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Vie des entreprises

Gérard Mestrallet soigne les RH dans la fusion GDF Suez

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.06.2008 | Stéphane Béchaux

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De Suez à GDF Suez… un groupe de 200 000 salariés

Crédit photo Stéphane Béchaux

Le patron du futur groupe profite des accrocs de la fusion pour travailler, avec le P-DG de Gaz de France, au rapprochement des deux entités. Il mise sur le dialogue social et le brassage des équipes pour absorber les chocs culturels.

À leur corps défendant, Gérard Mestrallet et Jean-François Cirelli peuvent prétendre au « Guinness des records ». Catégorie plus longues fiançailles. Annoncée à la fin du mois de février 2006 – il y a vingt-sept mois ! –, la fusion de leurs deux groupes, Suez et Gaz de France, n’a toujours pas reçu l’approbation de leurs actionnaires. Sur le plan industriel, pourtant, personne – hormis la CGT de GDF et le cabinet-conseil du CCE, Secafi-Alpha – ne conteste la pertinence de cette union. D’un côté, un mastodonte privé comptant 149 000 salariés, actif dans la production d’électricité, l’environnement et les services à l’énergie. De l’autre, un ex-monopole public de 50 000 salariés, spécialisé dans le gaz, depuis l’exploration-production jusqu’à la distribution au consommateur. Activités et implantations complémentaires, doublons minimes, perspectives de synergie prometteuses… Sur le papier, le projet promet des lendemains qui chantent.

Dans les faits, l’alliance ne va pourtant pas de soi. Car le mariage s’est heurté à de très nombreux obstacles : la privatisation de Gaz de France, le report du Conseil constitutionnel, l’approbation de Bruxelles, les hésitations de Nicolas Sarkozy, la mise en Bourse de Suez Environnement, la résistance acharnée de la CGT de Gaz de France… Pour maintenir la fusion sur les rails, Gérard Mestrallet, le futur patron du groupe, a dû batailler ferme. Et su profiter des nombreux contretemps pour peaufiner le projet.

1-Nourrir le dialogue social.

Une semaine de vacances les doigts de pieds en éventail ! Éreinté par la guerre de tranchées menée par les syndicats gaziers, CGT en tête, le futur DRH de GDF Suez, Philippe Saimpert, s’est promis un break une fois l’épreuve de force terminée. « Notre droit social ne permet pas de lutter contre les stratégies d’obstruction. Plus les élus réclament d’infos, plus il leur faut de temps pour étudier les documents et plus ils repoussent leur avis. C’est une machine infernale », déplore l’actuel DRH de Gaz de France, qui a offert des sacoches aux élus du CCE pour transporter les kilos de documentation.

Agacé par cette guérilla juridicosociale, mais réduit à l’impuissance, Gérard Mestrallet a pris soin de ne pas connaître pareille mésaventure chez Suez. Il a joué la transparence avec ses organisations syndicales et accepté, alors que rien ne l’y obligeait formellement, de consulter son instance européenne de dialogue (IED), composée de 43 syndicalistes dont 9 Français. « C’était bien le moins. Il était inacceptable que seul le CE du holding, qui représente 350 salariés, se prononce au nom des 149 000 autres », explique le cégétiste Yves Montobbio, secrétaire adjoint de l’instance. « L’avis de l’IED n’était pas obligatoire, mais Gérard Mestrallet y tenait, pour pouvoir communiquer sur la richesse du dialogue social de son groupe, et peaufiner son image de patron social », ajoute Bernard Larribaud, le secrétaire CFDT de l’IED.

Finalement, le résultat n’est pas à la hauteur des espérances du patron de Suez. Début janvier, l’instance lui a infligé un camouflet, en rendant un avis négatif sur la fusion. Côté français, hormis la CGC, tous ont rejeté le projet, pour cause de mise en Bourse de la branche environnement. Tenu par la CGC, le CE du holding s’est montré plus circonspect, en validant le mariage mais pas la mise à l’écart de l’environnement. Une instance qui, hélas pour Gérard Mestrallet, ne survivra pas à la fusion. Une fois Suez SA absorbé, juridiquement, par Gaz de France, le big boss devra traiter avec le très remuant CCE de Gaz de France. Composé, actuellement, de 20 membres dont neuf cégétistes, il s’ouvrira à deux élus de Suez.

