logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

La “position commune” va-t-elle aboutir à une recomposition syndicale ?

Idées | Débat | publié le : 01.06.2008 |

En instaurant des seuils de représentativité à partir de l’audience électorale et de nouvelles règles de validité des accords, la « position commune » approuvée par la CGT et la CFDT peut-elle mettre fin à l’émiettement syndical ? Les réponses d’un juriste, d’un chercheur de l’Ires et du président du conseil scientifique du Centre d’études de l’emploi.

Gilles Bélier Avocat associé chez Freshfields.

Si elle est reprise comme telle par le législateur, la position commune est de nature à modifier en profondeur le paysage syndical français. Elle fait le choix d’une plus grande régulation à froid des relations sociales. Le problème actuel réside en ce que la jurisprudence de la Cour de cassation s’est orientée vers une assimilation de l’établissement déterminant le périmètre de son intervention à celui des délégués du personnel, s’arrêtant à l’existence d’une collectivité du travail regroupant des salariés disposant d’intérêts communs, même s’il n’y a pas de représentants de l’employeur. Elle préfère ce périmètre à celui du comité d’établissement, qui suppose une forme d’autonomie de l’établissement et l’existence d’un représentant mandaté de l’entreprise. Il s’agit de faire les choix institutionnels qui permettent que l’action sur le terrain trouve sa traduction dans la négociation collective à un niveau approprié et avec des interlocuteurs mandatés. En fondant la représentativité des organisations syndicales sur les résultats aux élections professionnelles de l’entreprise et/ou de l’établissement, la position commune établit un lien clair entre CE et délégué syndical. Elle va plus loin en décidant que le délégué syndical devra avoir obtenu 10 % aux dernières élections. Parmi les nouveaux critères de représentativité, les pourcentages d’audience fondant la représentativité des négociateurs sont sans doute le plus spectaculaires. 8 % des résultats aux élections professionnelles dans les branches et 10 % des mêmes résultats au niveau de l’entreprise constituent une barre élevée. De nombreuses délégations syndicales tomberont et seules les organisations syndicales déjà fortes demeureront durablement.

Plus encore, la position commune introduit une sorte de prime à la première implantation. En effet, les « nouveaux entrants » devront réaliser à l’élection suivante un score d’entrée de 10 % pour être représentatifs et pour sortir du purgatoire de la simple section syndicale autorisée par la position commune. À défaut, il faudra disparaître ! Enfin, parmi les nouveaux critères, celui de l’« influence » mérite d’être relevé : à côté de l’activité et de l’expérience surgit celui de l’implantation géographique et professionnelle du syndicat. Il semble que l’exigence d’une implantation géographique et professionnelle équilibrée constituera un facteur de représentativité, tant pour les branches que pour les entreprises. Cela exclut donc l’implantation locale, dans un établissement ou une filiale.

Jean-Marie Pernot Chercheur en sciences politiques à l’Ires.

Le nouveau dispositif issu de la position commune devrait consacrer trois principes qui auront rapidement des effets sur la configuration syndicale actuelle : l’élection régulière comme fondement de la représentativité, des seuils à atteindre pour prétendre négocier au nom des salariés, la nécessité de construire des majorités pour valider des accords. Ces trois principes font système et, si on leur ajoute la fin programmée du privilège accordé à la CFE-CGC dans le collège cadres, ils vont conduire à terme à une sélection darwinienne dans le champ syndical et donc à une redistribution des cartes. À un système qui favorise la dispersion et l’émiettement, la logique de la position commune oppose des rapprochements obligés afin de continuer à exister et à peser : pour participer à la vie contractuelle, il ne suffira plus de cultiver son particularisme, il faudra construire des alliances, établir des compromis avec d’autres syndicats, bref, tout ce que les centrales actuelles ne se sentaient guère tenues de faire jusqu’à présent. L’instauration de ces nouvelles règles va certainement conduire à un jeu de Meccano entre les organisations menacées par le nouveau dispositif. Pour aboutir, les rapprochements doivent faire sens au-delà de la référence convenue au réformisme. Mais, surtout, l’objectif ne peut pas être de répartir autrement les 8 % de syndiqués français actuels dans un nombre plus restreint d’organisations. Le resserrement du champ doit être l’occasion d’un changement d’échelle de la syndicalisation dans ce pays. Et, pour cela, la position commune n’est pas une condition suffisante, car si elle améliore à terme la légitimité du syndicalisme, elle ne la garantit pas pour les syndicats existants.

Les syndicats signataires (CGT et CFDT) sont les seuls dont la reconnaissance est préservée par les nouveaux seuils. Ils acquièrent une responsabilité nouvelle : s’adresser aux autres syndicats et à l’ensemble des travailleurs pour créer un choc et poser sur de nouvelles fondations la question du syndicalisme. La période sera courte pour produire un regain d’intérêt en faveur de la syndicalisation. Elle peut être mise à profit pour évoluer de la division à l’organisation coopérative, qui est la condition pour stimuler la syndicalisation. Cela passe par des gestes significatifs de la part de la CGT et de la CFDT, faute de quoi tout n’aura été qu’un coup d’épée dans l’eau. Il est temps que le syndicalisme reprenne l’initiative et signe une fois pour toutes la fin de la guerre froide.

Jacques Freyssinet Président du conseil scientifique du Centre d’études de l’emploi.

La réponse à cette question est évidemment affirmative s’il s’agit des évolutions des syndicats à moyen et long terme. En revanche, la perplexité s’impose quant à la nature des mouvements qui vont s’amorcer dans l’immédiat. À terme, l’invraisemblable situation actuelle ne peut qu’être clarifiée par un accord qui se dégagerait sur trois principes. En premier lieu, l’indépendance du syndicalisme est incompatible avec le pouvoir que s’est donné le gouvernement d’attribuer des présomptions universelles et irréfragables de représentativité. En deuxième lieu, l’évolution vers des accords collectifs de type donnant-donnant requiert leur signature par des syndicats représentant la majorité des salariés concernés. Enfin, mais ici les points de vue peuvent diverger, la confiance qu’accordent les salariés à un syndicat ne peut se mesurer qu’à des niveaux où ils apprécient concrètement son action. La mise en œuvre de ces règles conduirait tendanciellement non seulement à un redécoupage de la carte du syndicalisme, mais aussi à une transformation de la façon de faire du syndicalisme.

La perplexité naît de l’examen du contenu de l’accord. Dans l’espoir, finalement déçu, d’allonger la liste des signataires, les concessions ont été multipliées et les délais de mise en œuvre étirés. En revanche, de solides verrous ont été introduits pour retarder la pénétration de nouveaux venus. Il en résulte d’abord un élargissement de la liste des mécontents qui vont unir leurs efforts pour empêcher ou affaiblir la réforme. Il s’ensuit surtout une longue période intermédiaire, qui durerait au minimum cinq ans, au cours de laquelle les salariés auront du mal à percevoir que leurs préférences sont déterminantes dans les enjeux de représentativité.

Cette période sera dominée par l’affrontement des stratégies d’organisations syndicales qui, ainsi mises en concurrence, lutteront pour affirmer leur influence dominante ou pour éviter la marginalisation. Les recompositions qui en découleront sont difficiles à prévoir. Le risque principal est que la position commune conduise surtout, dans un premier temps, à une intensification des conflits ou à des arrangements entre appareils syndicaux. L’effet positif essentiel est provisoirement masqué : il serait issu de l’impact qu’exercerait la transformation du lien de représentativité sur les rapports entre syndicats et salariés, sur le fonctionnement de la démocratie dans l’orientation et dans les formes de l’action syndicale.