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Des alliances pragmatiques

Dossier | publié le : 01.09.2008 | Sarah Delattre, Anne-Cécile Geoffroy, Isabelle Lesniak, Thomas Schnee

La loi sur l’autonomie des universités, qui veut améliorer leurs performances, favorise l’appel aux fonds privés. Et pousse les établissements à coopérer davantage avec les entreprises.

Le patron de Telelogos, Yves Clisson, a marié sa fille à un professeur d’université : ça crée des liens ! Badinage à part, le P-DG de la PME angevine éditrice de logiciels préside le Critt (Centre régional d’innovation et de transfert de technologie) des Pays de la Loire, qui fédère des PME, des établissements d’enseignement et des centres de recherche. Ce type de structure existe depuis les années 80. En 2007, le Critt des Pays de la Loire a participé au financement de 19 programmes de recherche portant sur les systèmes d’information et la productique. Pendant dix-huit mois, Yves Clisson a planché avec un laboratoire spécialisé dans l’innovation informatique : « Jusque-là, je ne savais pas trop comment organiser notre démarche d’innovation. J’ignorais qu’à 1 kilomètre de là des chercheurs pouvaient m’apporter une méthodologie. »

La loi LRU amplifie le mouvement. Que ce soit à travers la recherche, la formation en alternance ou continue, les stages, l’intervention de professionnels dans les cursus, etc., universités et entreprises ont fini par s’apprivoiser. « Les ressources issues de la taxe d’apprentissage et de la formation continue représentent déjà 48,20 % de mon budget », souligne Fabrice Le Vigoureux, directeur de l’IAE de Caen. La loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite LRU ou Pécresse, qui accroît l’autonomie des établissements en matière de recrutement, de définition de la formation ou de gestion immobilière, a amplifié le mouvement.

Emblématique, la possibilité de créer des fondations universitaires sur le modèle américain permet aux établissements d’enseignement supérieur de lever plus facilement des fonds privés et de renforcer leurs partenariats économiques (voir page 76). Pour mener à bien leur nouvelle mission d’orientation et d’insertion professionnelle, les universités doivent dorénavant créer un bureau d’aide à l’insertion professionnelle chargé de diffuser des offres de stage et d’emploi. Cette nouvelle obligation les incite à mieux structurer, voire concentrer les services existants, à préciser des indicateurs de mesure, à renforcer leurs relations avec des agences spécialisées comme l’Apec et, en amont, à se préoccuper davantage des besoins en main-d’œuvre. La nomination de 7 ou 8 personnalités qualifiées extérieures (dont des dirigeants d’entreprise) au sein de conseils d’administration limités à 30 membres a récemment cristallisé les tensions lors du renouvellement de quelques CA à l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand, à Dijon ou à Montpellier II.

« La loi sanctionne une évolution entamée il y a quinze ans et ne fait que donner des instruments efficaces pour assurer une autonomie qui existe depuis longtemps », relativise Michel Lussault, vice-président de la Conférence des présidents d’université et ancien président de l’université de Tours, lors d’une journée thématique organisée en juin dernier. Plus critique, Annie Vinokur, professeur émérite de sciences économiques à l’université Paris X, estime qu’« analyser isolément la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités est d’autant plus difficile qu’elle n’est qu’un élément d’une profonde réforme, déjà largement amorcée, de la gestion étatique en France […]. La loi LRU a pour vocation de donner aux établissements universitaires la capacité d’être de bons opérateurs de la Lolf (loi organique relative aux lois de finances) en les rapprochant du modèle de l’université entrepreneuriale » (Revue de la régulation, publication en ligne, janvier 2008).

