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“Le travail en mode projet est soit un tremplin, soit une patinoire”

Actu | Entretien | publié le : 01.09.2008 | Sandrine Foulon, Anne-Cécile Geoffroy

Levier d’innovation, l’organisation en mode projet est aussi source de souffrance. Rétablir les échanges sur le travail est essentiel, observent les deux chercheurs.

Vous évoquez dans votre ouvrage le Travail, un défi pour la GRH un retour du travail. Qu’est-ce que cela veut dire ?

R. B.-B. Après deux décennies de débats sur l’emploi et sur la fin du travail, on observe un réveil du travail dans sa part de douleur, de désirs, de besoins… D’abord par le biais de la santé, avec la montée des troubles psychosociaux, des TMS, mais aussi par la gestion des âges. Il est difficile de maintenir les seniors en activité et d’insérer les jeunes. On note également une attente des salariés par rapport aux pratiques d’individualisation de la GRH – évaluation, rémunération et formation à la carte – qui se sont multipliées. Sans oublier la diffusion de nouvelles formes de travail en réseau, d’organisations orientées vers le client ou en mode projet qui ne nous semblent pas saisir la hauteur des enjeux. De véritables tensions existent mais, paradoxalement, parler de la gestion du travail est presque une indécence.

T. P. La gestion des organisations, des hommes – je parlerais même de « gestionnarisation » des systèmes – occupe le terrain, mais on accuse un déficit d’analyse du travail. Or s’attaquer à cette dimension suppose des compétences que les DRH n’ont pas ou dont ils n’ont pas le mandat. Car il faudrait pour cela travailler avec des responsables opérationnels.

Vous critiquez le travail en mode projet. Est-il devenu inefficace ?

T. P. Inefficace, sûrement pas. C’est même un formidable levier de performance et d’innovation. Il n’existe plus une grande entreprise qui ne s’organise en mode projet. Ce système accélère le renouvellement des produits mais offre aussi aux individus des perspectives de carrière, catalyse les énergies… Néanmoins, il comporte des limites et des risques auxquels on ne sait plus répondre. Pour les DRH, ces projets sont soit des tremplins, soit des patinoires. S’ils anticipent le danger, c’est gagné. En revanche, s’ils ont un coup de retard, c’est perdu. C’est le cas lorsque les modes projet sont autorégulés, que d’autres acteurs métiers s’en emparent. On assiste alors à des phénomènes de réputation et de répudiation des individus. Certains deviennent les stars des projets et d’autres en sont toujours exclus. Et cela en dehors de tout système d’évaluation. Cela génère stress et souffrance.

L’entreprise perçoit-elle ce malaise ?

R. B.-B. Il n’y a pas de grande tolérance des organisations à entendre ces malaises.

T. P. D’autant qu’il est compliqué pour un salarié qui travaille en mode projet de s’exprimer. Son exigence envers lui-même est telle qu’il s’autocensure.

R. B.-B. Extérioriser ce malaise serait en outre un signe de faiblesse. Cela reviendrait à dévoiler son incapacité à travailler en mode projet et donc une incompétence. Ces systèmes organisent le silence au travail. Ils étouffent le rôle de la parole. Savoir parler du travail est une pratique qui s’est perdue.

T. P. C’est pourquoi nous avons fait parler des chefs de projet qui sont toujours interrogés sur l’état d’avancement du projet mais jamais sur la manière dont ils travaillent. Une seule fois, au cours de notre étude, nous avons constaté qu’une entreprise avait ajouté dans ses critères d’évaluation une rubrique sur l’apprentissage. En clair, comment un salarié avait pu acquérir telle ou telle compétence. Ce qui relativise le succès ou l’échec d’un projet.

Faut-il en finir avec les modes projet ?

T. P. L’idée n’est pas de les bannir. D’autant que nous observons de plus en plus de projets multiculturels, multisites… Certains projets tournent 24 heures sur 24 en fonction des fuseaux horaires. H-P fonctionne par exemple comme cela. Lorsqu’une équipe dort, une autre reprend le boulot à l’autre bout de la planète. L’enjeu est plutôt de faire coexister des modes d’organisations complémentaires et qui cohabitent. Il est également indispensable de mettre en place des instances qui veillent à apporter de la méthodologie dans ces modes projet. Des compagnies canadiennes ont ainsi créé des structures RH pour conseiller les acteurs de terrain. Il est nécessaire d’inventer la RH « embarquée ».

R. B.-B. Il manque des instances multiacteurs dans un contexte où toutes les frontières des entreprises volent en éclats. Ces nouveaux lieux peuvent reposer sur le territoire, voire des observatoires paritaires.

T. P. On commence à voir émerger des clubs de chefs de projet interentreprises. Preuve que les acteurs de terrain ont besoin d’échanger sur leurs pratiques et de savoir qu’ils ne sont pas seuls à rencontrer les mêmes difficultés.

RACHEL BEAUJOLIN-BELLET

Professeur de gestion des ressources humaines à Reims Management School.

Spécialiste des restructurations, elle vient de publier avec Géraldine Schmidt Restructurations d’entreprises, des recherches pour l’action (éd. Vuibert, 2008).

THIERRY PICQ

Responsable du département management et RH à l’EM Lyon.

Expert en management par projets et nouvelles formes d’organisation, il a participé à l’ouvrage le Travail, un défi pour la GRH (éd. Anact, 2008) coordonné par Rachel Beaujolin-Bellet, Pierre Louart et Michel Parlier.

Auteur

  • Sandrine Foulon, Anne-Cécile Geoffroy