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Enquête

Sarkozy gère la France comme une entreprise

Enquête | publié le : 01.06.2008 | Fanny Guinochet

Collaborateurs issus du privé, recours aux experts, reportings pour les ministres… Nicolas Sarkozy dirige ses troupes comme un patron.

Vincent Bolloré, Arnaud Lagardère, Martin Bouygues… Contrairement à ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy prise la compagnie des grands patrons. Non seulement le président de la République aime à les côtoyer, mais il se pose lui-même en supermanager de l’entreprise France, usant, pour gouverner le pays et mener les réformes, des méthodes du secteur privé. Pour composer son gouvernement, le chef de l’État a commencé par recruter dans le camp adverse, exactement comme le ferait une entreprise en débauchant des talents chez un concurrent. « Je suis peut-être celui qui sait le mieux exploiter les richesses du Parti socialiste. Dans une autre vie, je pourrai faire DRH du PS », déclare-t-il en août 2007. Changement de style, il fait aussi appel à des novices. Exit les énarques et diplômés de grandes écoles. Valérie Pécresse est ainsi la seule des ministres de rang diplômée de l’ENA. Une situation qui tranche nettement avec les précédents gouvernements Raffarin ou Villepin. Désormais, les autodidactes ont leur place, et les profils issus du privé sont les bienvenus (voir ci-dessous). Le recrutement de ses propres conseillers n’échappe pas à ces critères. Nicolas Sarkozy s’entoure d’opérationnels, à l’instar de Catherine Pégard, sa conseillère médias, ancienne journaliste du Point, ou de Raymond Soubie, conseiller social et ancien P-DG d’un cabinet de RH… « Cette façon de rechercher une diversité de compétences et de marier les profils est une caractéristique des entreprises privées », confirme Jean-Marie Peretti, professeur de management à l’Essec.

Consultants à la rescousse. Cette complémentarité se retrouve également dans la composition des équipes chargées de conduire les réformes. À l’instar de la révision générale des politiques publiques, le programme de cost killing de l’administration. « Pour chaque grand dossier, nous avons créé des groupes où se mélangent des fonctionnaires et des consultants extérieurs », explique Raymond Soubie, son conseiller aux Affaires sociales. « Jamais on a autant fait appel aux consultants », assure un directeur d’administration centrale. Élaboration d’un diagnostic, accompagnement du changement, formation des agents… cabinets en organisation et conseils en management se frottent les mains. « Jusqu’à présent, l’administration sollicitait surtout des informaticiens. Désormais elle se réfère à des consultants en stratégie pour l’aider à concevoir la réforme. Devraient suivre les organisateurs pour sa mise en œuvre », note Jean-Marie Nogaro, associé du cabinet de conseil Eurogroup. « Les consultants présentent l’avantage d’être mobilisables sur un temps court. Nous n’allions pas multiplier par dix les recrutements d’énarques », justifie le conseiller d’un ministre. Plus encore que ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy prône le recours aux experts : commission Attali, mission Stiglitz sur la croissance… La méthode, consistant à croiser les expériences et à s’inspirer des initiatives des uns et des autres, est bien connue dans l’entreprise sous le nom de cross-fertilization.

Tour à tour, les ministres viennent plancher devant un comité de suivi des réformes, véritable comité de direction

Benchmarker. Adoptant un réflexe de patron du CAC 40 qui guette la stratégie de ses concurrents, Nicolas Sarkozy s’inspire largement des exemples étrangers. Lorsqu’il lance « France 2025 : un diagnostic stratégique », il emprunte à la Strategy Unit de Gordon Brown. Exactement comme l’a fait le chef du gouvernement britannique. Des groupes de travail thématiques réunissant parlementaires, partenaires sociaux, hauts fonctionnaires et représentants de la société civile planchent sur différents scénarios d’évolution possible de la France dans la quinzaine d’années à venir.