2-Construire un statut Suez

Pour les 65 000 salariés français de l’actuel Suez, la maison mère paraît toujours très lointaine. Répartis dans des dizaines de filiales – de Sita à Ineo, de la Lyonnaise des eaux à Elyo –, ils sont régis par autant de statuts. Pas simple de développer le sentiment d’appartenance lorsque politiques salariales, accords 35 heures et avantages sociaux sont négociés par entité. « Chacun vit dans sa société. Les gens s’identifient à celui qui leur verse leur bulletin de paie, pas au logo sur le véhicule », confirme Jean-Luc Vignon, représentant CGT-FO au comité de groupe.

En matière de RH, Suez n’est pourtant pas resté inactif depuis dix ans. Outre une politique volontaire d’actionnariat salarié, le holding a mis sur pied une charte sociale internationale, une charte sur la santé et la sécurité au travail, et pris des engagements sur la formation tout au long de la vie. « On a positionné les relations sociales au niveau européen plus qu’au niveau national. La pierre angulaire de notre politique, c’est l’instance européenne de dialogue », plaide Muriel Morin, la directrice des relations sociales.

Les syndicats, eux, restent sur leur faim. Plus que de belles intentions, inégalement mises en œuvre, ils attendent des accords normatifs. Message reçu, depuis le projet de fusion. Face à Gaz de France, dont l’essentiel des troupes hexagonales est sous le statut des industries électriques et gazières (IEG), Suez ne faisait pas le poids. Gérard Mestrallet a donc accédé au souhait des syndicats de négocier un pacte social. En juillet dernier, les négos se sont conclues par la signature, au niveau européen, de trois accords portant sur l’intéressement financier des salariés, l’égalité professionnelle entre hommes et femmes et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Ce dernier texte concentre les attentes des syndicats. Jusqu’à maintenant, la mutualisation par bassin des offres et des demandes d’emploi restait largement inopérante dans le groupe. Ce qui devrait changer, si les comités d’emploi régionaux obtenus de haute lutte jouent leur rôle. Pas gagné. « Il y a des réticences locales fortes. Sur le terrain, le réseau RH ne veut pas perdre son pouvoir de décision sur les recrutements et les mutations », prévient Fabrice Amathieu, membre CFE-CGC de l’IED.

Ce pacte social devrait être complété par deux nouveaux textes. Le premier porte sur le droit syndical, le second sur les garanties sociales postmariage. Suez s’y engage, pendant dix-huit mois, à ne procéder à aucun licenciement en lien avec la fusion. Retiré, en janvier, de la signature par un Gérard Mestrallet furieux de l’avis négatif de l’IED, le texte est, depuis, revenu sur la table. Gaz de France a suivi, de son côté, la même démarche, avec un projet d’accord de garantie encore plus généreux. Celui-ci porte à vingt-quatre mois la promesse du « zéro licenciement ». Des différences qui, après la nuit de noces, pourraient être gommées. Car tous les accords de groupe devront être renégociés dans le cadre de GDF Suez.

3-Préparer la fusion en amont

Pas question d’attendre, les bras croisés, le bon vouloir des syndicats ! Depuis six mois, Gérard Mestrallet et Jean-François Cirelli ont mis à profit les longues semaines de consultation réclamées par les instances de représentation du personnel pour construire le nouveau groupe. Une façon, aussi, de remobiliser les troupes, déboussolées par les incessants revirements du projet. En janvier, les deux dirigeants lancent donc un programme d’intégration, piloté par une équipe mixte de 16 personnes, épaulée par le cabinet de conseil en stratégie Roland Berger.

Au total, 46 chantiers sont ouverts, auxquels participent plus de 500 cadres des deux entreprises. Modèle organisationnel du futur ensemble, délimitation des périmètres, mise en place des grands processus opérationnels par métier et par fonction… De ces échanges doit naître le futur GDF Suez, capable de fonctionner à plein régime dès l’officialisation du rapprochement. « On partage les bonnes pratiques et les idées. L’ambition, c’est de créer une entreprise qui reprenne le meilleur des deux », explique Marc Pannier, directeur de la performance et de l’organisation chez Suez.