Accroître la visibilité internationale des campus français. Reste que, indéniablement, le gouvernement replace l’enseignement supérieur au cœur des préoccupations nationales. Conformément aux engagements présidentiels, la loi Pécresse s’accompagne d’un effort financier de 5 milliards d’euros en cinq ans. Au total, le projet de loi de finances 2008 consacre un budget de plus de 23 milliards d’euros à la recherche et à l’enseignement supérieur, en hausse de plus de 2 milliards. Avec pour ambition d’améliorer l’insertion professionnelle des étudiants, mais surtout d’accentuer la visibilité internationale des campus français dans le fameux classement international de Shanghai. Le plan pour la réussite en licence qui cherche à diviser par deux le taux d’échecs en première année et à faire de ce cursus un diplôme national qualifiant pour la poursuite d’études ou l’insertion professionnelle participe du premier objectif. Il prévoit un effort cumulé sur cinq ans de 730 millions d’euros. Tout comme la généralisation de l’orientation active, moins polémique que le principe de sélection. Les lycéens préinscrits en fac sont censés recevoir une information sur les exigences des filières et les possibilités d’insertion. Le plan « campus », opération immobilière financée par la vente de 2,5 % du capital d’EDF, qui devrait se traduire par la rénovation de 10 campus, participe du deuxième. Il en va de même de la constitution de pôles de recherche et d’enseignement supérieur (Pres) à Lyon, Marseille, Lille, Bordeaux, etc., destinés à stimuler les coopérations. Plusieurs universités s’apprêtent aussi à fusionner pour renforcer leur capacité d’intervention et mutualiser les moyens de recherche. C’est le cas des trois universités strasbourgeoises à l’horizon 2009, des quatre établissements bordelais vers 2011 et des trois universités lilloises à l’horizon 2014-2017.

Un « entre soi » persistant. Si le monde universitaire s’ouvre à l’extérieur à marche forcée, les dirigeants d’entreprise, souvent issus des mêmes grandes écoles, perpétuent un recrutement monolithique. Pour la deuxième année, l’opération Phénix s’efforce de changer ces habitudes. Avec 10 entreprises (PricewaterhouseCoopers, Renault, Axa, Coca-Cola, Siemens, HSBC, la Société générale, L’Oréal, Randstad, Thales) et 7 universités franciliennes partenaires, elle met le pied à l’étrier à des étudiants inscrits en dernière année de master de recherche en lettres et en sciences humaines. L’objectif ? Leur proposer un contrat de professionnalisation en CDI avec une formation de trois cent cinquante heures à un poste de cadre. L’année dernière, 35 embauches ont été réalisées sur les 70 prévues. « L’opération fait pendre conscience aux entreprises de la valeur de diplômés considérés habituellement comme plutôt faibles », juge Michel Lussault. Pour Béatrice Barbusse, assesseur à l’insertion professionnelle et aux partenariats économiques de Paris XII, « l’opération a vocation d’exemple et participe du changement de mentalité des entreprises, des enseignants et aussi des étudiants, qui souffrent d’un vrai complexe d’infériorité ».

Dans le même esprit, l’opération univerSyntec, menée par le Syntec et le cabinet spécialisé APC Recrutement, organise des forums d’emploi dans les facs de banlieue parisienne. Nécessité oblige. « Nous avons l’intention de doubler nos recrutements d’ici à 2010, témoigne Soumia Malinbaum, DRH de Keyrus, société de conseil informatique. Diversifier nos canaux de recrutement est pour nous une question de survie. » Petit à petit, la DRH apprend à s’y retrouver dans le dédale des formations universitaires, aux intitulés parfois abscons. « À Dauphine, par exemple, j’identifie facilement la cellule entreprise, mais ce n’est pas le cas partout, et les cursus sont assez peu lisibles. »

Plusieurs universités ont travaillé sur la lisibilité de leurs diplômes. Telle l’université de littérature et de sciences humaines Paris 1 qui présente une carte associant aux fonctions de l’entreprise (gestion, droit, administration, etc.) les diplômes adaptés. Prudemment, la loi sur l’autonomie des universités ne s’est pas attaquée aux sujets qui fâchent : la non-sélection et la modulation des droits d’inscription. Jusqu’à quand ?

S.D.

ENTRETIEN AVEC VALÉRIE PÉCRESSE, MINISTRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE
“Il faut associer les DRH à la nouvelle carte des BTS et DUT”

Quel bilan tirez-vous de la loi LRU, concernant les relations entre universités et entreprises ?