Autre innovation : les ministres sont désormais traités comme des cadres dirigeants d’entreprise. Dès leur nomination, ils ont été priés de traduire dans un tableau de bord, comportant des objectifs précis, la lettre de mission reçue du président de la République. Pour les aider à mettre au point leur méthode, Matignon a mobilisé le cabinet Mars & Co. Au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, par exemple, Valérie Pécresse a reçu pour mission d’améliorer la place des universités françaises dans les classements internationaux. D’où l’indicateur conçu avec Mars & Co : compter au moins 2 établissements français dans le classement des 20 premières universités mondiales d’ici à trois ans, et au moins 10 parmi les 100 premières mondiales. Une formule dont s’était inspiré Nicolas Sarkozy, pour transcrire ses arguments de campagne en réalisations concrètes.

Indicateurs pertinents. « Comment construire des indicateurs pertinents sur des sujets aussi transverses que la lutte contre la précarité ou l’environnement ? » s’interroge Sylvestre Perrault, directeur du département secteur public à Demos. « Le service public ne peut se limiter, comme l’entreprise le fait, à la seule rentabilité et à la recherche de profits », remarque-t-il. Sous l’avalanche de critiques, Mars & Co a finalement été écarté.

Dans la conduite des réformes, le P-DG Nicolas Sarkozy fait du management par projets. Les partenaires sociaux ont dû se plier à la méthode et au rythme soutenu du président. Accord sur la modernisation du marché du travail avant fin 2007, négociation sur la représentativité avant fin mars 2008, « le planning est serré », reconnaît Raymond Soubie, le conseiller social de l’Élysée. « Dès son arrivée, Nicolas Sarkozy a reçu toutes les centrales pour établir avec elles l’agenda et le programme », dit-il. Chacune s’est vu remettre un document d’orientation qui, comme pour les ministres, fait office de lettre de cadrage. Les syndicats ont vite compris l’intérêt de jouer le jeu, sans quoi l’État aurait repris la main. Car, quel que soit le sujet, l’Élysée suit minutieusement l’avancée des travaux. Preuve en est la mise en place en décembre dernier d’un comité de suivi des réformes, alors que cette forme d’évaluation a posteriori ne faisait guère partie de la culture administrative. Coprésidée par Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée, et Jean-Paul Faugère, directeur de cabinet de François Fillon, cette cellule réunit chaque semaine Éric Woerth, ministre du Budget, Éric Besson, secrétaire d’État chargé de la Prospective et de l’Évaluation des politiques publiques, ainsi que les rapporteurs du budget du Sénat et de l’Assemblée. Tour à tour, les ministres viennent y présenter l’état de leurs travaux. « C’est un reporting classique devant ce qui ressemble à un comité de direction », assure un observateur. Le rôle de cette petite structure est aussi de rectifier le tir en cas de besoin. Ainsi, ne jugeant pas à la hauteur le plan banlieue de Fadela Amara, l’Élysée a repris dare-dare le dossier.

« Pour manager ses troupes, Sarkozy ne s’embarrasse pas du protocole », note un directeur de cabinet. Quand il a nommé Laurent Wauquiez au secrétariat d’État à l’Emploi, Nicolas Sarkozy lui aurait ainsi spécifié qu’il devait lui rendre des comptes directement. Que l’action soit jugée mauvaise et la sanction est assurée. Après le couac du plan banlieue, Fadela Amara a dû faire profil bas. Le chef de l’État n’hésite pas non plus à mettre ses ministres en concurrence, à l’instar de Christine Lagarde et de Xavier Bertrand sur le chantier du pouvoir d’achat. En revanche, l’évaluation des ministres annoncée en début d’année est enterrée. « Quand le gouvernement, en mal de popularité, a senti que cette histoire pouvait se retourner contre lui, il a renoncé », confie un conseiller. La politique a repris ses droits.

Jean-Louis Borloo 57 ans, ministre de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire.

Cet avocat a commencé sa carrière en fondant un cabinet spécialisé dans le redressement des entreprises. Il a aussi travaillé sur les fusions et acquisitions.

Rachida Dati 42 ans, garde des Sceaux, ministre de la Justice.

Son premier job ? Documentaliste dans un groupe immobilier. Rachida Dati occupe ensuite des postes en comptabilité financière et contrôle de gestion dans de grandes entreprises comme Elf Aquitaine ou Matra Communication, avant de rejoindre la chancellerie.

Bernard Kouchner 68 ans, ministre des Affaires étrangères et européennes.

