. Une révolution assortie d’un effort de formation et d’amélioration de la gestion des contrats. Mais qui n’enraye ni le turnover ni les contentieux.

Pour tous les salariés du Club Med, il est tout simplement « Henri ». Allure chic et décontractée, le fils de l’ancien président de la République est arrivé au Club en 1997 avec Philippe Bourguignon. À l’époque, il tenait les cordons de la bourse de l’entreprise. Mais l’élève a vite dépassé le maître. Philippe Bourguignon a maintes fois raconté, y compris dans un livre, comment il s’est fait débarqué par les actionnaires du Club avec l’aide d’Henri Giscard d’Estaing. Autant dire que ces deux-là ne s’aiment plus. Une anecdote qui montre que le premier GO du Club n’est pas un tendre malgré ses airs policés. Ce diplômé de Sciences po a pris les rênes du Club au pire moment. L’entreprise perdait beaucoup d’argent, la stratégie de développement des villages, signée Philippe Bourguignon, capotait et, coup du sort, le 11 septembre était passé par là. Pour redresser la barre, changement de cap. Finie la stratégie de volume, Henri Giscard d’Estaing veut mener l’entreprise sur les terres du « luxe convivial ». Pour les équipes, c’est une révolution culturelle. Exit l’image des « bronzés » et des villages de cases.

Aujourd’hui le Club Med fait dans le spa et le bien-être, retravaille les ambiances de ses villages et ne veut s’adresser qu’aux 20 % de gentils membres (GM) les plus aisés. Pour tenir cette promesse, le P-DG a mis les bouchées doubles en fermant de nombreux sites (il en reste aujourd’hui 80 au lieu de 120,) et en injectant beaucoup d’argent dans leur rénovation. Il s’est séparé de Jet Tours et du Club Med Gym pour se recentrer sur son cœur d’activité. Des choix qui inquiètent les salariés, soucieux de voir leur patron se séparer des « bijoux de famille » dans une conjoncture économique morose.

1-Enrichir les compétences des GO

Pour accompagner la montée en gamme du Club, l’état-major parisien a commencé par recueillir les idées et les attentes des salariés : 3 000 GO ont été interrogés. D’abord pour définir les valeurs de l’entreprise, ensuite pour revisiter l’organisation des villages. Deux pôles (hôtelier et loisirs) ont été imaginés, des postes créés, d’autres supprimés. « Pour aider les salariés dans ces évolutions, nous avons mis en place un plan de développement des équipes sur deux ans, indique Olivier Sastre, le DRH du Club. Certains ont pu bénéficier d’un bilan individuel et être réorientés vers les nouveaux métiers, d’autres ont choisi d’évoluer vers des fonctions transversales, tel responsable de restaurant. » Dernière étape, la formation des troupes. Le Club Med s’est doté d’une université des talents et a choisi un lieu, Vittel, pour en faire son village-école. Dix-neuf mille stagiaires ont été formés ces dernières années et 5 millions d’euros sont consacrés à la formation chaque année.

Depuis l’an dernier, un millier de GO et de GE (gentils employés) sont invités à se retrouver en novembre à Vittel pour une grande séance de formation. « Cette année, nous mettons l’accent sur les principes qui doivent guider nos managers », précise Sylvie Brisson, chef du projet Magellan et responsable de l’université des talents. « Nous avons un vivier de très jeunes managers qui encadrent des équipes de 30 à 40 personnes, ils n’ont pas toujours les cartes en main pour gérer les conflits », note Françoise Falga, déléguée syndicale CFTC. « La première cause de mécontentement des GO tient aux relations avec leur N + 1 », assure une salariée de Lyon, où sont traités les recrutements, les affectations et la gestion des carrières des GO de la zone Europe-Afrique.

