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Les entreprises peinent à se mettre en conformité avec la loi Fillon

Dossier | publié le : 01.06.2008 |

Contraintes de renégocier leurs contrats collectifs pour les rendre obligatoires et responsables, les entreprises butent sur plusieurs points sensibles, tels le périmètre des bénéficiaires, l’uniformisation des garanties ou la gestion du nouveau régime.

Un ballon d’oxygène pour les entreprises ! Le gouvernement Fillon a, en effet, accepté de reporter au 31 décembre la date limite de mise en œuvre de l’article 113 de la loi Fillon… d’août 2003. Les employeurs héritent en effet de six mois de délai supplémentaire pour rendre leurs contrats « collectifs obligatoires et responsables ». Autant de critères bientôt indispensables pour conserver le bénéfice des exonérations sociales et fiscales attachées à ces couvertures. Et ce ne sera pas un luxe, tant les négociations en cours dans nombre d’entreprises sont délicates. « Cette mise en conformité suscite de gros débats en interne, tant sur la répartition des financements que sur la typologie des garanties », observe Dominique Chaignon, directeur général adjoint de l’Union nationale de la prévoyance de la Mutualité française (UNPMF). Par exemple, lorsque « les employeurs soucieux de rendre leur ancien contrat facultatif obligatoire à coût constant doivent en diminuer les garanties », décode Emmanuel Gineste, du cabinet Adding. « Ces négociations prennent un temps considérable et s’inscrivent souvent dans un calendrier social complexe », renchérit Philippe Maximin, directeur du département prévoyance et retraite de Gras Savoye. « Discuter de la prévoyance en période de tension sur le pouvoir d’achat n’est pas le moment idéal », témoigne ainsi Daniel Retat, coordinateur CFDT du groupe Safran, dont l’harmonisation de la trentaine de régimes de santé et prévoyance existants s’éternise depuis plus de dix-huit mois.

Pour les DRH aussi, le sujet est délicat : « Cette négociation en recouvre en réalité trois : celle avec les syndicats, celle avec le P-DG, qu’il faut convaincre d’augmenter sa part de financement, et celle avec les prestataires, dont il faut dénoncer les contrats et négocier le nouveau cahier des charges », explique Michel Gentil, directeur du développement social et humain de Colas, pas mécontent d’être parvenu, à l’automne 2007, après dix-huit mois de discussions, à bâtir un dispositif uniforme pour les quelque 32 000 salariés français issus de 280 entités juridiques différentes.

Solidarité intergénérationnelle. Alors que beaucoup d’entreprises s’étaient jusque-là contentées de mettre en place un régime par usage ou sur décision unilatérale de l’employeur, la loi Fillon les invite à conclure un accord avec les organisations syndicales, et surtout à passer leurs couvertures au peigne fin. « Au risque de déstabiliser des situations qui n’ont pas été revues depuis longtemps », constate Anne André, directrice générale d’Aon Assurances de personnes. Notamment lorsque la négociation amène à revoir le périmètre des bénéficiaires. C’est le cas du groupe Safran, qui souhaite mettre un terme à la mutualisation des régimes d’actifs et de retraités, alors que les syndicats plaident, comme la CFDT, en faveur du « maintien d’un mécanisme de solidarité intergénérationnelle ».

Les modalités d’extension du contrat aux ayants droit est également un point sensible. « En retenant le principe d’une cotisation famille de façon à faire baisser le niveau de cotisation globale, nous avons dû donner une compensation aux salariés isolés afin qu’ils ne soient pas lésés par le nouveau système », explique Guy Lacroix, secrétaire général du groupe Eiffage. Chez Colas, l’accord prévoit une prise en charge au sens large intégrant les conjoints pacsés, les concubins et les enfants âgés de moins de 28 ans. Mais le DRH s’est heurté aux ayants droit déjà couverts par ailleurs, notamment par une mutuelle de la fonction publique. « C’est très difficile pour eux de s’extirper de cette couverture complémentaire prétendument facultative alors que ces mutuelles assurent aussi le régime obligatoire d’assurance maladie, voire la caution bancaire du prêt immobilier… »

Autre population délicate à traiter pour les entreprises, les cadres supérieurs. Non seulement « ces négociations ouvrent la porte à des revendications pour uniformiser les cotisations patronales et les garanties entre les cadres et les non-cadres », observe Anne André, mais les cadres supérieurs risquent d’être pénalisés deux fois, cette catégorie n’étant pas reconnue par la loi. D’un côté, la menace d’un redressement fiscal incite les entreprises à réviser à la baisse les prestations haut de gamme dont ils bénéficiaient jusque-là en prévoyance et surtout en retraite, en les alignant sur celles des autres cadres. De l’autre, les cadres supérieurs vont devoir « réintégrer dans leur revenu imposable la part de cotisation patronale excédant les plafonds fiscaux », regrette Michel Gentil, le DRH du groupe Colas, qui estime que « les cotisations auraient dû être intégralement exonérées dès lors que les couvertures respectaient les critères du contrat responsable ».

