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Vie des entreprises

Les poids lourds de la logistique peinent à valoriser leurs métiers

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.10.2008 | Sarah Delattre

Cousine du transport routier, la logistique résiste mieux à la crise. Mais les salaires à la traîne ne facilitent pas l'embauche dans un secteur en plein essor. Du coup, le leader, Kuehne + Nagel, et SDV Logistique internationale recourent massivement à l'intérim et font l'assaut des centres de formation.

Evénement rare dans la logistique, en juin, une centaine d'employés ont manifesté devant le siège de Kuehne + Nagel à Ferrières-en-Brie, en Seine-et-Marne, et 19 des 70 entrepôts français ont été bloqués, entraînant des ruptures de produits frais dans des hypermarchés Carrefour d'Ile-de-France. À l'appel de la CGT, FO et de la CFTC, les grévistes dénonçaient l'absence de primes de participation et l'accord salarial signé par trois organisations (CFDT, CGC et Fédération nationale des chauffeurs routiers) prévoyant une augmentation générale de 3,4 %, au lieu des 4 % revendiqués. Surprise par ce mouvement, la direction n'a toutefois rien lâché, hormis 80 euros de bons d'achat. Malgré tout, Marcel Bayeul, délégué syndical central CGT, le reconnaît : « Le groupe est plutôt leader au niveau social. » Comme sur le plan économique. Avec un chiffre d'affaires mondial de 13 milliards d'euros, en hausse de 15 %, et un bénéfice record de 341 millions d'euros en 2007, l'entreprise helvétique qui doit son nom à ses fondateurs allemands, August Kuehne et Friedrich Nagel, est classée numéro un en France par Logistiques magazine.

Pas de mouvement social en vue chez le rival SDV Logistique internationale, qui regroupe depuis 2002 six sociétés du groupe Bolloré (Scac, TTA, Scac Air Service, Transcap international, Transinor et SDV Aerospace). Mais la CGT et la CFDT se montrent très critiques à l'égard de la politique sociale du transitaire. En 2007, ce spécialiste des opérations de cession et de rachat a ouvert des négociations pour harmoniser les statuts et revoir le référentiel des métiers, dénoncé par la CGT qui constate « une grave dérive dans la définition des fonctions, au regard de celles reprises dans la convention collective. L'évolution professionnelle au sein d'une même filière deviendra difficile compte tenu de l'étendue des tâches à accomplir ». Ainsi, un agent de transit devra réceptionner les demandes des clients, négocier un prix de vente pour chaque prestation et réserver le « transport principal » auprès des compagnies maritimes ou aériennes…

Le secteur est gros employeur d'intérimaires : K + N en faisait travailler 1958 par mois en 2007
Cols blancs.

Désireux de renforcer ses positions européennes sur le fret routier, K + N s'est fait damer le pion par Geodis dans le rachat du Sernam et a abandonné les discussions engagées avec le messager Mory Team. Deux échecs compensés par le rachat en 2005 du logisticien ACR Logistics. Les récents rachats de l'américain Pro-Service et du britannique JE Bernard témoignent de la volonté expansionniste de SDV, classé au sixième rang français par Logistiques magazine. En 2007, le groupe a dégagé un chiffre d'affaires de 2,7 milliards d'euros, en hausse de 15 %.

Historiquement spécialisée dans le transit et la commission de transport, implantée dans la plupart des zones aéroportuaires et portuaires, à Roissy, Toulouse, Marseille ou Le Havre, la filiale de Bolloré compte une forte population de cols blancs. Sur près de 3 200 salariés en France, plus d'un millier sont employés, 800 agents de maîtrise et un peu plus de 200 sont ouvriers. À l'inverse, K + N possède une organisation plus conforme au secteur. Sur 4 601 salariés, on compte près de 57 % d'ouvriers caristes, opérateurs de lignes, préparateurs de commandes.

Dans nos métiers, la masse salariale représente plus de 50 % de la valeur ajoutée », observe Patrick Pépin, P-DG de K + N. Dans le groupe, un préparateur de commandes gagne 1 308 euros au bout de six mois d'ancienneté et un directeur d'exploitation, 2 560 euros au minimum. Chez SDV, aux yeux de Bruno Quibel, DS central CFDT, « les salaires restent d'un niveau navrant ». Un ouvrier gagne 1 400 euros brut au bout d'un an d'ancienneté ; un cadre, environ 2 550 euros. Les syndicats ont arraché une prime individuelle de fin d'année qui passera progressivement de 45 % du plafond mensuel de la Sécurité sociale (2 773 euros) en 2008 à 70 % en 2011. Autres avantages octroyés : la généralisation d'une prime d'ancienneté, une indemnité de départ à la retraite plus généreuse, la mise en place d'un plan d'épargne retraite en complément du PEE existant. Signé à l'unanimité, l'accord salarial prévoit une augmentation globale de 3 % en 2008 pour les bas salaires. Chez K + N, les salariés bénéficient d'un treizième mois, à l'exception des cadres, qui ne touchent que des primes sur objectif.