Parallèlement à cet effort de formation, l’entreprise cherche à mieux accompagner ses chefs de village. Issue de la promotion interne, la grande majorité est entrée au Club avec peu ou pas de diplôme. Une dizaine tentent d’obtenir un master 2 Management d’une PME internationale à Paris XII, en VAE. La même politique est en train d’être déployée à des niveaux licence et BTS. « Les salariés en redemandent, souligne Gino Andreetta, DRH des GO villages. C’est pour eux l’assurance que leurs compétences seront reconnues en dehors du Club. »

2-Fidéliser jusqu’au plus haut niveau

Alors que la famille Trigano s’appuyait sur la promotion interne pour fidéliser ses troupes, la marque au trident déroge aujourd’hui aux règles fondatrices. Philippe Bourguignon, le premier, s’était entouré de jeunes loups recrutés dans les multinationales et les cabinets de conseil. Henri Giscard d’Estaing a poursuivi cette politique. Reste que ces deux dernières années sa garde rapprochée a plié bagage. Au printemps, Olivier Jolivet, directeur du développement, a rejoint un spécialiste de l’hôtellerie de luxe. Arnaud Delaporte, le directeur des relations sociales, est parti chez Monoprix. L’année précédente, François Salamon, numéro deux du groupe pendant cinq ans, et Laurent Lassiaz, directeur de la zone Europe, étaient partis. Une vague de départs qui n’est pas pour rassurer les syndicats. Dans sa lettre de juillet dernier, FO épinglait ces managers « carriéristes » qui « n’hésitent pas à abandonner leurs équipes au milieu du gué ». Certains évoquent le départ de l’actuel DRH attendu chez Chanel ou même celui d’Henri. La direction réfute ces rumeurs. « Le souci, c’est que ces départs ne se limitent pas aux seuls managers », explique un salarié de la business unit de Lyon. « Lyon sert de soupape, ajoute une autre salariée. Les équipes encaissent la mauvaise humeur des chefs de village, confrontés quotidiennement aux démissions de GO. »

Pour la direction, l’explication tient au profil des nouveaux GO, cette génération Y adepte du zapping et friande des réseaux sociaux. « Avant, les jeunes venaient pour voyager et rencontrer des gens de tous horizons. Aujourd’hui, ils veulent du confort avant tout et ne prennent pas le temps de découvrir le métier. Ils zappent d’un job à l’autre sans se soucier des conséquences », pointe Karim Dos Santos, entré au Club Med en 1988 comme moniteur de tennis et aujourd’hui chef du village de Phuket, en Thaïlande.

Les salaires proposés aux GO ne sont pas non plus suffisamment attractifs pour retenir ces nouveaux jeunes. Un GO est embauché au smic moins une participation pour le logement (60 à 100 euros par mois) et les repas. Selon Gino Andreetta, DRH des GO villages, le turnover est inhérent à l’activité du Club et au type de contrats proposés. « Pour la grande majorité, nous travaillons avec des saisonniers en CDD. Nous devons porter notre attention sur les meilleurs d’entre eux et les faire intégrer le programme GO clés. » Cinq cents GO à haut potentiel sont ainsi repérés par l’entreprise. Après une ou deux saisons en France, ils sont affectés à l’étranger. « Le souci, c’est que les GO européens restent cantonnés à la zone Europe-Afrique par souci d’économie. Un GO asiatique est toujours quatre fois moins cher qu’un Français », explique une salariée lyonnaise.

3-Désamorcer les bombes sociales

La génération Y est plus volage que les précédentes, mais elle est aussi plus instruite et n’hésite pas à fourrer son nez dans le Code du travail. Une vraie calamité pour le spécialiste des voyages haut de gamme qui a longtemps pratiqué une GRH artisanale.

Si Philippe Bourguignon a commencé à faire le ménage notamment sur le chapitre du temps de travail, Henri Giscard d’Estaing et son équipe n’ont pas totalement soldé le passif. L’accord 35 heures, signé par tous les syndicats, qui distingue le temps de travail et le temps de convivialité, en est une illustration. « Les journées comptent double mais ne sont pas payées comme telles, explique Estelle, ancienne assistante RH dans un club de montagne. En plus de votre journée de travail, vous devez manger avec les GM, participer aux spectacles du soir et à leurs répétitions, sans oublier les réunions avec le chef de village trois fois par semaine entre 23 heures et 1 heure du matin. C’est ce que le Club appelle le temps de convivialité et auquel les GO ne peuvent se soustraire sous peine de ne pas voir leur contrat renouvelé. » Difficile aussi de profiter du jour de repos hebdomadaire institué par Philippe Bourguignon en 1999.

