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Vie des entreprises

À propos des clauses de non-concurrence

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.11.2008 | Jean-Emmanuel Ray

Depuis 2002, la clause de non-concurrence est sous surveillance. De récents arrêts en attestent : la chambre sociale veille à ce qu’elle ne soit pas masquée derrière d’autres clauses à l’appellation plus anodine, à ce qu’elle soit toujours assortie d’une contrepartie financière et à ce que les conditions formelles de la renonciation de l’employeur soient strictement respectées.

Pour éviter la fuite de savoir-faire dans le camp d’en face et dissuader ses collaborateurs en poste de regarder trop facilement ailleurs, nombre d’entreprises ont depuis fort longtemps recours à la bien peu libérale clause de non-concurrence (CNC). Parfois, d’ailleurs, à la demande expresse de cadres supérieurs qu’elles-mêmes ont débauchés chez le concurrent et qui obtiennent ainsi un discret car apparemment si contraignant parachute doré : quand on a 59 ans et que ce parapente est de deux ans (2 millions d’euros à ce seul titre pour un ex-dirigeant d’EADS début 2007…), l’argent aide à supporter la pauvreté.

Certes, depuis le tsunami jurisprudentiel du 10 juillet 2002 en forme de statut de défiance (« la CNC n’est licite que si… », avec cinq conditions cumulatives) voulant réagir aux errements de certains (laveur de carreaux : CNC de quatre ans, sur tout le territoire), nombre d’entreprises ont nettement réduit la voilure en ce domaine : ce qui était gratuit étant devenu coûteux avec la nécessaire contrepartie financière, la CNC est aujourd’hui mieux ciblée et inclut systématiquement des clauses de renonciation patronale. Il est en effet des collaborateurs dont on ne peut que souhaiter qu’ils aillent enfin plomber la concurrence. Mais il va de soi que la clause permettant à l’employeur d’imposer à son gré une obligation de non-concurrence après la rupture est nulle car purement potestative (Cass. soc., 15 avril 2008).

CNC ET NOTIONS VOISINES

On ne peut être à la fois collaborateur et concurrent : il ne faut pas confondre CNC visant l’après-rupture et obligation de non-concurrence s’imposant à tout salarié pendant l’exécution du contrat. Paradoxe apparent : celui qui a fait ainsi concurrence à sa propre entreprise et a été licencié de ce fait pourra néanmoins, s’il a eu l’intelligence de cesser toute concurrence la veille de son licenciement, toucher la contrepartie de sa CNC : « La clause de non-concurrence étant distincte de l’obligation de loyauté à laquelle le salarié se trouve soumis pendant la durée d’exécution du contrat de travail, seuls les manquements du salarié fondés sur des faits postérieurs à la rupture pouvaient, dans le cadre de cette clause, permettre à l’employeur de s’exonérer du règlement de la contrepartie financière. » (Cass. soc., 30 octobre 2007.)

Ne pas confondre non plus CNC et clause d’exclusivité des services s’appliquant là encore pendant l’exécution du contrat. En raison de l’atteinte qu’elle porte au principe de libre exercice d’une activité professionnelle, elle est illicite pour les salariés à temps partiel (Cass. soc., 25 février 2004) et l’article L. 1222-5 l’écarte d’autorité pendant un an en cas de création ou de reprise d’entreprise.