La loi Fillon oblige aussi les entreprises à vérifier les garanties. En particulier lorsqu’il s’agit de « garanties forfaitaires », comme dans les cas d’hospitalisation ou de maternité. « Cela oblige les employeurs à les ventiler de façon à identifier la part qui couvre les frais à la charge des assurés et celle qui relèverait d’une éventuelle rémunération soumise à charges sociales. Il en est de même des prestations d’assistance, souvent présentes depuis longtemps dans les contrats », explique Christine Cambus, chargée d’étude à la direction de la réglementation de l’Acoss. En clair, « les contrats ne peuvent plus offrir de prestations non complémentaires à la Sécurité sociale », précise Dominique Chaignon, de l’UNPMF. Pas question non plus de laisser subsister une clause limitant le bénéfice de certaines prestations de prévoyance aux salariés âgés de moins de 65 ans.

Pilotage du régime. Cette remise à plat pose aussi la question de la répartition des financements. « Lorsque l’employeur accepte d’augmenter sa contribution, il souhaite en contrepartie avoir accès au pilotage du régime », observe Pascal Broussoux, directeur technique d’AG2R. Chez Eiffage, Guy Lacroix souhaite « éviter les excès de laxisme et conserver une vision globale sur l’appréciation réelle des dépenses et des provisions ». Encore faut-il en convaincre les organisations syndicales qui jusque-là assuraient cette gouvernance, sous couvert de subvention du comité d’entreprise. Exemple à l’ANPE, où le Syndicat national unifié (SNU), qui vient pourtant de signer l’accord entérinant la création d’un contrat santé obligatoire, revendique « le maintien d’une gestion purement syndicale du nouveau régime dans la mesure où [il a] fait la preuve par le passé de [sa] capacité à gérer la mutuelle ». Le SNU n’a toutefois pas été suivi par les autres syndicats…

Cette renégociation pose enfin la question du maintien des mutuelles d’entreprise, en lien avec la clarification, voire la suppression de la participation des CE à ces mutuelles. « Jusqu’à présent, certaines d’entre elles fonctionnaient très bien. Or elles ne peuvent plus tenir la route toutes seules, au regard des nouvelles exigences imposées aux contrats de groupe, explique Cathy Suarez, économiste de la santé, chargée de la prévoyance collective à la CGT. Cela induit des négociations visant à faire absorber ou, à défaut, à réassurer ces mutuelles auprès de plus grosses structures, via des délégations de gestion. Ces montages sont très perturbants. »

La négociation d’une nouvelle complémentaire santé obligatoire pour les 170 000 agents de la Sécurité sociale bute ainsi depuis plus d’un an sur la question de la pérennité des 80 à 120 mutuelles internes existantes. Fortes de plusieurs centaines de salariés, regroupées au sein de deux réseaux – l’Unmos, proche de FO, et l’Unamupos, plutôt animée par des militants de la CGT –, ces mutuelles ont longtemps défendu leur indépendance et rejeté toute idée d’intégration au sein de l’UNPMF… avant de finir par accepter un compromis, notamment sous la pression d’autres syndicats désireux de réserver une partie de cet énorme marché à des institutions de prévoyance. Conséquence, côté employeur, on marche sur des œufs : « Nous sommes d’accord pour permettre à plusieurs assureurs de se partager le marché, à la condition de garantir un pilotage informatique centralisé du régime », explique-t-on à l’Ucanss. Inutile de dire que les six mois supplémentaires de discussions ne seront pas de trop.

Quand l’État employeur s’exonère de ses propres règles

Tandis que les entreprises se débattent avec la loi Fillon, l’État employeur s’est bien gardé de s’imposer de telles obligations s’agissant de la couverture santé et prévoyance des fonctionnaires. « L’État considérerait-il ses agents comme une espèce inférieure, indigne d’accéder à des couvertures élevées ? » s’interrogent les consultants du cabinet Jalma, qui ont réalisé une comparaison privé-public qu’ils publient dans le Panorama de l’assurance santé 2008. Le décret du 19 septembre 2007, qui précise le cahier des charges à respecter par les organismes candidats aux appels d’offres ministériels en cours, prévoit que l’adhésion aux futurs régimes ne sera, à la différence du privé, ni obligatoire ni globale. Autrement dit, « les agents pourront choisir de ne s’assurer qu’à certains risques. Ce qui, pour ceux qui bénéficiaient jusque-là de couvertures globales intégralement mutualisées, constitue une immense régression », expliquent les auteurs de l’étude.

L’État employeur se montre tout aussi chiche quant à sa propre contribution financière. Tout en imposant aux entreprises de participer à hauteur, en moyenne, de 50 % du coût de la complémentaire, il ne s’est fixé aucun montant minimal, laissant à chaque administration le soin de déterminer chaque année le montant de sa participation. Certaines d’entre elles consacrent moins de 1 euro par mois et par agent à la prévoyance santé. L’objectif n’est-il pas de « limiter les engagements d’un employeur radin et financièrement à bout de souffle ? » se demande l’étude Jalma, qui pointe aussi les déséquilibres, au détriment du public, en matière de solidarité entre actifs et retraités ainsi qu’à l’égard des familles nombreuses.