De nombreux salariés se sont engouffrés dans la brèche, en attaquant le Club aux prud’hommes, il y a une dizaine d’années. Plus un GO ne quitte le Club sans négocier son départ. Pour les dirigeants, c’est un vrai casse-tête. « Les heures supplémentaires sont enregistrées. Le principe est de les récupérer durant la saison pour les saisonniers, et également en intersaison pour les permanents. Si jamais elles ne l’ont pas été, alors nous les payons », assure Olivier Sastre, le DRH. Un GO français embauché à 35 heures et envoyé en Tunisie devra néanmoins se plier aux quarante-trois heures hebdomadaires. « Je défends une bonne centaine de salariés, indique Michel Rembault, avocat parisien, devenu la bête noire de la direction. Tous les dossiers sont dans la même veine. La défense de la direction ne varie pas d’un iota : travailler au Club est un mode de vie. Mais ce qui me gêne, c’est que les syndicats n’ont jamais joué leur rôle en portant le sujet en comité d’entreprise. Ils n’ont jamais envisagé une action pour régler cette question. »

Une commission de suivi du temps de travail mise en place en 2000 et animée par FO faisait remonter, une fois par an, tous les dysfonctionnements. « Elle est tombée aux oubliettes », souligne Françoise Falga pour la CFTC, souhaitant qu’elle soit réactivée. Ces derniers mois, plusieurs responsables de service ont dénoncé des pratiques limites en expliquant qu’ils faisaient signer en début de saison des déclarations d’absence d’heures supplémentaires.

4-Améliorer la gestion de la main-d’œuvre

La gestion des contrats de travail des GO est un casse-tête. Le Club doit se débrouiller avec les différentes législations du travail. Sous l’ère Trigano, l’entreprise prenait beaucoup de liberté. Philippe Bourguignon s’est attaché à mettre à plat le système en travaillant sur l’harmonisation des contrats de travail des saisonniers. « Les GO qui ne travaillent pas dans leur pays d’origine disposent tous d’une couverture sociale adaptée. Par exemple, les GO français sont, selon les pays, détachés ou expatriés », assure Henri Giscard d’Estaing. « Tous les systèmes de couverture sociale pour nos GO villages saisonniers et mobiles sur le plan international ont été revus entre 2002 et 2003, ajoute Olivier Sastre. Avec l’objectif d’améliorer cette couverture et de l’optimiser. Nous avons une situation très atypique car nous gérons des salariés de diverses nationalités qui changent de pays et d’emploi à un rythme saisonnier plus rapidement que dans toute autre entreprise. » Pour les GO non européens en CDI, l’entreprise propose un contrat de travail britannique. « Rédigé en français et dont la rémunération est libellée en euros », note Michel Rembault.

Pour pallier le turnover et les pénuries de main-d’œuvre dans les métiers de l’hôtellerie en particulier, le Club a cherché à mieux encadrer la mobilité dans la zone Europe-Afrique. Un accord signé en 2003 entre l’entreprise et deux fédérations syndicales européenne et internationale (Effat et Uita) prévoit le respect des droits fondamentaux des travailleurs, un encadrement des conditions de la mobilité et une période d’expérimentation avec la Turquie. « En trois ans, près d’une centaine de salariés turcs sont venus travailler en France, avec un salaire multiplié par quatre », indique Christian Juyaux, secrétaire du comité européen de dialogue social. Le Club envisage désormais de travailler avec le Maroc, la Tunisie et l’île Maurice. Convaincu que la guerre des talents sera mondiale.

Repères

Partie d’une petite association loi 1901 fondée il y a cinquante-huit ans par Gilbert Trigano et Gérard Blitz, le Club Med recrute près de 10 000 personnes par an dans le monde, en majorité en CDD. Le Club emploie près de 15 500 personnes (en équivalent temps plein).

1950

Création de l’association Club Méditerranée par Gérard Blitz. Premier village de tentes aux Baléares.

1963

Gilbert Trigano devient P-DG.

1993

Serge Trigano, le fils, prend les rênes de l’entreprise.

1997

Fin de la saga Trigano. Philippe Bourguignon, venu de Disney, remplace Serge.

2002

Philippe Bourguignon est débarqué. Henri Giscard d’Estaing, choisi par les actionnaires, devient P-DG.

Évolution des embauches 2004-2007
ENTRETIEN AVEC HENRI GISCARD D’ESTAING, P-DG DU CLUB MED
Les jeunes GO attendent de l’entreprise qu’elle donne du sens à leur travail et les reconnaisse

À votre arrivée à sa tête, le Club allait mal. Comment avez-vous repris la main ?

