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Vie des entreprises

L’acrobatique réforme de la télé publique

Vie des entreprises | zoom | publié le : 01.11.2008 | Anne Fairise

Mutualiser les fonctions, revoir le paritarisme, harmoniser les statuts… Transformer le holding France Télévisions en une entreprise unique est une tâche colossale.

L’année 2008 sera celle de la réforme. » Patrick de Carolis ne croyait pas si bien dire, dans ses vœux aux 11 093 salariés de France Télévisions. En annonçant en janvier la suppression de la pub sur les chaînes publiques (30 %des ressources), Nicolas Sarkozy a suscité un véritable séisme dans le PAF. Le projet de loi sur l’audiovisuel, présenté fin octobre, entérine ce modèle économique inspiré de la BBC. Et initie la transformation du holding France Télévisions en une entreprise regroupant les cinq chaînes éditrices de programmes. Défendu de longue date par Patrick de Carolis, ce changement d’organisation n’en relève pas moins de la gageure. Passage en revue des chantiers qui attendent le patron de l’audiovisuel public.

La mutualisation. Depuis son arrivée en 2005, Patrick de Carolis assiste, tous les deux, trois mois, à sept conseils d’administration différents. Un par chaîne plus celui du groupe et de la régie pub. Ce qui en dit long sur le fonctionnement complexe et les difficultés de gouvernance de France Télévisions. Quarante-neuf sociétés filiales, 13 directions régionales, 28 CE et CCE rien que pour les chaînes. « Plus qu’un groupe, c’est une juxtaposition de sociétés et un agrégat de chiffres économiques », tranche un consultant. La faute à la réforme inachevée d’août 2000 : elle a érigé France Télévisions en holding mais maintenu l’indépendance des chaînes. Pas de quoi infléchir la construction verticale en « silos », à partir des chaînes, ni initier des économies d’échelle. Les sœurs ennemies France 2 et France 3 louent chaucune leurs faisceaux satellites, entretiennent leurs archives, défendent leurs moyens de production… quand la BBC joue la mutualisation. À la clé, des gabegies certaines. Auprès des sociétés de production, par exemple, qui mettent en concurrence les directions des achats et vendent leurs programmes à la plus offrante.

Patrick de Carolis a bien tenté de centraliser les décisions, en transformant le holding en une direction générale, forte de 30 directeurs. Au prix d’« une hausse des effectifs de 23 % depuis 2004 et de la masse salariale de 28 % », tempête la CFE-CGC. Il a aussi créé une DRH groupe, confiée à René Maisonneuve, venu de Thales. Le bilan, au bout de trois ans de mandat, est plutôt maigre. « Les responsables de holding organisent des réunions transversales. Mais leurs décisions sont peu suivies », note un rédacteur en chef. L’organisation matricielle, initiée en 2007 pour décloisonner les chaînes, n’a pas bouleversé la vie du groupe. Idem des huit chantiers de synergie lancés en 2007 et vite confrontés à une bronca syndicale quasi générale. Résultat, seuls trois ont mené à la création de directions communes (achats, jeunesse, études) qui regroupent, depuis le 1er octobre, 58 salariés.

« La structure juridique actuelle arrive au bout de ses possibilités », résumait Patrick de Carolis à la commission Copé chargée, au printemps, de repenser la gouvernance de France Télévisions. Selon celle-là, l’entreprise unique générera 140 millions d’euros par an d’économies (pour un budget 2007 de 2,9 milliards d’euros). Un montant que ne cautionne pas la direction, peu prolixe sur les pistes d’économies : une réforme de France 3 (49 % des effectifs), qui a fait – sans succès – l’objet de trois projets d’entreprises en moins de dix ans ? Des allégements d’effectifs, comme le craignent les syndicats ? Seule option évoquée par Patrick de Carolis : les 900 départs à la retraite attendus d’ici à 2012.

La reprise en main des RH. Il a eu beau invoquer le précédent de la privatisation de TF 1 en 1986, Patrick de Carolis n’a pas obtenu gain de cause. La loi audiovisuelle ne prévoit pas de mettre fin au paritarisme chez France 2, France 3 et RFO : il perdurera pendant la période de négociations du futur accord d’entreprise unique. Au grand dam des dirigeants, qui voient dans cette pratique issue de la convention collective de l’audiovisuel public de 1984 un puissant frein à la réforme. En ligne de mire ? Les commissions paritaires, qui réunissent 10 membres de la direction et 10 représentants syndicaux pour étudier promotions, avancements, mutations, et même, chez France 3, les recrutements et les augmentations salariales. Autant de « lourdeurs dans les décisions », de « délégitimation » du management et de « pratique effrénée du clientélisme », selon des documents transmis cet été par France Télévisions au ministère de la Culture. « C’est faux : la décision finale appartient toujours à l’employeur », conteste Carole Petit, du SNJ. « La direction se voit obligée de nous fournir des informations sur les carrières, les promotions. Ça lui déplaît », explique Patrice Christophe, de la CFDT.

