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Idées

Assiste-t-on à une “étatisation” du paritarisme ?

Idées | DÉBAT | publié le : 01.11.2008 |

Encadrement ferme de la renégociation de la convention d’assurance chômage, réforme de la formation professionnelle, ponction sur les fonds du 1 % logement… Tous les systèmes gérés par les partenaires sociaux sont menacés d’une reprise en main par l’État. Faut-il se féliciter ou s’inquiéter de cette remise en cause de la gestion paritaire d’organismes sociaux ? Les réponses de deux chercheurs et d’un consultant spécialisé dans la formation continue.

Laurent Duclos Chercheur au Laboratoire des institutions et dynamiques historiques de l’économie

Dans le paritarisme d’institution, la mise en œuvre par l’État de son pouvoir de substitution aux partenaires sociaux n’est pas une chose nouvelle, a fortiori dans le régime général de Sécurité sociale. Qu’il s’agisse d’assurer l’équilibre d’un régime spécifique ou de satisfaire aux exigences posées par une équation plus macroéconomique, cet interventionnisme peut s’étendre aux régimes conventionnels – à commencer par l’assurance chômage – et s’affranchir des frontières institutionnelles. En condamnant naguère, à la Sécu, le « faux paritarisme », les partenaires sociaux avait établi une ligne de défense : paritaire = conventionnel = autonomie de gestion. Chacun chez soi, en somme ! En vérité, l’élaboration par voie conventionnelle d’une protection sociale (complémentaire) obligatoire a montré que le principe paritaire se déduit moins de l’origine conventionnelle des régimes en question qu’il ne constitue une contrepartie à l’obligation d’affiliation et d’adhésion. Le paritaire porte ainsi l’empreinte de la solidarité et le paritarisme, finalement, n’a jamais été qu’une manifestation de l’État social.

Or, au-delà de la simple résolution d’une équation financière, le paritarisme fait face aujourd’hui à de nouveaux défis : la soumission croissante de la protection sociale complémentaire aux règles du « marché de l’assurance collective » dissout aujourd’hui la référence à la solidarité et enlève tous les jours un peu plus de son caractère substantiel à la gestion paritaire. Sous l’effet des regroupements entre institutions de retraite, de prévoyance avec des mutuelles ou des sociétés d’assurance, des formules de gouvernement hybrides émergent, ainsi qu’en témoigne la revendication naguère saugrenue d’un « paritarisme compétitif » ! Quoique interprète de la norme européenne, l’État est plutôt spectateur de cette évolution. En ce qui concerne l’assurance chômage – le nouveau Pôle Emploi –, la formation professionnelle, voire le 1 % logement, on fait plutôt face à un « reengineering » des grandes fonctions collectives, plus ou moins ordonné par l’État. Cela dit, la réforme imposée comme le renvoi à la négociation ont aussi de bons côtés ; ils forcent aujourd’hui les parties à renouveler l’approche que nos « vieux » paritarismes ont de la protection et des garanties sociales, ainsi que la réponse qu’un concours d’institutions pourrait utilement apporter à l’impératif de « sécurisation des parcours ».

Catherine Vincent Chercheuse à l’Ires

Le rôle du paritarisme dans la gestion des organismes sociaux a toujours fait l’objet d’un débat politique très controversé, mais le renforcement de l’emprise de l’État semble indéniable depuis mai 2007. Plus inquiétant, c’est dans le champ de ce que certains appellent « le paritarisme pur », les institutions paritaires issues de la négociation et gérées à parité par des représentants des employeurs et des salariés, que se manifeste le plus la pression étatique actuelle à la réforme. Bien sûr, les organisations syndicales et patronales conservent la gestion de l’Unedic et de l’assurance chômage et la réforme de la formation professionnelle se fait au travers d’un processus négocié. Dans les deux cas, pourtant, les rôles et les pouvoirs des partenaires sociaux sont fragilisés et on s’oriente vers des formes de gouvernance tripartite plus proches de celles qui existaient à la création de la Sécurité sociale. Depuis, patronat et syndicats ont perdu leur pouvoir de désignation de la direction des caisses de Sécurité sociale, de gestion des personnels ainsi que la responsabilité du contrôle des finances sociales transférée au Parlement. Leur légitimité à gérer le système de protection sociale est désormais contestée et l’on pourrait assister à des remises en cause des modes de décision et d’organisation des institutions paritaires.