À cette époque, il était en effet question de la survie du Club Med. L’entreprise était très vulnérable. Le secteur du tourisme avait été durement touché par les attentats du 11 septembre 2001 et on voyait poindre la vague low cost et l’émergence du Web dans notre business. Nous avons commencé par redéfinir nos priorités stratégiques en nous recentrant sur notre produit et les marchés (dont la France) où notre position était favorable.

Vous avez pris la décision de fermer la moitié des villages dans le monde. Avec quelles conséquences sur l’emploi ?

Nous avons certes fermé environ 60 villages, mais nous en avons aussi ouvert une vingtaine et investi massivement pour en rénover 70. Chaque fois que nous avons dû arrêter l’exploitation d’un village sous la marque Club Med, nous avons veillé à expliquer nos choix et, surtout, nous nous sommes efforcés de trouver des solutions de reprise permettant de sauvegarder l’emploi.

Comment faites-vous partager vos choix stratégiques ?

Nous nous sommes attachés, avec le DRH Olivier Sastre, à associer étroitement nos équipes à la définition de notre nouvelle stratégie. Nous avons ainsi mobilisé et écouté 3 000 GO dans le monde entier à l’occasion de véritables road shows. En même temps, il nous a semblé primordial de préciser nos valeurs d’entreprise. Nous l’avons fait selon le même principe bottom up. De cette consultation, nous avons réussi à faire émerger nos cinq valeurs : la liberté, la gentillesse, la multiculturalité, l’esprit pionnier et la responsabilité.

Que provoque la montée en gamme du Club sur les GO ?

Ce repositionnement nous a amenés à faire évoluer en profondeur nos processus de recrutement et de formation, en cherchant à repérer puis à faire grandir de véritables « talents ». Nous portons aussi beaucoup attention aux aspirations personnelles des GO. Une de leurs principales attentes est d’être mieux logés et d’avoir un accès à Internet.

Le Club peut-il toujours tenir aux GO sa promesse de soleil et de voyages ?

Oui, mais pas autant que nous le voudrions ! D’abord parce que, aujourd’hui, nous rencontrons de plus en plus de difficultés pour obtenir des permis de travail pour nos GO dans certains pays. Nous faisons donc voyager en priorité celles et ceux qui ont le plus de potentiel pour évoluer dans l’entreprise, ceux que nous appelons nos GO clés.

Comment faites-vous face au turnover dans l’entreprise ?

Nous employons beaucoup de jeunes qui décident de venir vivre une « expérience » avec nous pour une période déterminée ou même des salariés plus expérimentés qui font une pause dans leur vie professionnelle. Nous vivons un renouvellement permanent d’équipes. Les jeunes GO attendent de l’entreprise qu’elle donne du sens à leur travail et qu’elle les reconnaisse. Nous ne l’avons pas assez fait pendant un certain temps. Mais, depuis deux ans, nous avons mis en place les moyens de détecter les talents de demain parmi nos GO.

Cette nouvelle génération est aussi plus au fait de ses droits. Comment gérez-vous les contentieux autour du paiement des heures supplémentaires ?

D’abord, ils ne sont pas si nombreux que cela. Au Club, nous avons un système de récupération des heures supplémentaires et cela fonctionne. Au moment de leur départ de l’entreprise, il peut se trouver des salariés qui réclament effectivement le paiement d’heures supplémentaires dans le cadre de contentieux. Nous les traitons alors au cas par cas.

Que pensez-vous des dispositifs de participation et d’intéressement ?

Notre responsabilité managériale est de savoir dire merci et de reconnaître l’implication des salariés. Néanmoins, pour mettre en place des dispositifs, l’entreprise doit d’abord renouer durablement avec la croissance et la rentabilité. Ensuite, au niveau international, il est difficile d’instaurer un système d’intéressement pour tous les salariés. Mais nous avons notamment développé une politique de stock-options qui concerne également les chefs de village et un certain nombre de GO clés.

Propos recueillis par Sandrine Foulon et Anne-Cécile Geoffroy

Henri Giscard d’Estaing

52 ans.

1977

Diplôme de l’IEP de Paris, qu’il a poursuivi par une maîtrise d’économie.

1982-1987

Directeur associé de Cofremca.

1987-1997

Directeur du développement de Danone, DG d’Évian-Badoit puis de la branche eaux minérales.

1997

Rejoint le Club Med en tant que DAF puis P-DG en février 2002.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy