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Chacun cherche sa fondation

Dossier | publié le : 01.09.2008 | S. D.

Grande nouveauté de la réforme de l’université, la possibilité de créer une fondation, à l’américaine, rencontre un bel écho. Si les présidents d’université se transforment en VRP pour attirer les contributions d’entreprises, le jeu en vaut la chandelle.

L’économiste Jean Tirole, directeur de la Fondation Jean-Jacques-Laffont, rattachée à l’École d’économie de Toulouse (TSE), en est resté bouche bée. Venue inaugurer l’école en juin dernier, la ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, a créé la surprise en annonçant que l’État s’engageait à doubler la mise pour 1 euro privé versé à une fondation… Résultat, la fondation toulousaine, lancée en février 2007, se retrouve avec un trésor de guerre de plus de 60 millions d’euros, dont 33 millions récoltés auprès de 12 entreprises mécènes. Ce jackpot doit aider la TSE à financer des programmes de recherche et à asseoir sa renommée en recrutant la crème des économistes. Mesure phare de la loi LRU, la possibilité de créer deux nouveaux types de fondations universitaires ou partenariales suscite l’engouement. Déjà, plus d’une trentaine de projets sont dans les tuyaux. Plus souples que les structures existantes, ces fondations doivent permettre aux universités de capter des fonds privés, de renforcer les partenariats industriels et de redorer leur image de marque.

Une démarche citoyenne. En interne, ce changement de mentalité exige un minimum de doigté afin d’apprivoiser un conseil d’administration pour partie hostile à la loi Pécresse et inquiet du diktat des entreprises. « Nous avons commencé par rédiger un règlement éthique en interne pour recueillir l’assentiment général », témoigne Georges Roqueplan, secrétaire général de l’Insa Lyon. Si les entreprises espèrent bénéficier des fruits de la recherche fondamentale ou appliquée, elles n’ont pas l’intention d’influer sur les enseignements et n’attendent pas nécessairement un retour sur investissement immédiat. « Cette démarche citoyenne nous fait connaître sur les campus et va nous faciliter le recrutement, témoigne Nicolas Chanut, directeur général de la banque Exane, qui veut investir 20 millions d’euros dans une vingtaine d’établissements d’ici à 2012, dont une quinzaine d’universités. Et, en interne, les questions de recherche et d’enseignement supérieur sont très fédératrices. »

Pour convaincre des chefs d’entreprise trop souvent empreints de préjugés sur l’université et peu coutumiers des donations, les présidents d’université endossent de nouveaux habits de patrons et adaptent leur langage. À Aix-Marseille II, qui s’apprête à lancer sa fondation universitaire début 2009, le secrétaire général, Damien Verhaeghe, parle sans tabou de « dégager des fonds propres, [d’]établir une culture du résultat et de l’évaluation ». « La création d’une fondation relève d’une démarche commerciale, affirme Gérard Posa, président de la fondation d’entreprise de Lyon I, transformée récemment en fondation partenariale et qui dispose d’un budget de 340 000 euros annuels. Les dirigeants d’entreprise considèrent qu’ils participent déjà à l’effort d’éducation à travers l’impôt. Il ne s’agit pas de faire appel à leur bon cœur mais de les faire adhérer à notre projet de mise en réseau de recherche industrielle, de formation continue, d’insertion professionnelle. » Convaincu que le jeu en vaut la chandelle, le président de l’université d’Auvergne, Philippe Dulbecco, consacre beaucoup d’énergie à jouer les VRP. Son objectif ? Récolter 4 millions d’euros d’ici à septembre 2009. « J’ai l’impression de passer sans arrêt un entretien de recrutement. Au début, je pensais que les entreprises demanderaient des contreparties immédiates. Mais nous remportons leur adhésion lorsqu’elles sont convaincues par notre projet de développement. » Parmi ses premiers donateurs, des poids lourds régionaux au rang desquels le groupe Michelin, les Laboratoires Théa, Pradeyrol Développement. C’est en prenant racine dans son terreau régional que l’IGR-IAE de Rennes a levé ses premiers fonds. L’institut de gestion universitaire a devancé la loi Pécresse en se dotant d’une fondation sous l’égide de la Fondation de France dès mai 2007. Il va en profiter pour récompenser le travail des meilleurs chercheurs, financer les tests de langues obligatoires aux étudiants ainsi que des programmes de recherche en finance, RH et marketing. « Nous devons donner de meilleurs moyens de fonctionnement à nos chercheurs que ceux dont ils disposent aujourd’hui si nous voulons les garder », témoigne Patrick Reffait, son délégué, persuadé que rien n’aurait été possible sans « le sentiment d’appartenance régionale propre à la Bretagne ». Résultat : cinq entreprises parmi lesquelles Euro RSCG 360 investissent chacune 45 000 euros sur trois ans. Ancien étudiant de l’IAE, le coprésident d’Euro RSCG 360, Jacques Delanoë, a eu « un coup de cœur ». « J’ai l’impression de rendre ce que m’a donné l’école. Je n’en attends rien de particulier. C’est avant tout une histoire de bonshommes. » Reste aux universités à recruter des as du fundraising pour se démarquer sur un marché qui va vite se trouver saturé.

Des patrons au CA

Le grand capital s’invite au conseil d’administration de l’université d’Auvergne sans déclencher de révolution. À la demande de son président, Philippe Dulbecco, cinq dirigeants d’entreprise siègent depuis janvier dernier aux côtés des enseignants-chercheurs et des étudiants. Parmi eux, les dirigeants de Limagrain, Banques populaires et Michelin, par ailleurs donateur de la fondation universitaire d’Auvergne. L’occasion pour Bibendum, friand d’ingénieurs, de se rapprocher d’un univers méconnu. « Nous pouvons apporter notre vision de l’international et proposer quelques orientations sur les programmes », argumente André Malet, directeur des sites clermontois. Philippe Dulbecco y voit « une vraie fertilisation croisée ». « Les débats ne sont plus les mêmes quand vous avez en face de vous un directeur général. Leur apport est considérable lorsque vous parlez de RH, de gestion, de création de filiale. Ils nous aident à sentir les futurs besoins de compétences. » Mais, pour les syndicats d’enseignants et de chercheurs, notamment, on fait entrer le loup dans la bergerie ! À l’université voisine Blaise-Pascal, par exemple, la liste des personnalités extérieures telle que définie par la loi LRU a par deux fois été rejetée. « Les universités sont menacées d’endogamie, nuance Michel Lussault, vice-président de la CPU et ancien président de l’université de Tours. Ce peut être intéressant d’avoir le regard d’un chef d’entreprise qui s’implique réellement et nous aide à identifier les difficultés d’insertion professionnelle ou à améliorer la lisibilité de nos diplômes. »

Auteur

  • S. D.