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Politique sociale

Les Opca condamnés à fusionner

Politique sociale | publié le : 01.06.2008 | Éric Béal, Anne-Cécile Geoffroy

L’État veut réformer les collecteurs des fonds de la formation, qui vont devoir se regrouper pour continuer d’exister. Les plus petits grincent des dents, ceux de l’interprofession se réjouissent.

L’Opca de la pêche n’a jamais voulu s’entendre avec celui de l’agriculture, et les bouchers et charcutiers ne sont jamais parvenus à créer une structure de collecte commune

Cinquante millions, cent millions d’euros… qui dit mieux ? Depuis plusieurs mois, les Opca, les organismes paritaires collecteurs agréés, chargés de collecter et de redistribuer l’argent de la formation, sont dans le collimateur. L’été dernier, une commission sénatoriale préconisait de faire passer le seuil de collecte de ces organismes de 15 à 50 millions d’euros pour leur permettre d’assurer un meilleur niveau de prestations. En avril, dans un rapport remis à Christine Largarde, l’Igas proposait de fixer ce seuil à 100 millions d’euros. Entre-temps, le Conseil d’orientation pour l’emploi avait préconisé des regroupements d’Opca obéissant à une logique interbranche ou interprofessionnelle. En plaçant la barre aussi haut, l’idée est bien de faire le ménage. Depuis 1995, 98 Opca se partagent un gâteau de près de 5 milliards d’euros. Demain, leur nombre pourrait être réduit à une petite vingtaine. Dans les petits Opca de branche ainsi que dans les Fongecif, chargés de la gestion du congé individuel de formation, l’ambiance est donc plus que tendue. « Les discussions informelles se multiplient. On n’a jamais autant parlé. On se jauge, on apprend à se connaître », admet le directeur d’un Opca du secteur industriel.

Plusieurs scénarios sont envisagés : rester seul et espérer passer à travers les mailles du filet des 100 millions ; fusionner avec trois ou quatre structures ayant des « logiques métiers » identiques ou opter pour la création d’un GIE. L’Opca de la banque espère maintenir sa particularité. « Nous sommes trop spécifiques. Avec qui pourrions-nous fusionner ? s’interroge Olivier Robert de Massy, délégué général à la formation professionnelle de l’Association française des banques. Nous ne collectons pas le 0,9 % sur le plan de formation comme les autres Opca. Nous n’avons pas non plus besoin d’un service de proximité, l’essentiel de nos adhérents se trouvant en Ile-de-France. »

Holdings et petits regroupements. D’autres espèrent surtout sauver la politique de formation de leur branche. « Je souhaite conserver une politique de branche et un jeu paritaire, explique le secrétaire général d’un Opca. Pourquoi ne pas mutualiser nos forces à travers un holding pour donner plus de moyens à nos observatoires des métiers. Nous pourrions également alimenter un fonds d’intervention d’urgence en cas de fortes restructurations dans notre secteur. » À l’UIMM, Frédéric Saint-Geours n’exclut pas de travailler avec des Opca proches des métiers de la métallurgie et avoue discuter au sein du Groupe des fédérations industrielles. Une position plutôt inédite, l’Opcaim, l’Opca de la métallurgie, jugeant, sous l’ère de Dominique de Calan, n’avoir besoin de personne. « Si on construit des usines à gaz, le jeu du paritarisme fera que chacun défendra son pré carré. Ce sera ingérable. Je préfère pousser à de petits regroupements, avec une logique métier forte », réplique le directeur d’un Opca de l’industrie, qui n’imagine pas cohabiter avec l’Opcaim, jugé hégémonique.

Au FAF.SAB, l’Opca des artisans du bâtiment, André Cottenceau, le président, n’est pas contre l’idée d’un regroupement mais « à condition que ce soit dans l’intérêt des salariés et que nous y retrouvions nos petits ! ». Chez Agefaforia (industries agroalimentaires), on réfléchit plus à des formules de coopération soft. « Depuis plusieurs mois, nous discutons avec Intergros, dans sa partie commerce de gros alimentaire, l’Opca 2 (coopérative agricole), mais également le commerce de détail alimentaire et le Fafsea (agriculture). On échange déjà les bonnes pratiques de façon informelle. On pourrait innover et aller jusqu’à formaliser un accord de coopération », indique Pierre Debeine, directeur général de l’Agefaforia.

