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Idées

Chères expertises

Idées | Lecteurs | publié le : 01.09.2008 | Jean-Claude Delgènes

En réponse à l’article intitulé « Le CHSCT, nouvelle bête noire des employeurs » (Liaisons sociales magazine n° 92, mai 2008, p. 28-31), le directeur général du cabinet Technologia nous a adressé la réaction suivante.

Votre article, bien qu’il force un peu le trait quant au réel pouvoir des CHSCT, est digne d’intérêt. La place importante des CHSCT face à la dégradation des conditions de travail, notamment dans le secteur tertiaire, est bien soulignée. Mais il est dommage qu’il soit accompagné d’un encadré dont le titre donne la mesure : « Un marché prometteur pour les experts ». Les cabinets d’expertise y sont d’abord accusés. Bien sûr, dites-vous, il y a l’agrément et des prix annoncés entre 1 200 et 1 600 euros la journée. « Mais rien n’interdit d’évaluer largement le volume de travail… » Vous semblez ignorer que l’agrément n’est donné aux cabinets d’expertise que pour une durée maximale de trois ans. À chaque renouvellement, l’activité est passée au crible. Les dossiers sont étudiés par des experts de l’INRS et de l’Anact. Ils sont ensuite présentés au Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels, qui réunit des représentants des pouvoirs publics, des salariés et des employeurs, ainsi que des personnes qualifiées. Le cabinet d’expertise indélicat ne résisterait pas longtemps face à ce filtre sévère mis en place pour éviter que de tels abus soient commis. Les chiffres annoncés (180 000 euros pour une expertise) sont erronés. Le prix moyen d’une expertise se situe aux alentours de 30 000 euros, soit vingt jours de travail en moyenne. L’encadré évoque aussi des frais d’avocat très élevés. Les frais des CHSCT, même représentés par les meilleurs avocats parisiens, n’arrivent pas à de telles sommes. La moyenne réelle tourne autour de 3 000 euros pour une affaire simple et peut monter jusqu’à 9 000 euros pour un dossier plus complexe.

Enfin, les CHSCT eux-mêmes sont soupçonnés d’abuser : « Chez France Télécom, pas de chiffres. Mais la seule réorganisation de ses plates-formes téléphoniques, en 2006, lui a valu des dizaines d’expertises auprès de ses 247 CHSCT. » La vérité, c’est que, pour les 25 000 CHSCT français, il n’y a environ que 1 000 expertises par an en moyenne, soit 4 % seulement des CHSCT. La possibilité de recourir à une expertise est limitée par la loi. Le recours n’est possible que si le CHSCT peut démontrer qu’il existe une situation de risque grave ou s’il est consulté sur un « projet important » modifiant les conditions de travail. Il faut bien comprendre que ce sont là des cas qui devraient rester rares. Dans une entreprise, si un danger potentiellement grave est constaté, des mesures doivent être mises en œuvre. Dans ce cas extrême, souvent illustré par des accidents du travail graves, quelquefois mortels, les CHSCT devraient davantage utiliser le recours à expertise, car il permet de sauver des vies. Avec le « projet important », les conditions de travail vont être impactées de façon durable. Les projets modifiant l’organisation du travail sont de plus en plus complexes ; ils sont mis au point par des ingénieurs qui font appel à des sciences et des techniques pointues. Pour s’assurer d’un dialogue loyal, le recours à l’expert extérieur est très souvent le passage obligé pour les représentants du personnel. Un expert payé et choisi par l’employeur ne pourra pas être celui des représentants du personnel, surtout dans les situations particulières souvent tendues où ce recours est permis.

L’article ajoute : « Du côté des dirigeants, on soupçonne les cabinets de financer en sous-main les syndicats. » Chez Alpha Conseil, il y a un CE, des délégués du personnel et même un CHSCT. Les salariés comme leurs représentants ne sont pas tous à la CGT, loin s’en faut. Chez Technologia, les délégués du personnel qui se sont présentés viennent de deux syndicats différents. Lorsqu’un expert est embauché, l’employeur ne lui demande jamais à quel syndicat il adhère. Ce qui est certain, c’est que les étiquettes attribuées aux experts sont non seulement fausses mais, cet article le démontre, elles desservent la profession.

Enfin, comme une conclusion logique à ces prétendus abus est introduite une vieille revendication des ultralibéraux du Medef : la « codécision » entre direction et CHSCT. C’est-à-dire, dans les faits, la fin du droit pour les représentants du personnel à recourir à l’assistance d’un expert indépendant des employeurs. L’employeur, pour sa part, peut faire appel à l’expert de son choix. La « codécision », c’est accréditer l’idée fallacieuse selon laquelle l’employeur et le représentant du personnel seraient sur un pied d’égalité. Et qu’ils devraient décider ensemble à quel expert il faudrait faire appel. Cela serait dire adieu à l’indépendance des experts. Le conflit d’intérêts est là. Même si l’employeur était contraint de choisir un expert une fois la décision de recours adoptée, comment faire confiance à l’indépendance d’un expert choisi et payé par l’employeur qui deviendrait juge et partie ?

L’expertise CHSCT permet donc aux représentants du personnel d’avoir une information techniquement fiable, et cela de façon autonome, c’est-à-dire indépendante de celle apportée par l’employeur. L’expertise apporte ces garanties aux représentants du personnel. Elle fournit un point d’appui et permet de trouver des solutions originales. Dans des situations à forts enjeux, cette vision claire, précise et incontestable permet à chacun de remplir sa fonction sans suspicion réciproque.

C’est cette connaissance mise à la portée des représentants du personnel qui leur permet de comprendre les situations complexes, de poser correctement des problèmes ardus et de formuler des propositions de mesures de prévention des risques professionnels en accord avec l’intérêt des salariés.

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Auteur

  • Jean-Claude Delgènes