Mais, depuis les arrêts de juillet 2002 obligeant à une contrepartie financière, ont surtout fleuri des clauses Canada Dry : elles ont la couleur d’une CNC, le goût d’une CNC, mais ne sont surtout pas une CNC. Si la chambre commerciale n’a pas voulu censurer le 10 mai 2006 la clause de non-sollicitation passée entre deux entreprises s’interdisant de débaucher leurs collaborateurs (cf. SSII), clause permettant de contourner partiellement la jurisprudence de la chambre sociale en cas d’entreprises dominant le marché, cette dernière ne s’en laisse pas compter et n’hésite pas à requalifier des clauses excessivement créatives, bref frauduleuses : « Ayant procédé à une interprétation de la clause contractuelle de non-détournement de clientèle, la cour d’appel, qui a constaté que son libellé très large et imprécis aboutissait, en fait, à interdire à M. L. l’accès aux entreprises œuvrant dans le secteur aéronautique et donc à lui interdire l’exercice d’une activité conforme à sa formation et à son expérience professionnelle, a pu décider que la clause litigieuse devait s’analyser en une clause de non-concurrence déguisée, illicite puisque dépourvue de contrepartie financière. » (Cass. soc., 2 juillet 2008.) Rappelons enfin que, même en l’absence de CNC, le départ de l’entreprise ne signifie pas que l’ex-salarié puisse faire n’importe quoi. S’il a évidemment le droit de tirer parti de l’expérience acquise, il reste tenu à une obligation de confidentialité sur les secrets de fabrication et ne doit pas se livrer à des actes de concurrence déloyale (détournement de clientèle et débauchage massif de collègues de son ex-employeur tenus par une CNC… si celle-ci est licite) : Cass. com., 29 janvier 2008.

NÉCESSAIRE INDEMNITÉ COMPENSATRICE

Depuis le revirement de 2002, toute CNC implique une contrepartie financière spécifique, véritable salaire d’inactivité et d’ordre public quelle que soit la qualification contractuelle donnée par les parties : l’absence de contrepartie rend donc la CNC annulable dans sa totalité.

Son mode d’emploi est fourni par l’arrêt du 24 septembre 2008 : « L’obligation de paiement de l’indemnité compensatrice de non-concurrence est liée à la cessation d’activité du salarié : elle ne peut être affectée par les circonstances de la rupture du contrat de travail. » La clause de non-concurrence assortie d’une contrepartie financière est stipulée aussi bien dans l’intérêt de l’employeur que dans celui du salarié : ni le contrat individuel ni la convention collective ne peuvent la limiter à une rupture patronale (« Méconnaît la liberté fondamentale du salarié d’exercer une activité professionnelle et, comme telle, est nulle la CNC qui ne prévoit le versement d’une contrepartie pécuniaire qu’en cas de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur », Cass. soc., 31 mai 2006), mais aussi du fait du salarié (Cass. soc., 21 février 2007).

La prise d’acte rompant quoi qu’il arrive ensuite le contrat (effets d’une démission ou d’un licenciement), la contrepartie est également due à moins que l’employeur ne se réveille rapidement et mette en œuvre sa faculté de renonciation nécessairement contractuelle ou conventionnelle : son délai « court à compter de la date à laquelle l’employeur a eu connaissance de la prise d’acte par le salarié ». En l’espèce, moins d’un mois : « délai raisonnable » (Cass. soc., 13 juin 2007).

Cas banal : la faute grave, voire lourde (Cass. soc., 31 mai 2006) du collaborateur consistant parfois… en des actes de concurrence. Comme elle est privative des indemnités de rupture, certains employeurs, par contrat, mais aussi certaines conventions collectives avaient alors prévu sa suppression. Comme elle l’avait fait pour une clause contractuelle le 28 juin 2006 (« Les parties au contrat ne peuvent dissocier les conditions d’ouverture de l’obligation de non-concurrence de celles de son indemnisation »), la Cour de cassation a censuré un tel lien le 4 juin 2008 : « Vu le principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle, vu ensemble les articles L. 120-2 et L. 132-4, devenus L. 1121-1 et L. 2251-1, une convention collective ne peut déroger à la loi pour interdire, en cas de faute grave, au salarié soumis à une CNC de bénéficier d’une contrepartie financière. » Déroger à la loi ? Diantre ! Où diable figure donc ce texte légal ? Il s’agit plutôt d’une interdiction de déroger aux arrêts de règlement rendus par la chambre sociale le 10 juillet 2002.