Avant de s’adonner à la politique, ce médecin est surtout connu pour ses actions humanitaires aux quatre coins du monde. Dans les années 70, il fonde Médecins sans frontières et, en 2000, il est représentant spécial du secrétaire général de l’ONU au Kosovo.

Christine Lagarde 52 ans, ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi.

Cette avocate a passé plus de vingt-cinq ans dans le cabinet d’affaires Baker & McKenzie, notamment aux États-Unis. Elle en a gravi tous les échelons pour devenir, en 1999, la première femme présidente du comité stratégique mondial, basé à Chicago.

Éric Woerth 52 ans, ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique.

Diplômé d’HEC, Éric Woerth est passé par plusieurs cabinets de consulting. Entre 1990 et 1993, il est ingénieur-conseil chez Bossard Consultants. Entre 1998 et 2002, il est directeur associé chez Arthur Andersen.

Roselyne Bachelot 61 ans, ministre de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative.

Docteur en pharmacie, Roselyne Bachelot a été titulaire d’une pharmacie à Angers pendant près de sept ans avant d’embrasser, comme son père, Jean Narquin, ancien député du Maine-et-Loire, une carrière politique.

Éric Besson 50 ans, secrétaire d’État chargé de la Prospective, de l’Évaluation des politiques publiques et du Développement de l’économie numérique.

Ce diplômé de Sciences politiques débute comme responsable export chez Renault. Il travaille plus de dix ans à la Compagnie générale des eaux avant de se consacrer totalement à la politique.

Martin Hirsch 44 ans, haut commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté.

Cet énarque titulaire d’un DEA de neurobiologie passe par le Conseil d’État avant de prendre la tête de la Pharmacie centrale des hôpitaux de Paris. Dès 1995 il rejoint le monde associatif, et dirige Emmaüs depuis 2002.

Xavier Bertrand 43 ans, ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité.

Le locataire de la Rue de Grenelle rappelle souvent qu’avant de rejoindre les ors de la République il a travaillé entre 1992 et 2004 comme agent général d’assurance à Saint-Quentin, dans l’Aisne.

ÉRIC WOERTH, MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE
“À nous d’insuffler la logique de résultat à l’administration”

Qu’est-ce que l’État doit emprunter au privé ?

Il ne faut surtout pas opposer privé et public. Sur de nombreux sujets comme la comptabilité publique, ou la gestion des systèmes informatiques, l’administration est en avance. Prenez l’ancienne Direction des impôts, elle était bien organisée avec une plate-forme téléphonique efficace, un fichier à jour… Mais la logique de résultat manque parfois au public. Cela s’explique par un rapport différent au temps. L’entreprise fonctionne selon un calendrier plus resserré. À nous de l’insuffler à tous les services administratifs en réduisant le délai entre la prise de décision et la réalisation.

Le timing prévu n’est-il pas trop court pour impulser un nouvel état d’esprit ?

Des actions de modernisation avaient été lancées avant l’élection de Nicolas Sarkozy. Mais notre démarche de modernisation est d’une tout autre ampleur. Dans mon ministère, la fusion de la Direction des impôts (DGI) et de la Direction de la comptabilité publique (DGCP) marque une étape sans précédent pour améliorer la qualité de service rendu aux 35 millions de contribuables. Les réformes que nous menons concernent l’ensemble des ministères, et donc les 2,5 millions de fonctionnaires de l’État. Les réticences existent, elles sont normales. Mais je note qu’une majorité d’agents juge le changement indispensable.

Comment accompagnez-vous ces changements ?

En interne, il n’y avait pas les ressources suffisantes pour conduire le changement. Vu l’ampleur des réformes, faire appel à des cabinets extérieurs est une nécessité. Ce n’est pas nouveau. Les ministères ont toujours travaillé avec des consultants. Dans certains cas, c’est utile, dans d’autres moins. Preuve en est, la fusion de la DGI et de DGCP s’est faite sans apport extérieur. Travailler en interne a permis de créer du consensus. Je crois qu’une prise de conscience existe chez les agents. Même si l’inquiétude est là. Dans les services déconcentrés, elle est forte. D’où la nécessité de dialoguer et d’expliquer notre action.

Propos recueillis par F. G.

Auteur

  • Fanny Guinochet