Professeur de sciences politiques à Princeton, Ezra Suleiman a consacré une grande partie de sa vie à étudier les élites françaises. Dans ce livre bilan, cet Américain francophile ne cache pas qu’il est inquiet pour notre pays. Sa crainte vient de la force d’inertie des élites françaises face au changement et à la mondialisation, et il n’est pas loin d’y voir le fer de lance des corporatismes que l’on aime tant dénoncer tant qu’il est question du corporatisme de l’autre.

La France n’est pas programmée pour affronter la réalité. Comme le remarque fort justement l’auteur, c’est « une société qui préfère les convictions aux solutions ». Un pays qui croit passionnément à la force de la passion, au point qu’il est moins important de dire des choses justes que de les avancer avec passion. L’admiration de nos contemporains va à ceux qui semblent motivés par des passions qui transcendent leurs personnes. En revanche, les chefs d’entreprise sont toujours considérés avec suspicion, même ceux qui ont créé des milliers d’emplois.

Ezra Suleiman discerne une autre forme de schizophrénie dans notre attachement aux mots solidarité et égalité, qui lui apparaît très éloigné de nos comportements au quotidien. Tout le monde en France soupçonne l’autre de tricher, constate-t-il, « or une société où chacun traite l’autre de tricheur est incapable de pratiquer la solidarité ». Quant à l’égalité, elle coexiste très bien avec un élitisme plus poussé que partout ailleurs.

Ezra Suleiman ne prend pas de gants pour pointer tout ce qui fait de nous non pas une société bloquée, car la France a changé profondément depuis les Trente Glorieuses, mais incapable de trouver une méthode et une volonté pour s’attaquer à des problèmes qu’elle traîne depuis trop longtemps.