En parallèle, l’équipe d’intégration constitue, en lien avec la RH et la communication des deux entités, un « réseau » de conduite du changement. Mission : favoriser la coopération des équipes issues de Suez et de Gaz de France. « Il s’agit d’accompagner la démarche d’intégration et de préparer les collaborateurs à leurs nouvelles fonctions. On ne peut pas prendre le risque de faire échouer la fusion pour des raisons culturelles », souligne Emmanuel Hedde, secrétaire général de Gaz de France et futur directeur de l’intégration et des synergies. Pour mettre toutes les chances de leur côté, les fiancés ont diligenté un « diagnostic culturel » de leurs organisations, supervisé par le sociologue François Dupuy. Au printemps, l’opération a mobilisé quelque 400 cadres pour des entretiens en direct, puis 3 200 autres via un questionnaire. Verdict provisoire ? « Les problèmes de différences culturelles ne font pas courir de risque d’échec à la fusion », assure François Dupuy.

4 Se concentrer sur les cadres.

Sur le terrain, la fusion ne provoque guère de remous chez les personnels de production. Hormis entre Elyo et Cofathec, en concurrence frontale dans les services à l’énergie, il n’existe aucun doublon entre les activités de Suez et de Gaz de France. Quant aux accords sociaux en vigueur dans les filiales, ils ne sont nullement remis en cause par le mariage : seuls les 350 salariés de Suez SA passeront sous le statut des IEG.

Dans les deux états-majors, on est donc persuadé que l’échec ou la réussite se joue chez les dirigeants. Annonçant une alliance « entre égaux », Gérard Mestrallet et Jean-François Cirelli ont pris soin, dès octobre 2006, d’afficher un organigramme de tête respectant cette parité. Mais le principe a déjà, depuis, été écorné, au bénéfice de Suez. La guerre sanglante entre les deux dircoms a, ainsi, tourné à l’avantage de Valérie Bernis, qui récupère l’ensemble de la communication, initialement scindée. Le DRH de Suez, Emmanuel Van Innis, a lui aussi su jouer des coudes pour transformer sa division des cadres dirigeants en direction et obtenir les mêmes galons que son homologue à Gaz de France. « Il y aura une différenciation entre la gestion individuelle et les grands processus collectifs. Les RH constituent l’enjeu de demain. Il nous faut des profils de qualité pour accompagner notre croissance », se félicite l’intéressé.

Pour l’instant, les cadres sont dans l’expectative. Des organigrammes circulent bien, mais aucun nom n’apparaît en face des fonctions. Dans l’attente de la levée des aléas juridiques, ils ont dû se contenter, en février, de grand-messes à Bruxelles, Paris, Toulouse et Lyon. Des shows orchestrés par les deux boss, jouant de la complicité pour présenter le futur groupe. Mais, promis, juré, le tempo s’accélérera dès que la fusion sera officialisée.

Parmi les outils que Gérard Mestrallet entend mettre en avant, Suez University. Créée en 1999 après la fusion avec la Lyonnaise des eaux, la structure s’est évertuée, non sans mal, à favoriser les échanges entre cadres des différentes entités. « Nous n’avons jamais cherché à imposer une culture dominante. Mais à créer de nouveaux éléments de partage », précise Nadine Lemaître, sa présidente, qui chapeautera la future GDF Suez University. Reste à savoir si la fréquentation des mêmes bancs suffira à développer l’esprit de camaraderie entre les ex-Suez et ceux de Gaz de France…

Repères

La création de GDF Suez n’est plus – normalement ! – qu’une question de semaines. Avant la fin juillet, Gérard Mestrallet devrait prendre les rênes du nouveau groupe. Retour sur la saga.

25 février 2006

Annonce de la fusion.

Octobre 2006

L’organigramme de GDF Suez est dévoilé. Gérard Mestrallet en sera le P-DG.

Novembre 2006

Le 8, adoption définitive de la loi de privatisation de GDF ; le 14, Bruxelles autorise la fusion, contre d’importantes cessions ; le 21, le CCE de GDF refuse de rendre son avis et gagne en justice ; le 30, le Conseil constitutionnel repousse la fusion au 1er juillet 2007.

Printemps 2007

La campagne présidentielle bloque le processus.

Septembre 2007

Les CA des deux groupes entérinent un nouveau projet (avec scission de Suez Environnement), négocié directement entre Mestrallet et Sarkozy.

ENTRETIEN AVEC GÉRARD MESTRALLET, P-DG DE SUEZ
“Sur le plan social aussi, GDF Suez est un vrai plus”

Chez GDF, la consultation des instances a tourné à la guerre de tranchées. Le droit du travail est-il compatible avec la vie des affaires ?

Depuis dix ans, nous avons mené chez Suez plus de 150 processus d’information-consultation. Cela ne nous a jamais empêchés d’avancer. Le seul préalable, c’est un terreau riche pour le dialogue social. Dans le cas de GDF, les interrogations sur la privatisation sont compréhensibles. Mais il faut savoir en sortir. Le dialogue social n’y perdrait pas si le Code du travail prévoyait une limite de temps.