Pour retrouver des marges de manœuvre, René Maisonneuve a commencé à recentrer les 320 postes dédiés aux RH sur la gestion des carrières, l’animation de la performance et le développement des compétences. En 2007, en tout cas, les salariés de France 2 n’avaient toujours pas droit aux entretiens annuels d’évaluation… en vigueur à France 5.

La renégociation des accords d’entreprise. La remise en question de la convention collective de l’audiovisuel public, voilà la ligne jaune à ne pas franchir pour la CGT, première de la dizaine d’organisations de France Télévisions. Au contraire, la CGT réclame l’extension de la convention à toutes les sociétés (France 5, Arte, le holding France Télévisions). Et a lancé une pétition pour défendre ce quasi-statut de fonction publique, faisant figure d’épouvantail pour son impact sur les coûts salariaux. En cause, notamment, les avancements automatiques garantis selon l’ancienneté. Autant dire que la partie promet d’être serrée, même si l’obsolescence de la convention collective, désormais reconnue par tous, est pour partie responsable de la floraison d’accords d’entreprise (50) et des disparités de traitement entre salariés faisant le même métier. Selon la CGT, l’harmonisation sociale (alignement des salaires sur ceux de France 2 et coûts de formation) coûterait 70 millions d’euros. Soit 6 300 euros par salarié.

Côté négociations, France Télévisions s’est outillée, avec la création d’un poste de directeur des relations sociales groupe, la constitution d’un comité de groupe et la désignation de six coordinateurs syndicaux de groupe. Droits d’auteur, égalité professionnelle, handicap, formation… près de 10 accords ont été signés en un an. De quoi instaurer des bases communes. « La DRH a essayé de désamorcer tout ce qui n’est pas conflictuel. Elle a pu donner des gages au gouvernement. Mais, aujourd’hui, nous entrons dans le dur », note la CGT. La tentative de négocier un service minimum, cet été, dans le cadre d’un accord sur le dialogue social, a capoté.

La ligne jaune pour la CGT ? La remise en question de la convention collective de l’audiovisuel public

L’évolution des métiers. Observatoire des métiers, groupes de travail sur le montage, la prise de vue, la transmission : les réflexions menées à France 2 et France 3, ces dernières années, ont toutes achoppé sur l’épineuse question de la polyvalence. Fin 2007, la DRH groupe a repris le dossier et décidé de travailler sur les métiers de demain plutôt que de parler de l’existant. Objectif : cerner les compétences techniques requises dans cinq ans. Restera ensuite à définir, avec la nouvelle université d’entreprise, les étapes à mettre en œuvre pour parvenir à un exercice similaire de ces métiers partout à France Télévisions. Une manière de désamorcer les craintes.

56 %

des charges de RFO sont dues au personnel, contre 27 % pour France 3.

Rapport IGF, janvier 2006.

La BBC entre État et marché

La publicité ? La British Broadcasting Corporation n’a jamais connu. Le premier groupe audiovisuel mondial est financé en grande partie par le téléspectateur. Le budget annuel de 2007-2008, à la hauteur de 4,415 milliards de livres, repose ainsi à 76 % sur la redevance (139,50 livres annuelles) et à 20 % sur la commercialisation des programmes à l’étranger et la vente de livres, DVD et autres produits. Seule exception, la chaîne BBC World Service, diffusée dans le monde en 33 langues, reçoit une allocation du Foreign Office. La tempête n’épargne pas ce mastodonte du service public audiovisuel.

Le gouvernement ayant décidé en janvier 2007 de ne pas faire évoluer la redevance avec l’inflation, le groupe est en pleine restructuration : licenciement de plus de 2 000 salariés, réduction de 10 % des budgets consacrés aux programmes…

Au détriment de la qualité ?

Non, assure la BBC qui, dans sa nouvelle stratégie financière établie l’an dernier, compte sur ses opérations commerciales en plein essor pour « satisfaire les attentes du public sans compromettre la qualité ». L’épée de Damoclès reste en suspens : si le paiement par la redevance a été sauvé in extremis, le sujet sera remis sur la table en 2012, lors du passage au numérique. Bien que critiqué par plusieurs groupes de pression l’estimant obsolète, ce mode de financement donne à la BBC une indépendance totale à l’égard des publicitaires, actionnaires et autres intérêts politiques. Et l’oblige à se mettre entièrement au service de celui grâce à qui elle existe : son public. Ce dernier est consulté en permanence par le directoire BBC Trust, représentant ses intérêts, sur la qualité de la programmation ou la confiance en l’intégrité éditoriale de la « Beeb » – mise à mal dernièrement par divers scandales.

Agnès Baritou, à Londres

Auteur

  • Anne Fairise