Le problème ne réside pas tant dans l’omniprésence de l’État, finalement incontournable. Le paritarisme implique autant des relations entre les acteurs sociaux qu’entre ceux-ci et l’État. Même aux Pays-Bas, où les partenaires sociaux sont fortement impliqués à tous les niveaux dans la concertation sociale, le gouvernement a réduit leur rôle dans la gestion du système d’incapacité de travail car il les jugeait trop laxistes. Le problème spécifiquement français est que le paritarisme reste confiné dans la sphère du social, sans lien avec le reste des relations sociales et notamment la négociation collective. Une étude récente de l’Ires sur les administrateurs syndicaux dans les organismes de Sécurité sociale montre bien que, s’ils sont des syndicalistes chevronnés, investis dans leur mandat, ils n’en sont pas moins coupés du reste de leur organisation et des salariés. Le travail syndical manque d’une notoriété publique, s’exposant ainsi facilement à des soupçons d’inutilité. L’étude constate le même phénomène en Allemagne, prouvant que la question de la légitimité des acteurs du monde du travail ne concerne pas que la France.

Jean-Marie Luttringer Consultant, expert en droit et politiques de formation

Pourquoi la question de l’étatisation de la formation est-elle posée aujourd’hui ? Une partie de la réponse se trouve dans la charge lancée par le président de la République contre un système à la « dérive » engloutissant chaque année 26 milliards d’euros sans efficience démontrée. De là à conclure que l’État gérerait mieux ces milliards que les entreprises, les partenaires sociaux, les régions, il n’y a qu’un pas. Sauf que cet argent, pour l’essentiel, n’appartient pas à l’État et que le diagnostic d’un système à la dérive est largement erroné. Il n’empêche, le message, relayé par de nombreux rapports, a préparé les esprits au caractère inéluctable d’une réforme en profondeur. Le tir d’artillerie s’est tout spécialement concentré sur les 5 milliards gérés par les partenaires sociaux alors que le mode d’affectation de cette ressource venait de faire l’objet d’un accord interprofessionnel unanime (5 décembre 2003) entériné par une loi. La nature fiscale de la contribution des entreprises versée aux Opca est sans doute à l’origine du fantasme d’étatisation nourri par la Cour des comptes qui menace de la faire collecter par l’Urssaf. En réalité, l’engagement électoral du président de la République ne concernait en rien une éventuelle étatisation de la formation mais l’instauration d’un compte individuel de formation ouvert à tout un chacun. Entre bien public, bien privé collectif, bien privé personnel, le chef de l’État a choisi de mettre l’accent sur la formation « bien privé personnel », et ce choix-là n’est pas une erreur de diagnostic. Reste la faisabilité du projet à grande échelle, ce qui est une autre affaire.

Pour le reste, l’entreprise continuera à former ses salariés parce qu’elle y a intérêt et qu’elle est juridiquement tenue de le faire ; les partenaires sociaux pourront, s’ils en ont la volonté, continuer à négocier sur la formation et à en gérer paritairement une partie ; les régions développeront leur action dans ce domaine, ainsi que les offreurs de formation publics et privés. Le véritable enjeu de la réforme, outre l’implication des personnes, est une clarification non pas de la compétence, mais des relations opérationnelles entre ces acteurs clés. Et, bien entendu, la « désétatisation » du système de formation tout au long de la vie. L’État stratège fixe les règles du jeu, assure le respect des principes républicains, n’interfère pas dans le jeu des acteurs légitimés par la loi et ne s’abaisse pas à rechercher son argent de poche dans les caisses paritaires, même en ces temps difficiles où les siennes sont vides.