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Vie des entreprises

Entretiens d’évaluation

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.06.2008 | Jean-Emmanuel Ray

Outil managérial devenu banal dans nombre d’entreprises, l’évaluation du salarié n’en a pas moins des répercussions importantes sur l’évolution de sa rémunération et de sa carrière.À ce titre, cette pratique est encadrée par le législateur et par le juge, quant à son objet, aux droits des intéressés et à l’information-consultation de la représentation du personnel.

Pour un universitaire passant désormais plus de temps à évaluer qu’à enseigner grâce à la semestrialisation, la « pression psychologique » d’un futur partiel ou d’un grand oral est évidente : les concours, il connaît depuis longtemps, et il y a survécu sans cellule de soutien psychologique. Il sait aussi qu’à travail égal, notes parfois inégales : entre l’enseignant vacataire qui veut se faire aimer (12/20 à tous), celui voulant se faire craindre (80 % moins de 10) et le dépressif ou le paresseux notant entre 9 et 11…

Très demandeurs d’évaluation et évaluant d’ailleurs leurs enseignants bien avant le défunt « note2be », les étudiants cherchent parfois à faire oublier leur échec en termes d’obligation de résultat (les 6/20 au partiel final) au profit de celle de moyens (« Je mérite mieux : j’ai travaillé comme une brute tout le semestre ! »). C’est d’ailleurs là que l’on comprend les avantages de l’obligation de résultat pour le responsable ou le juge : considérable gain de temps et froide objectivité, en apparence du moins.

En va-t-il différemment en entreprise ? Procès en discrimination (Cass. soc., 31 janvier 2007) ou en inégalité de traitement (car entretien d’évaluation rime souvent avec individualisation : Cass. soc., 20 février 2008), aveu concernant le défaut d’adaptation interne et externe, licenciement pour insuffisance professionnelle malgré d’élogieuses appréciations, reclassification judiciaire (Cass. soc., 16 avril 2008)…

Il n’est pas certain que les cadres évaluant pour l’interne leurs collaborateurs aient toujours conscience des conséquences juridiques externes de leurs annotations écrites et « mises en mémoire », au-delà des deux habituelles GB (grosses bourdes) : évaluation facétieuse de représentants du personnel (« M. X s’investit, hélas, beaucoup plus dans son mandat syndical et ses multiples heures de délégation que chez nos clients »), sanction pécuniaire illégale car se répercutant sur une prime à la suite d’un incident client qualifié par écrit de « faute impardonnable » par l’évaluateur.

CONDITIONS INDIVIDUELLES

Visant initialement les candidats à un emploi, l’ex-article L. 121-7 a été dédoublé depuis le 1er mai dernier et le Code nouveau.

• Fond/article L. 1222-2 :« Les informations demandées à un salarié ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier ses aptitudes professionnelles. Elles doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’évaluation de ses aptitudes. »

En avril 2008, la Cnil a ainsi mis en ligne sa décision du 11 décembre 2007 infligeant à une société une sanction pécuniaire de 40 000 euros « en raison de commentaires subjectifs, voire très douteux » figurant dans le fichier des salariés (« prud’hommes en cours : lui confier le plus de travail possible » ; « problèmes d’odeurs : personne sans dents et qui boit »). Mais rien d’illégal si « les critères d’évaluation sont objectifs et matériellement vérifiables », nous répètent à l’envi les juges, eux-mêmes recrutés et évalués sur des critères où la personnalité joue, à juste titre, un rôle majeur. « Autonomie », « implication personnelle », « disponibilité », « capacité d’adaptation »… Si chère à la chambre sociale, l’objectivité est-elle de ce monde ? Outre le but même de ce périlleux exercice (« Évaluer : 1° porter un jugement sur la valeur, le prix ; 2° fixer approximativement : apprécier, juger ») voulant aussi dénicher les talents ou les hauts potentiels, on se souvient de cette enquête montrant des manageuses américaines dinks (double incomes, no kids) évaluant très sévèrement les jeunes mamans arrivant parfois en retard, alors que, s’agissant des mêmes collaboratrices, des manageuses elles-mêmes mères de famille leur donnaient une note bien supérieure. Évaluer autrui, c’est aussi la rencontre des deux subjectivités.