Impossible de faire s’entendre bouchers et charcutiers. Pour la majorité des Opca, les conseils d’administration vont devoir dépasser les querelles de clocher, qui alimentent leurs relations depuis 1995, date du premier grand mouvement de fusion. Jamais, par exemple, le FAF Pêche, le plus petit des Opca de branche avec un maigre 1,5 million d’euros de collecte en 2005, n’a voulu travailler avec l’agriculture. Plastifaf (44,45 millions d’euros), l’Opca de la plasturgie, s’est construit contre la chimie et la métallurgie malgré la proximité de leurs métiers. Impossible, jusqu’à présent, de faire s’entendre les bouchers et les charcutiers. « Nous allons vivre de vrais chocs de culture. Certains Opca ne peuvent pas bouger le petit doigt sans l’aval de leur conseil d’administration ou de la commission paritaire de branche. Certains respectent à la lettre un fonctionnement paritaire, d’autres sont tenus par des syndicats, d’autres, enfin, ont les coudées plus franches. Fusionner des structures qui ne fonctionnent pas de la même façon va être très délicat », note un responsable d’Opca.

Du côté de l’interprofession, Agefos PME, porté par la CGPME, et Opcalia, situé dans l’orbite du Medef, se sentent peu concernés. Leur bas de laine dépasse largement les 100 millions d’euros (voir tableau page 30). Pour les Opca de branche qui ne parviendraient pas à trouver un terrain d’entente avec d’autres structures, la voie interprofessionnelle constituerait un plan bis. « Si on n’arrive pas à se regrouper selon une logique métier, on aura pour seule solution de se faire héberger par l’un des deux Opca interpros. Et là, c’est la fin des politiques de branche et du sur-mesure en matière de formation. Est-ce qu’un Opca interprofessionnel acceptera de financer le CFA des métiers que je représente ? Ce n’est par sûr », s’inquiète le responsable d’un Opca du tertiaire.

Inquiétude dans les branches. « Rien ne s’oppose à l’arrivée de nouveaux Opca de branche, explique Laurence Carlinet, directrice du développement d’Agefos PME. Nous avons déjà 38 branches professionnelles représentées. Chacune dispose de sa section paritaire professionnelle, un organe de pilotage, qui garde sa souveraineté sur la gestion des fonds collectés et définit sa politique de branche. » Opcalia reconnaît aussi que le contexte est plutôt bon. « Nous n’avons pas d’approche commerciale délibérée à l’égard des Opca de branche. Mais nous sommes actuellement capables d’intégrer de nouvelles branches. Nous en hébergeons déjà 11. Aujourd’hui, nous sommes sollicités de façon officieuse par des fédérations patronales pour expliquer notre mode de fonctionnement. D’autres nous testent dans le cadre de certains projets, comme l’amélioration des savoirs de base, la politique envers les seniors. On sent bien une inquiétude générale au sein des branches », constate Yves Hinnekint, directeur d’Opcalia. À l’Igas, Philippe Dole, qui a mené la mission sur les Opca, se veut rassurant. « Nous ne préconisons pas un modèle de regroupement unique. Certaines branches, comme le bâtiment ou les travaux publics, ont trouvé un mode de fonctionnement intéressant. Le tout est de faire preuve d’intelligence et de respect. Les représentants d’un secteur doivent pouvoir s’exprimer sur leurs métiers et s’enrichir des observations de terrain pour évoluer et mieux servir les entreprises. »

Aux yeux de la DGEFP, ces grands mariages doivent avant tout renforcer la valeur ajoutée des Opca. Services de proximité, conseils, informations aux entreprises sont financés aujourd’hui par les frais de gestion de ces organismes, qui ne peuvent pas dépasser 9,9 % du montant de la collecte pour les Opca de branche et 11,9 % pour les Opca interprofessionnels. « La vraie question n’est pas tant les frais de gestion que ce qu’en font les Opca, note Bernard Dréano, à la DGEFP. De trop faibles frais sont révélateurs d’une activité insuffisante. Pour agréer les structures qui émergeront de la future loi, nous prendrons en compte les services de proximité, les conseils aux entreprises et les appareils en région, pas seulement le montant de la collecte. » Certains Opca sont se sont construit une véritable armée de conseillers pour assurer une proximité avec l’entreprise. Agefos PME emploie près d’un millier de personnes et dispose d’un bataillon de juristes et de conseillers en formation. Le réseau Opcalia compte près de 550 salariés, dont près de 300 en relation directe avec les entreprises. « À l’échelon national, un service marketing et communication, un service de veille et de prospective sont là pour épauler nos conseillers en région », explique Yves Hinnekint.

Des services payants à la carte. Mais le récent rapport de l’Igas ne fixe pas seulement un montant minimal de collecte. Il propose aux Opca de passer avec l’État une convention d’objectifs et de moyens et de définir des services d’intérêt général comme la lutte contre l’illettrisme ou la formation des seniors, dont pourraient bénéficier gratuitement les entreprises. Parallèlement, les Opca seraient autorisés à proposer des services à la carte, payants. L’autre idée serait de laisser les entreprises choisir leur Opca pour verser leur contribution. « Ce rapport est original par son angle d’approche. Il en est d’autant plus dangereux pour la politique de branche », pointe le vice-président d’un Opca. Même position à l’UIMM, où Frédéric Saint-Geours n’est pas favorable à cette mesure. « La politique de branche est décidée au niveau national mais se décline ensuite par des actions territoriales. » Pierre Debeine, chez Agefaforia, plaide pour davantage d’équité. « L’entreprise doit pouvoir choisir son organisme collecteur, à condition que les règles comptables soient les mêmes pour toutes les structures de branche ou de l’interpro. Sinon on va droit vers une distorsion de concurrence. » Pour Philippe Dole, à l’Igas, « il faut rendre le processus fluide et ouvert à la concurrence. Les Opca se mettront naturellement dans cette optique de services pour ne pas perdre leurs adhérents. Et si les entreprises y trouvent leur compte, elles n’auront aucune difficulté à passer d’une logique d’obligation légale à une logique d’investissement, donc à aller au-delà du 0,9 % ».

Hormis la CFDT favorable à « une réduction très forte des organismes collecteurs de fonds », les partenaires sociaux concentrés sur l’évaluation de l’accord national interprofessionnel de 2003 sont restés muets sur le chapitre. Satisfaits par les résultats de cet examen de passage, ils n’ont guère envie de se rasseoir autour de la table pour négocier une nouvelle réforme. Les Opca ont néanmoins peu de chances d’échapper à un sérieux lifting.

17 Opca sont menacés avec un seuil de collecte à 50 millions d’euros.

28 Opca le seraient avec un seuil de collecte à 100 millions d’euros.

Source : Entreprise & carrières n° 878-879 (chiffres 2006).

SERVICES TERTIAIRES Fafiec, ingénierie, informatique, études, conseil, traduction, foires et salons

Opca Banques, banques

Opcassur, assurance, cabinets de courtage et mutuelles

267,17

Afdas, culture, communication et loisirs

Auvicom, branche télécoms

165,6

IMPRIMERIE, CULTURE

Mediafor, presse écrite

Opca CGM, métiers de l’imprimerie

52,59

Formapap, filière papier carton

36,59

INDUSTRIE

Forthac, textile, maroquinerie, chaussure...

Opcaim, métallurgie

Plastifaf, plasturgie

Opca C2P, chimie, pétrole et parapharmacie

Opciba, bois et industrie du meuble

724

SANTÉ, SOCIAL

Formahp, hôpitaux et cliniques privées

FAF Sécurité sociale

115,68

(Non lucratif)

Unifaf, sanitaire et social, médico-social privé

249,76

(Non lucratif)

ASSOCIATIF, MUTUALISTES, COOPERATIF

Uniformation, social et sanitaire

CCFP (CGT), économie sociale et mouvement social. Habitat-Formation, OPHLM, sociétés d’économie mixte, crédit immo…

225,85

Opca Transport

133,75

Opca PL, professions libérales

85,86

Intergros, commerce interentreprises et international

144,8

AGRO

Fafsea, exploitations et entreprises agricoles

Le FAF Pêche, pêche et culture marine

GDFPE, Agecif Cama, organismes de crédit agricole mutuel, assoc. familles rurales

Opca2, coopératives agricoles

268,7

Agefomat, machinisme agricole, matériel de BTP

Agefaforia, agro-alimentaire

100

Opca EFP, enseignement privé sous et hors contrat

17,40

FAF Propreté, entreprises de propreté

51,18

COMMERCE

Opcad, magasins populaires, supermarchés, fast-foods

Opcams, artisanat et services

Anfa, services auto (stations d’essence, contrôle technique, auto-écoles, location, commerce et réparation)

Forco, commerce et distribution

Fafih, hôtels, restaurants

492,74

BTP

Opca Bâtiment et Opca TP

Fafsab, artisanat du bâtiment

Forcemat, matériaux de construction

357,58

Auteur

  • Éric Béal, Anne-Cécile Geoffroy