Contrepartie et impossibilité de concurrence : « L’obligation de paiement de l’indemnité compensatrice de non-concurrence est liée à la cessation d’activité du salarié, au respect de la CNC et à l’absence de renonciation de l’employeur. Elle ne peut être affectée par la possibilité pour le salarié de reprendre ou non une activité concurrentielle » (Cass. soc., 24 septembre 2008). Ce cadre commercial, ayant pris acte de la rupture, puis étant immédiatement parti à la retraite, demandait la contrepartie de sa CNC : comme il ne pouvait plus légalement exercer une activité professionnelle rémunérée (c’était bien avant le 1er janvier 2009), « il ne pouvait prétendre à une indemnité destinée à réparer un préjudice résultant de la difficulté de retrouver un emploi pour l’avenir », avaient en chœur indiqué conseil de prud’hommes puis cour d’appel. Cassation assurée, rappelant l’arrêt du 5 avril 2005 où, cette fois, c’était l’employeur qui, ayant dissous sa société, ne voulait pas verser la contrepartie d’une obligation de ne pas faire concurrence à une personne morale décédée.

RENONCIATION PATRONALE À LA CLAUSE

Permettant le non-versement de la contrepartie, elle est devenue de style depuis 2002 : « L’indemnité compensatrice de l’interdiction de concurrence se trouve acquise, sans que le salarié qui a respecté son obligation ait à invoquer un préjudice, dès lors que l’employeur n’a pas renoncé au bénéfice de celle-ci dans le délai conventionnel. » (Cass. soc., 27 mars 2008.)

La chambre très sociale est ici encore très attentive, qu’il s’agisse du strict respect des délais (en l’espèce, délai conventionnel de huit jours, mais levé au bout de onze : versement) ou de la volonté explicite de l’employeur. Ainsi d’une CNC de dix-huit mois dans l’arrêt du 23 septembre 2008 : un salarié licencié pour motif économique part en préretraite ASFNE mais demande versement de la contrepartie. Refus de l’employeur qui, au cours de la procédure d’information-consultation, s’était engagé devant le CE à lever toutes les CNC des licenciés afin qu’il puissent rapidement trouver du travail… mais ensuite n’avait plus rien fait :

1° « La renonciation de l’employeur à se prévaloir de la CNC doit résulter d’une manifestation de volonté claire et non équivoque. » 2° « La seule mention de l’intention de l’employeur dans le PSE ne constituait pas cette volonté claire et non équivoque d’une renonciation aux effets de cette clause telle qu’elle était prévue dans le contrat de travail. »

Reste qu’il ne faut pas s’illusionner sur l’efficacité réelle d’une CNC en nos temps de papy-boom et de chasse aux talents : combien de violations pour combien de procès dans le western qu’est devenue la vie des affaires ? Et, dans certains groupes internationaux, le collaborateur ainsi débauché est affecté pendant l’exacte durée de la clause dans une région ou un pays non visés par celle-ci, avec Internet et un portable à portée mondiale.

Flash
La CNC obligatoire dans le contrat de travail ?

« Les contrats de travail devront préciser les conditions de mise en œuvre des clauses de non-concurrence (limites dans l’espace et dans le temps, contrepartie financière, modalités du droit de renonciation de l’employeur), des clauses de mobilité ainsi que, lorsqu’elles existent, les délégations de pouvoir (étendue de la délégation, etc.) », précise l’article 10 de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail. Si l’on y ajoute le fait que l’essai doit désormais figurer impérativement dans chaque contrat (« La période d’essai et la possibilité de la renouveler ne se présument pas : elles sont expressément stipulées dans le contrat de travail », C. trav., art. L. 1221-23 nouveau), l’évolution serait sensible :

1° Fini le simple et si discret renvoi à la convention collective applicable fixant le régime de ces diverses clauses. Mais normal, car le salarié doit savoir à quoi il s’engage sans devoir étudier en détail l’interminable convention de branche. 2° Si, en application de l’accord, les partenaires sociaux signent sur ce thème d’ici à janvier 2009, le régime de la CNC pourrait en sortir transformé : un seuil minimal pour la contrepartie financière, contre un élargissement des possibilités de renonciation du côté patronal, auquel les entreprises tiennent beaucoup ?

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray