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“La question du travail et de l'entreprise a été délaissée par la gauche”

Actu | Entretien | publié le : 01.10.2008 | Sandrine Foulon, Anne-Cécile Geoffroy

Pour cet expert des questions sociales au PS, la gauche doit retrouver une assise populaire et assumer une politique sociale-démocrate pour doper l'emploi.

Pourquoi la gauche a-t-elle déserté le champ du travail ?

La gauche a longtemps privilégié l'analyse marxiste qui fait de l'entreprise d'abord un lieu d'exploitation. Or, à partir de 1983, le PS se convertit à l'économie de marché. Envisager alors la place des salariés dans un modèle plus collaboratif devient infiniment plus complexe. Du coup, la question du travail et de l'entreprise a été délaissée par ceux qui privilégiaient une vision simpliste. Par ailleurs, contrairement à l'Europe du Nord où les partis de gauche et les syndicats sont liés dans un fonctionnement social-démocrate, en France le poids de l'anarcho-syndicalisme s'est traduit au contraire par une spécialisation des syndicats sur les questions sociales tandis que les partis politiques ont progressivement déserté ce champ.

Dans votre ouvrage, le Temps de la réconciliation : la gauche et le travail, vous déplorez que le PS soit devenu le parti des territoires.

Je le regrette car, du coup, il y a une perte de savoir sur la question sociale. Et même si notre spécialisation territoriale constitue un vrai atout, on ne peut résumer la France à une collectivité locale en plus grand. Si on veut parler de politique de l'emploi, cela doit se jouer sur le plan national, car c'est à cet échelon qu'on mène des politiques de régulation efficaces et de correction des inégalités entre territoires. Hélas ! j'ai bien peur que nombre de nos élus locaux finissent par accepter de perdre à l'échelle nationale pensant qu'ils vont remporter la mise aux élections locales. Mais c'est une impasse.

Comment le PS peut-il réinvestir les questions sociales ?

En travaillant. En renforçant ses compétences économiques pour lesquelles nos dirigeants ont souvent peu d'appétence. Pendant cinq ans, j'ai piloté le groupe des experts du PS sur l'emploi. J'ai dû rencontrer le premier secrétaire une seule fois, et cela est aussi vrai pour les autres experts. La prévalence de la haute fonction publique chez nos dirigeants induit une culture du public très forte au détriment de la connaissance de l'entreprise. En plus, ils savent qu'une fois au pouvoir ils pourront se reposer sur une administration qui leur fournira pléthore de fiches argumentaires. Malheureusement, c'est souvent de l'eau tiède. Enfin, il est aussi nécessaire de se débarrasser d'une fâcheuse tendance : la méconnaissance par certains de nos dirigeants des catégories populaires. De fait, celles-ci ne constituent plus aujourd'hui l'essentiel de notre base électorale, désormais composée de salariés de grands groupes et de sociétés à statut.

Le PS a-t-il des idées nouvelles pour doper l'emploi ?

Déjà, il faut construire une vraie politique industrielle française et européenne. Car les emplois de services seront loin d'être suffisants. L'industrie allemande, qui s'en sort bien, repose davantage sur un capitalisme familial ancré localement que sur des fonds d'investissement. Pour résister à la mondialisation, elle s'est concentrée sur les produits intermédiaires. Enfin, elle assume une politique industrielle patriotique.

Avez-vous exploré d'autres pistes ?

Il est nécessaire aujourd'hui de trancher, d'assumer une politique sociale-démocrate. Car on peut tout à fait trouver des marges de manœuvre dans le cadre du système actuel. Par exemple, la France compte 22 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales et toutes ne sont pas bien utilisées. Sans oublier les 26 milliards de la formation professionnelle… Il est grand temps de mieux les réinvestir. Au lieu de se réfugier derrière des slogans attrape-tout comme le smic à 1 500 euros, le PS doit promouvoir des sujets de fond comme la mise en œuvre d'une vraie sécurisation des parcours. Bien sûr, la rupture conventionnelle me semble aller dans le bon sens, mais il est d'abord indispensable de booster le droit à la formation. Pourquoi pas non plus créer une agence nationale de la mobilité pour rééquilibrer l'emploi sur le territoire ?

Le RSA aurait pu être lancé par la gauche…

Le RSA est un bon dispositif et les socialistes auraient sans doute réglé le problème de financement de la même façon. Mais il existe aussi des différences fondamentales entre des politiques de gauche et de droite. Quand la droite affirme valoriser le travail, c'est une supercherie : on l'a vu avec le paquet fiscal, c'est la rente qu'elle valorise. Quant à la gauche ? Afin de retrouver son assise populaire, elle doit dépasser la défense de sa base « protégée » pour devenir le camp de l'abolition de tous les privilèges.

FRANÇOIS KALFON

Président du think tank La Fabrique consacré aux questions sociales.

PARCOURS

Directeur-conseil chez Euro RSCG, François Kalfon est membre du conseil national du PS et conseiller municipal à Noisiel (Seine- et-Marne). Il a coordonné les travaux du groupe d'experts du PS sur l'emploi. Il vient d'écrire avec Tristan Klein, économiste et fonctionnaire au ministère du Travail, le Temps de la réconciliation : la gauche et le travail (éd. Bruno Leprince).

Auteur

  • Sandrine Foulon, Anne-Cécile Geoffroy