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Politique sociale

Les inconnues du divorce à l’amiable

Politique sociale | publié le : 01.11.2008 | Stéphane Béchaux

Bien accueillie par employeurs et salariés, la rupture conventionnelle, autorisée depuis trois mois, comporte des risques de détournement. Et les finances de l’Unedic pourraient en pâtir…

On connaît plus détendant que le Journal officiel comme lecture estivale. Début juillet, Lilou, Rémi, Stéphane, Nasredim et Sandy guettaient fébrilement la publication des décrets et arrêtés mettant sur orbite la rupture conventionnelle, créée en janvier par les partenaires sociaux et adoptée en juin par les parlementaires. Une insupportable attente pour ces salariés internautes qui déversaient leur mauvaise humeur sur le forum droit-finances.net. « J’en ai marre de cette administration qui fonctionne au ralenti dès lors que les grandes vacances arrivent !!! Après, les hautes instances s’étonnent qu’il y ait des suicides ou de longs arrêts maladie à cause du boulot !! Mais vu comment c’est long pour pondre un malheureux formulaire, y a de quoi en arriver à certains extrêmes !!! » se lamentait Lilou.

Pour elle comme pour tous les déserteurs en puissance, la délivrance est intervenue le 19 juillet. Depuis ce jour, tout titulaire d’un CDI peut, en toute légalité, entamer un divorce à l’amiable avec son patron. À mi-chemin entre la démission et le licenciement, ce nouveau mode de rupture ouvre droit au régime d’assurance chômage. Ainsi qu’au versement d’un petit pécule : une indemnité au moins égale à 1/5 de mois de salaire par année d’ancienneté. Du pain béni pour nombre de salariés qui, insatisfaits de leurs conditions de travail ou de leurs perspectives d’évolution, rêvent de se faire la malle. C’est le cas d’Élodie qui, maltraitée par son boss, souhaite reprendre une formation. « Je suis en litige depuis un an et demi avec mon employeur à la suite d’un déclassement professionnel et d’un avertissement injustifié qui a, depuis, été annulé. J’ai pris la décision de changer de domaine », explique l’intéressée. Ou bien celui d’Arnaud qui, salarié dans l’informatique, veut se mettre à son compte. « Je vais créer ma boîte. Pendant la période de démarrage, j’ai besoin des Assedic pour sécuriser mon projet. Ce qui n’est pas possible en cas de démission. »

Engouement patronal. Chez les dirigeants aussi, cette séparation à l’amiable suscite une large adhésion. « On y est extrêmement favorable. La rupture conventionnelle va servir dans les situations de divergence ou de mésentente, quand il y a accord commun des parties pour se séparer mais pas de motif suffisant pour justifier un licenciement », explique Éloïse Verde-Delisle, directrice des relations sociales d’IBM. Les employeurs en attendent une diminution des départs transactionnels et des contentieux prud’homaux. « La jurisprudence de la Cour de cassation impose de trancher la question de la rupture du contrat de travail avant toute transaction. On se voit donc obliger d’écrire des choses désagréables au salarié pour justifier la cause réelle et sérieuse du licenciement. Avec la rupture conventionnelle, plus besoin de mettre de l’huile sur le feu », se félicite Pascal Collardey, DRH de KPMG.

Des vertus pacificatrices confirmées par certains avocats. « C’en est fini des pratiques stressantes ou déstabilisantes à base de mails ou de lettres d’avertissement. Cet outil permet d’entrevoir autrement les conditions de séparation sans se balancer la vaisselle à la figure », note Sylvain Niel, du cabinet Fidal. Alors, la rupture conventionnelle serait-elle un nouvel antidote à la conflictualité dans les entreprises ? Pas sûr. Car celui qui propose la séparation envoie un message fort à l’autre partie. Faire savoir à son patron qu’on prendrait bien la porte, c’est afficher son manque d’entrain. À l’inverse, inviter un collaborateur à aller voir ailleurs, c’est lui signifier qu’il n’a plus d’avenir dans la maison. De quoi compliquer sérieusement les relations de travail en cas d’échec des discussions…

« On va assister à des jeux de dupes. Pour faire monter les enchères, certains salariés vont signer de vrais-faux accords avant de se rétracter. L’employeur sera alors obligé d’accepter une rallonge pour éviter le contentieux », pronostique l’avocat montpelliérain Alain Ottan. « L’employeur qui prend l’initiative de la rupture ne doit rien formaliser avant la signature de la convention. Sinon, en cas d’échec des discussions, il aura toutes les peines du monde à justifier devant le juge la cause réelle et sérieuse du licenciement qu’il déciderait de notifier », ajoute son confrère parisien François Denel.