Cette politique de rémunération plutôt spartiate explique en partie les difficultés de recrutement du secteur. Selon l'AFT-Iftim, l'association pour le développement de la formation professionnelle dans le transport, 47,1 % des prestataires (transport et logistique confondus) peinent à recruter. Comme en 2007, K + N doit embaucher cette année 700 personnes afin de compenser les départs, dont un tiers de démissions. Pour remédier à la pénurie, le groupe helvétique diversifie ses canaux de recrutement. À l'instar de sept entreprises adhérentes de TLF (Transport et logistique de France), K + N a signé une convention avec le ministère de la Défense pour favoriser le reclassement des militaires, essentiellement vers des fonctions d'encadrement et de sécurité. « Aucun emploi spécifique ne leur est réservé, même si concrètement leur profil correspond plus à des postes de middle management », précise Patrick Pépin. L'entreprise a aussi pris le train pour l'emploi et l'égalité des chances en avril, tout comme DHL, Geodis, Gefco ou Norbert Dentressangle. Sans grand succès. « Nous cherchons aussi à renforcer nos relations avec une vingtaine d'écoles pour accueillir une centaine d'apprentis en 2008 et 200 stagiaires », précise Patrick Pépin.

Université interne.

Désireux de fidéliser ses cadres et de parfaire leur formation, K + N s'est doté d'une université interne. Les recrues y suivent notamment un séminaire d'intégration et 25 cadres par an y préparent un master. L'entreprise accentue ses efforts en matière de formation continue, qui représente 2,29 % de la masse salariale. Avec une priorité donnée aux formations métiers et management. SDV consacre pour sa part 1,9 % de la masse salariale à la formation. « Une grosse partie du budget est investie dans les formations obligatoires à la sécurité, au détriment des formations qualifiantes », regrette Jacky Boury, délégué syndical central CGT.

Conséquence d'une gestion à flux tendu, d'une activité saisonnière et, selon les syndicats, de contrats commerciaux plus courts, le secteur est gros consommateur d'intérimaires, avec 14 % des effectifs concernés, contre une moyenne nationale de 3,5 %. « La politique est d'embaucher des ouvriers en intérim le plus longtemps possible, puis de transformer leur contrat en CDD avant de les CDIser », note Bruno Quibel chez SDV. Par comparaison, K + N faisait travailler 1 958 intérimaires par mois en 2007 : « Sur certains sites, l'intérim a atteint des pics à 62 % », affirme Marcel Bayeul, de la CGT.

Tirant la sonnette d'alarme à plusieurs reprises, les instances du personnel ont obtenu l'intégration de 600 intérimaires en deux ans. « La direction s'est par ailleurs engagée à ne pas dépasser le seuil de 15 % d'intérimaires », ajoute Saïd Belhay, DS central CFDT.

Sur près de 3 200 salariés, chez SDV, plus d'un millier sont employés et 200 environ ouvriers

Reste la question épineuse de la pénibilité. Malgré l'utilisation de matériel de levage et l'automatisation de certaines tâches, les métiers de caristes, de préparateurs de commandes ou d'empoteurs – chargés de remplir et de vider les conteneurs –, portant des charges lourdes et exposés aux vibrations des chariots élévateurs, restent physiques. Les gestes sont répétitifs, TMS et maux de dos se développent. « Pour l'instant, la moyenne d'âge est assez jeune, les salariés tiennent le coup », constate Frédéric Bérard, délégué syndical central CGC chez K + N. « À 40 ans, un préparateur de commandes qui a débuté à 22-23 ans et manœuvré 10-11 tonnes de marchandises par jour est bon pour la casse », affirme Saïd Belhay. En réponse, K + N a commencé à automatiser des chaînes à Savigny-le-Temple, en Seine-et-Marne, et aménagé des postes. Mais la CGC souhaiterait que ce dossier soit intégré dans les prochaines négociations sur la GPEC. Un thème qui sera aussi au programme d'Henri-Loïc Dubar, le DRH de SDV. Intéressement et compte épargne temps chez K + N, pouvoir d'achat chez SDV, l'année s'annonce chargée, côté négociations, dans les deux groupes.

Kuehne + Nagel

Chiffre d'affaires : 13 milliards d'euros

Effectifs (France/monde) : 4 601/51 000

Sites (France/monde) : 70/830

SDV Logistique internationale

Chiffre d'affaires : 2,7 milliards d'euros

Effectifs (France/monde) : 3 171/26 000

Sites (France/monde) : NC/500

Temps de travail en hausse ?

Pas de pitié pour les chauffeurs routiers. Dans un rapport publié en avril dernier, le Conseil d'analyse stratégique (CAS) propose de réduire le coût unitaire de l'heure de conduite en modifiant le régime du temps de travail pour se rapprocher des standards européens. Aujourd'hui, les durées maximales de travail sont fixées à 60 heures sur une semaine isolée au niveau communautaire et à 48 heures en France, avec un temps de service qui comprend les heures de travail et d'équivalence (8 heures pour les routiers longue distance, de la 35e à la 43e heure) correspondant à des périodes d'inaction rémunérées.

Le transport routier est soumis à nombre d'heures sup.

Le secteur est l'un de ceux qui comptent le plus d'heures sup sans profiter pleinement des exonérations de charges prévues par la loi Tepa, les heures d'équivalence en étant exclues.

Pour y remédier, le CAS propose de transformer les heures d'équivalence en heures de travail et de disponibilité. Ce qui nécessite d'augmenter le contingent d'heures supplémentaires et pose la question des repos compensateurs. La CFDT craint que « l'employeur retrouve une marge de manœuvre pour faire faire plus d'heures à ses conducteurs ».

Auteur

  • Sarah Delattre