Je constate tout d’abord que la défiance entre universités et entreprises s’atténue. D’un côté, les entreprises ont besoin d’élargir leur vivier de recrutement ; de l’autre, les universités comprennent que le temps du repli n’a plus cours. Une vraie dynamique est en train de se mettre en place autour des fondations d’entreprise. Leur création est simplifiée. Et les entreprises peuvent y trouver un avantage fiscal. Plusieurs universités ont déjà lancé leur fondation, comme Lyon ou Clermont-Ferrand. Une trentaine d’universités ont des projets de fondation.

Comptez-vous mettre en place d’autres outils pour doper ces échanges ?

Il faut revoir la carte des filières courtes, réfléchir à de nouvelles formations pour les métiers de demain. Des pénuries sont attendues dans plusieurs métiers de la banque, de l’énergie, des logiciels liés à Internet. Je souhaiterais associer des DRH à ces réflexions. Nous travaillons déjà avec les branches professionnelles ; il faut associer plus étroitement les entreprises.

Que répondez-vous aux enseignants et aux étudiants qui critiquent la présence renforcée des entreprises dans les conseils d’administration des universités ?

Aux États-Unis, les universités où les entreprises sont très présentes véhiculent une pensée libre et impertinente. Si on met en place des garde-fous, il n’y a aucun risque. Les opposants à la loi craignaient qu’elle ne renforce encore l’attractivité des universités parisiennes et ne relègue au second plan celles de province. Dans les faits, il n’en est rien. Certaines universités ont su nouer des relations avec des entreprises au niveau local. Ces dernières ont des logiques territoriales qu’il ne faut pas négliger.

L’État s’est engagé à verser 1 euro d’argent public aux fondations pour chaque euro privé récolté. Comment tenir cet engagement ?

J’ai annoncé cela à l’École d’économie de Toulouse qui fait un travail exemplaire. En quelques mois, cette fondation de recherche a récolté 33 millions d’euros. Du jamais-vu en France. Toulouse est aujourd’hui en position de rivaliser avec la London School of Economics. La stratégie de l’État est d’aider les universités les plus dynamiques. L’argent public en matière de recherche doit conforter les pôles d’excellence, leur donner un coup d’accélérateur sans laisser les autres sur le bord de la route. La fondation toulousaine sera financée par dotation exceptionnelle.

Pourquoi la loi a-t-elle éludé la question de la sélection à l’entrée de l’université ?

Nous avons déjà un examen d’entrée à l’université : le bac. Nous n’allions pas remettre un examen supplémentaire. Par ailleurs, il n’y a pas assez de diplômés de l’enseignement supérieur en France. Ce qu’il faut, c’est mieux orienter les bacheliers afin qu’ils n’entrent pas à l’université par défaut. Notamment ceux des filières technologiques et professionnelles qui n’arrivent pas à intégrer les BTS et les DUT.

Les nouveaux bureaux d’aide à l’insertion professionnelle fonctionnent-ils ?

Pour le moment, il s’agit surtout d’embryons de bureaux d’aide à l’insertion professionnelle. Un groupe de travail piloté par Thomas Chaudron, président du CJD, et Jean-Michel Uhaldeborde, ancien président de l’université de Pau et des pays de l’Adour, prépare pour la rentrée le cahier des charges de ces nouvelles structures.

Comment casser la défiance des entreprises à l’égard des diplômés des universités ?

En multipliant les stages pendant la formation. Pourquoi un master serait-il retoqué parce qu’il a prévu dans son cursus une année de césure en entreprise ? Dès cette rentrée, la nouvelle première année de licence accompagnera étroitement les étudiants et leur permettra de s’ouvrir rapidement aux métiers via des stages en entreprise. L’université doit changer d’optique, se rendre plus attractive, s’ouvrir sur l’extérieur et notamment les grandes écoles. Pourquoi universités et grandes écoles ne créeraient-elles pas plus de diplômes conjoints, d’écoles doctorales, de filières sélectives, etc. ? C’est pourtant une tendance générale en Europe.

Propos recueillis par Anne-Cécile Geoffroy

Auteur

  • Sarah Delattre, Anne-Cécile Geoffroy, Isabelle Lesniak, Thomas Schnee