L’entrée en récession accroît les incertitudes. Avec des salariés moins enclins à quitter volontairement leur job et des employeurs soucieux de réduire à bon compte leur masse salariale

Un risque de contagion. Bien naïfs, néanmoins, les salariés qui s’imaginent que la démission n’a désormais plus cours ! Échaudés par les déboires du contrat nouvelles embauches, prétendument sans risques, les patrons de TPE se méfient du nouveau dispositif. Avant d’ouvrir leur porte-monnaie pour faciliter le départ de salariés sans histoires, ils réfléchiront à deux fois. Certains s’en sont déjà rendu compte, telle cette salariée à temps partiel qui, pour emporter l’accord de son patron, lui a proposé de renoncer à son indemnité de rupture de… 600 euros ! En vain. Les DRH des grands groupes, eux aussi, affichent une certaine intransigeance. Pour éviter les risques de contagion, pas question de faire preuve de laxisme. « On a toujours refusé de négocier le départ des collaborateurs qui nous donnaient satisfaction. On ne va pas, maintenant, accepter leurs demandes de rupture conventionnelle. Il faut être cohérent », affirme Pascal Guillemin, DRH de Cegid. « On sera très ferme avec les salariés qui veulent partir contre notre gré. À eux d’assumer la responsabilité de leur départ en démissionnant. À l’inverse, en cas de faute, nous continuerons à licencier, car nous n’avons pas à partager cette décision avec le collaborateur », prévient Marc Veyron, DRH des supermarchés Champion.

Fin septembre, on dénombrait 1 660 ruptures conventionnelles dans l’Hexagone, dont 171 ont ensuite été retoquées par les directions départementales du travail (voir encadré ci-contre). Mais extrapoler à partir de ces chiffres est difficile : lancé en pleine période estivale, le dispositif n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière. De surcroît, l’entrée en récession de l’économie française accroît les incertitudes. Avec, d’un côté, des salariés moins enclins à quitter volontairement leur job et, de l’autre, des employeurs soucieux de réduire à bon compte leur masse salariale. Quand bien même les textes interdisent d’utiliser le dispositif dans le cadre d’un plan social ou d’un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. « Il est très clair que certains l’utiliseront pour faire des réductions d’effectifs. Dans les PME, notamment, on s’en servira d’outil de GPEC. Mais, pour l’instant, il n’y a pas d’abus à grande échelle », observe Stéphane Béal, directeur du département droit social chez Fidal. Sa consœur Marie-Emmanuelle Bonafé se montre plus pessimiste. « Des gens qui veulent détourner la rupture conventionnelle de son objet, on ne voit que ça. À la limite, ce dispositif ne sert à rien d’autre qu’à dévoyer le système », assure-t-elle.

Grogne dans les directions départementales du travail. À la Direction générale du travail (DGT), on se veut rassurant. « Des remontées du terrain, il ressort que nous ne sommes pas face à un système de contournement des règles. Mais il est clair que cette procédure doit être utilisée raisonnablement, conformément à son objet. C’est de la responsabilité des syndicats, des DRH, des praticiens et des juges », souligne son directeur, Jean-Denis Combrexelle. Et celui-ci de rappeler que, en cas de suspicion d’abus, les services d’inspection du travail ont tout loisir de contrôler les entreprises douteuses… Dans certaines directions départementales du travail, la grogne est déjà palpable. En particulier en région parisienne, où les services croulent parfois sous les appels. « On n’arrive plus à gérer les demandes de renseignements. Les standardistes deviennent folles car les appels basculent sur leur poste quand toutes les lignes sont occupées », se désole un directeur du travail francilien. Un signe supplémentaire de l’intérêt manifesté pour le dispositif. En pleine renégociation de la convention Unedic, les gestionnaires du régime d’assurance chômage ont tout intérêt à surveiller la rupture conventionnelle comme le lait sur le feu…

Un contrôle purement formel

Les textes sont clairs. Chargés d’homologuer les demandes de rupture conventionnelle, les directeurs départementaux du travail doivent vérifier le « libre consentement des parties » et contrôler les « éléments fondant l’accord du salarié ». Sauf qu’en pratique ils en sont bien incapables. « Comment voulez-vous vérifier le libre consentement sur un formulaire, sans interroger les gens ? On s’en tient à un contrôle purement formel », avoue l’un d’eux, sis en région parisienne. « On vérifie le respect de la procédure. Pour le consentement, c’est plus dur. En cas de désaccord, il faut que le salarié utilise son délai de rétractation », ajoute Alain Martinon, président de l’Arsete, l’association des directeurs du travail.

Deux motifs concentrent les refus d’homologation : le non-respect du calendrier et l’insuffisance de l’indemnité de rupture.

L’homologation ne réduit donc guère l’aléa juridique.

Les salariés disposent d’un délai de douze mois pour contester, devant les prud’hommes, la convention qu’ils ont signée. Certains praticiens jugent le risque faible. « Il ne devrait y avoir du contentieux qu’à la marge, sur des cas de consentement vicié », prédit l’avocat Pierre Masanovic. Beaucoup de ses confrères, au contraire, considèrent le dispositif comme mal bordé. Ils conseillent aux entreprises d’en rester à la transaction – une partie de leur fonds de commerce ! – ou de « blinder » la convention.

Le document type concocté par Fidal fait ainsi une dizaine de pages. Ces arguments ont fait mouche dans certaines entreprises. Ainsi, à Carrefour, la direction des relations sociales recommande, dans une note interne, « de ne pas conclure ce type de convention ».

L’avocat lyonnais Joseph Aguera, lui, a trouvé une astuce. « Le document aux fins d’homologation, je le fais envoyer à la DDTEFP par le salarié. Qu’il aille, ensuite, plaider le vice du consentement devant le juge »

Auteur

  • Stéphane Béchaux