• Forme/article L. 1222-3 : « Préalablement à leur mise en œuvre, le salarié est expressément informé des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard. Les résultats obtenus sont confidentiels. »

Confidentiels à l’égard des tiers, évidemment pas du salarié. Saisie de plaintes contre une entreprise refusant de communiquer à ses cadres leur notation et leur « potentiel de carrière », la Cnil a rappelé le 13 avril 2007 le droit d’accès, de rectification et d’opposition des salariés : il suffit « que ces notations soient prises en considération pour décider de mesures telles que l’évolution de carrière, l’affectation ou l’évolution de la rémunération pour constituer des données consultables par le salarié. Cette notation annuelle et le potentiel des salariés sont des données confidentielles : pour autant, la loi garantit à tout salarié le droit d’en obtenir communication. Le collaborateur peut donc obtenir une copie du document comportant ses données d’évaluation, ainsi que la signification des codes ou des valeurs qui lui sont appliqués ».

Et, depuis la loi informatique et libertés du 6 août 2004, entreprise et managers auraient tort de ne pas y accorder d’importance, les sanctions pénales étant tout à fait disproportionnées : trois ans de prison et 300 000 euros d’amende pour le fautif, et donc 1,5 million pour la personne morale, en cas de collecte illicite ou de détournement de finalité. Un entretien d’évaluation collectant nécessairement des données à caractère personnel, application de l’article L. 121-8 devenu L. 1222-4 : « Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance. » L’arrêt du 28 novembre 2007 a certes rappelé que si les données collectées ne sont pas enregistrées dans un fichier informatique, l’employeur n’est pas tenu de faire de déclaration à la Cnil. Mais il aura quelques difficultés à faire croire à un juge que tous ces intéressants résultats sont recopiés à la main sur une fiche bristol. Bref, en cas de traitement automatisé basique (date des entretiens, identité de l’évaluateur, compétences professionnelles, objectifs assignés, résultats obtenus, appréciation des aptitudes professionnelles sur la base de critères objectifs et présentant un lien direct et nécessaire avec l’emploi occupé, observations et souhaits formulés par le salarié, prévisions d’évolution de carrière), l’employeur peut se contenter d’adresser à la Cnil un formulaire d’engagement de conformité à la norme simplifiée n° 46, et s’y tenir ensuite.

Appelée à se prononcer sur le non-respect de ces textes pour fixer l’ordre des licenciements économiques prenant en compte les qualités professionnelles à l’aide d’un logiciel RH, la chambre sociale a énoncé le 11 avril 2008 que la méconnaissance de cette obligation peut ouvrir droit au paiement de dommages et intérêts. Sans oublier que « tout traitement informatisé de gestion du personnel, comme toute modification de celui-ci », doit faire l’objet d’une (simple) information préalable du comité d’entreprise (art. L. 2323-32, 2e al.).

CONDITIONS COLLECTIVES

• Consultation préalable du comité d’entreprise : évaluer les « performances », est-ce « surveiller l’activité des salariés » ? Art. L. 2323-32 (ex- L. 432-2-1) : « Le comité d’entreprise doit être informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou techniques permettant le contrôle de l’activité des salariés. » Sur cette base, l’arrêt du 10 avril 2008 a suspendu en référé la mise en place par une caisse d’épargne d’un « outil de pilotage commercial » jusqu’à consultation des représentants du personnel : consultation qu’elle différencie donc de l’article L. 2323-27 (ex-L. 432-1) visant « les problèmes généraux intéressant les conditions de travail et d’emploi et les modes de rémunération ». Pour la Cour, en effet, si la première consultation « doit permettre au comité d’entreprise de donner son avis sur la pertinence et la proportionnalité entre les moyens utilisés et le but recherché, elle n’a pas le même objet que celle sur la mise en place d’une nouvelle modalité de rémunération ».