Craignez-vous que cette culture syndicale conflictuelle perdure chez GDF Suez ?

Je suis profondément attaché au dialogue social. Nous n’aurions jamais pu mener à bien la transformation radicale de Suez sans un projet social solidement ancré dans le dialogue. Une fois la fusion faite, les résistances s’atténueront et nous construirons ensemble un groupe dans lequel la valeur sociale sera forte.

Comprenez-vous que le personnel de GDF redoute son passage dans le privé ?

Je le comprends, mais il n’y a pas, d’un côté, le paradis public et, de l’autre, l’enfer privé ! La politique sociale de Suez n’a rien à envier à celle du secteur public en matière de formation, de diversité ou d’évolution de carrière. Les salariés de GDF ne vont pas perdre au change, mais y gagner. Ils appartiendront à un groupe énergétique plus fort et pourront faire des carrières plus diversifiées. Sur le plan social, aussi, GDF Suez est un vrai plus.

Cette fusion sera-t-elle destructrice d’emplois ?

Non, au contraire. Dans les fonctions centrales, certains devront, certes, évoluer. Mais personne ne perdra son job. Le défi social de GDF Suez, ce n’est pas de faire partir ses salariés, mais de les retenir. Chez Suez, nous avons mené un gros travail prospectif. Il en ressort que le groupe doit recruter 130 000 personnes avant fin 2013, dont la moitié en France. Soit 15 000 créations nettes d’emplois. Dans cinq ans, GDF Suez comptera beaucoup plus de salariés que la somme des effectifs actuels.

Le futur groupe va-t-il affronter un choc de cultures ?

GDF et Suez se connaissent bien, font les mêmes métiers et ont des valeurs communes. Les points de convergence sont nombreux : le service public, le respect du client, l’éthique, la réalisation de grands projets internationaux… Malgré les différences de statut, cette fusion sera plus facile à réaliser que celle entre Suez et la Lyonnaise des eaux. Nous avons réalisé, avec un sociologue, un diagnostic culturel. Ses résultats sont très rassurants.D’ailleurs, si le projet avait eu des faiblesses, il n’aurait jamais survécu à tous les aléas rencontrés depuis deux ans et demi.

Que vous inspire d’avoir l’État comme actionnaire de référence ?

À partir du moment où nous sommes d’accord sur la stratégie du groupe et que nous partageons une vision commune, ça ne me pose pas de problème. Nous sommes dans une industrie à cycle long, qui nécessite d’inscrire les actions dans le long terme. Quand on construit une centrale nucléaire, c’est pour cent ans.

Soutenez-vous la récente position commune sur la refonte de la représentativité syndicale ?

Elle va dans le bon sens. Pour bâtir un ensemble conventionnel riche, il faut des interlocuteurs de qualité. Or, les organisations syndicales souffrent aujourd’hui d’une absence de représentativité réelle, à cause de cette présomption irréfragable qui défie le bon sens. En fixant des seuils, on fait un saut dans l’inconnu. Mais ça devrait contribuer à favoriser les recompositions syndicales. Cheminer vers l’accord majoritaire me semble, aussi, logique.

Faut-il tenir compte de la pénibilité des métiers pour l’âge de départ à la retraite ?

Chez Suez, certains ont des métiers pénibles, comme les ripeurs ou les ouvriers sur les chantiers, et d’autres non. Il me paraîtrait normal d’en tenir compte au moment du départ à la retraite. Reste à quantifier cette pénibilité, ce qui n’est pas évident du tout. Et à financer le mécanisme. Je ne vois pas de pérennité à un système fonctionnant avec les contributions de l’Etat, qui n’en a pas les moyens. Il faut que les entreprises participent. Au travers d’un système mutualisé.

Propos recueillis par Stéphane Béchaux et Jean-Paul Coulange

GÉRARD MESTRALLET

59 ans.

1982

Conseiller technique industrie de Jacques Delors.

1986

Délégué général adjoint aux affaires industrielles chez Suez.

1992

Préside Tractebel.

1995

P-DG de la Compagnie de Suez.

1997

Président du directoire de Suez Lyonnaise des eaux.

2001

P-DG de Suez.

De Suez à GDF Suez… un groupe de 200 000 salariés

Auteur

  • Stéphane Béchaux