• Consultation préalable du CHSCT ? Avec le retentissant arrêt Groupe Mornay du 28 novembre 2007, la chambre sociale avait obligé l’employeur à consulter le CHSCT à propos d’un projet d’entretien d’évaluation dont « les modalités et les enjeux étaient manifestement de nature à générer une pression psychologique entraînant des répercussions sur les conditions de travail ». Associé à celui du 5 mars 2008 – « dans l’exercice de son pouvoir de direction, il est interdit à l’employeur de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé (donc mentale) et la sécurité des salariés » – et à l’arrêt de la seconde chambre civile ayant constaté le 1er juillet 2003 en matière de sécurité sociale que constituait un accident de travail la dépression nerveuse apparue deux jours après la tenue d’un entretien annuel d’évaluation au cours duquel le supérieur hiérarchique avait annoncé au collaborateur que son travail ne donnait pas satisfaction et qu’il serait donc rétrogradé…

Beaucoup de bruit pour rien ? Le rapport annuel publié en mai 2008 veut calmer le jeu : « C’est la première fois que la Cour de cassation est appelée à se prononcer sur ce point d’une particulière actualité. Il convient de ne pas en conclure que tout projet d’évaluation du personnel doit, en soi, donner lieu à une consultation préalable du CHSCT. Pour que cette obligation soit requise, il faut que le projet, par son objet et ses conséquences, entre dans les prévisions de l’article L. 236-2 du Code du travail : les constatations des juges du fond sont ici déterminantes. » Mais on ne peut manquer de remarquer que les multiples informations préalables désormais exigées (voir plus haut) font aussi monter le stress lié à ces entretiens, souvent plus proches du café du Commerce que de l’interrogatoire serré et stressant. Mais peut-on – doit-on ? – encore parler d’entretien d’évaluation au singulier ? Entre la GPEC de 2005 et le « bilan d’étape professionnel » prévu par l’ANI sur la modernisation du marché du travail du 11 janvier 2008, ces entretiens ont changé de fonction : au-delà des augmentations ou des carrières, il s’agit de flexisécurité et de mobilité interne, ou externe.

FLASH
Ranking illicite ?

Les États-Unis ne sont pas la France, et la brutale franchise américaine peut mener l’entreprise ou le manager français devant le conseil de prud’hommes au mieux, le tribunal correctionnel au pire. Classer les salariés en low ou high performer n’a rien d’illégal si « les critères sont objectifs et matériellement vérifiables ». Là où les choses se compliquent, c’est lorsque l’évaluateur doit affecter un quota de son équipe dans chaque catégorie, avec un pourcentage obligatoire pour celle des « faibles contributeurs ». Si l’on voit bien l’intention initiale (éviter que, à l’instar de la fonction publique, le manager trouve tout le monde génial pour assurer sa paix quotidienne), cette obligation empêche rarement cette dérive, de plus en plus prévisible dans notre société où ceux qui agissent n’ont que des coups à prendre : ainsi du responsable commercial faisant curieusement tourner chaque trimestre les faibles contributeurs… parfois par ordre alphabétique ! D’autre part, cette technique visant clairement à préconstituer une cause personnelle réelle et sérieuse ne peut prétendre y parvenir : le droit du licenciement étant d’ordre public, le juge peut toujours être saisi. Mais le but – inavouable en France – n’est-il pas aussi de réduire chaque année le nombre de collaborateurs de ce quota de 5 % à 10 % ? Au regard de tous ces éléments, ne doit-on pas considérer comme « faibles contributeurs » ceux qui veulent à tout prix mettre en place un tel système ?

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray