logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Les complémentaires à la rescousse

Dossier | publié le : 01.06.2008 | Valérie Devillechabrolle

En raison du transfert de dépenses jusque-là supportées par la Sécu, les régimes complémentaires vont absorber de nouvelles charges. Avec un poste lourd : les indemnités pour arrêt de travail.

Les assureurs ont sorti les calculettes. Alors que Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, doit se prononcer en juillet sur d’éventuels transferts de dépenses de santé supportées par le régime général vers les organismes complémentaires, mutuelles, institutions de prévoyance et assureurs privés, les pronostics vont bon train. Les dépenses d’assurance maladie sont reparties à la hausse en 2007, avec un dérapage de 3 milliards d’euros par rapport à l’enveloppe votée par le Parlement, et les complémentaires, qui supportent 13 % des dépenses de soins, en redoutent déjà les conséquences. La polémique suscitée par les déclarations récentes de Roselyne Bachelot à propos des « marges de manœuvre » dont disposent, selon elle, les complémentaires pour absorber d’éventuels déremboursements de frais dentaires ou d’optique l’atteste. « Si la seule vocation de ces transferts est d’alléger la charge du régime général, ils n’auront qu’un effet cosmétique sur les prélèvements obligatoires et n’amélioreront pas l’efficience globale du système, prévient Alain Rouché, directeur santé de la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA). En clair, « il faudrait que les complémentaires soient en position d’effectuer une véritable gestion du risque en apportant une réelle valeur ajoutée aux assurés. » Mêmes réticences de la part de Jean-Louis Faure, délégué général du Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP) : « Les entreprises ne laisseront pas augmenter durablement les cotisations des contrats collectifs en complémentaire santé au-delà de la progression des salaires. Tout transfert provoquera dès lors des modifications dans les prises en charge car les employeurs souhaiteront maintenir leur contribution dans certaines limites. »

Pas de révolution. L’impact sur les complémentaires ne serait toutefois pas identique selon la nature des postes transférés. Ainsi, « basculer la totalité des dépenses d’optique à la charge des mutuelles n’aura pas d’incidence car c’est déjà quasiment réalisé », note Mathias Matallah, président du cabinet Jalma. Selon les chiffrages du CTIP, ce déremboursement se solderait par un transfert de 227 millions d’euros sur les complémentaires, ce qui générerait une augmentation moyenne des contributions de l’ordre de 1,3 %. De même, « hormis l’accroissement de la charge, les organismes n’anticipent pas à bref délai de révolution importante en cas de transfert de charges en dentaire », estime Didier Weckner, directeur des assurances collectives d’Axa. Même si cette charge entraîne, selon les calculs du CTIP, une hausse de 16,6 % des contributions nécessaires, en additionnant le déremboursement des prothèses et celui des soins dentaires adultes. « Nous nous sentirions assez à l’aise pour l’assumer dès le premier euro », confirme Christophe Guillermard, directeur technique des assurances collectives de Groupama, en faisant confiance aux réseaux de professionnels de santé pour peser sur les dépenses, même si, reconnaît-il, « les chirurgiens-dentistes ont un peu de mal à adhérer à ce type de partenariat ».

La profession de l’assurance s’attend, en revanche, à hériter de transferts plus importants sur les médicaments, en particulier ceux qui sont remboursables sur la base de 35 %. Un basculement total de ces remboursements vers les complémentaires se solderait, certes, par une économie de 3,6 milliards d’euros pour le régime général, mais renchérirait les cotisations de près de 18 %, selon le CTIP. « Un scénario difficilement acceptable par l’opinion », estime Pascal Broussoux, directeur technique d’AG2R, en rappelant le tollé qu’a suscité l’instauration, le 1er janvier, d’une franchise sur les médicaments pourtant limitée à 50 euros par an et par assuré. Les complémentaires n’ont pas l’intention d’accepter ce transfert sans prérequis : « Nous aurons besoin d’avoir accès à certaines données de soins et en particulier aux codes des médicaments utilisés », prévient Alain Rouché, de la FFSA.

Employeurs et complémentaires risquent surtout de devoir mettre davantage la main au portefeuille pour les arrêts de travail. Avec 5,2 milliards d’euros d’indemnités journalières versés en 2006, le régime général est aujourd’hui en première ligne en assurant une couverture de 50 % du salaire de base plafonné dès le quatrième jour d’arrêt. Mais la donne pourrait évoluer avec l’accord interprofessionnel conclu le 11 janvier sur la modernisation du marché du travail qui renforce les obligations de l’employeur découlant de la loi de mensualisation. En vertu de cet accord, en cours de discussion au Parlement, les entreprises vont devoir verser 90 % du salaire dès le huitième jour d’arrêt (au lieu du douzième auparavant) à tous leurs salariés en arrêt ayant au moins un an d’ancienneté (au lieu de trois ans). « Près de 2 millions de personnes vont être concernées », se félicite Alain Petitjean, responsable de la prévoyance collective à la CFDT, signataire de cet accord. Alors que, selon le CTIP, plus de la moitié (62 %) des branches professionnelles prévoient actuellement des dispositions moins favorables, les partenaires sociaux vont devoir amender les conventions collectives concernées, voire les contrats de prévoyance de branche. Directeur du développement du Groupement national de prévoyance, qui gère les contrats d’une vingtaine de branches, Jean-Jacques Gillot a fait ses comptes : « En termes d’évolution de la sinistralité, cet accord peut se traduire par une augmentation non négligeable pour les branches concernées. »

Un basculement qui pourrait coûter cher. Alors que les dépenses d’indemnités journalières sont reparties à la hausse en 2007 (+ 5,6 % selon la commission des comptes de la Sécurité sociale), le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) préconise d’aller encore plus loin et suggère de « basculer l’indemnisation des premières semaines d’arrêt maladie sur l’employeur ». « On pourrait en attendre un traitement plus pertinent de l’absentéisme en termes de prévention ou de prise en compte des contraintes familiales », indique l’avis rendu le 28 février. Comme le rappelle Christophe Guillermard, de Groupama, « nombre d’employeurs s’autoassurent s’agissant de leurs obligations en matière de mensualisation », sachant que 56 % des entreprises, selon les estimations de l’Irdes, prendraient déjà en charge la franchise de trois jours. Un tel basculement pourrait donc coûter très cher aux employeurs. De l’ordre de 1,2 à 2,5 milliards d’euros pour une franchise augmentée de un à trois mois, selon les calculs du CTIP.

Le Medef ne s’y est pas trompé en émettant des « réserves » sur les conséquences d’un tel transfert. « Nous pourrions assister à des systèmes de vases communicants en direction des complémentaires d’entreprise, voire dans le sens d’une plus grande mutualisation au niveau du contrat de branche », anticipe Pascal Broussoux, directeur technique d’AG2R. « Sous réserve de bénéficier des mêmes outils de contrôle mutualisé des arrêts que la Sécurité sociale », tempère un professionnel du secteur. Quant aux entreprises, elles pourraient bien aussi se montrer moins généreuses : « La prise en charge des arrêts dès le premier jour va trop loin dans le cas de certains collaborateurs qui la considèrent comme naturelle. Il faudrait garder au moins une journée à la charge des salariés », estime Michel Gentil, le DRH du groupe de travaux publics Colas.

L’autre grande incertitude concerne une éventuelle prise en charge accrue des patients victimes d’une affection de longue durée (ALD). Le coût de ces assurés, aujourd’hui supporté à 100 % par le régime général, ne cesse de s’alourdir : alors qu’ils ne représentaient que 14 % des assurés en 2004 et consommaient déjà 60 % des dépenses de l’assurance maladie, les ALD pourraient ainsi représenter 19 % des assurés et 70 % des dépenses à l’horizon 2015, d’après les projections de la Cnam. Selon Dominique Chaignon, directeur général adjoint de l’Union nationale de la prévoyance de la Mutualité française, « seuls 10 à 15 % des ALD sont encore en activité, les autres étant retraités ; donc les contrats collectifs d’entreprise ne sont a priori pas concernés par un éventuel transfert de charges ». Toutefois, « ils devraient prendre en charge un éventuel ticket modérateur et pourraient l’être par ricochet, en lien avec une meilleure application de l’ordonnancier bizone [qui distingue les prescriptions relevant de l’ALD et les autres] aux pathologies annexes, par exemple », note Didier Weckner, d’Axa.

Les ALD pourraient aussi peser davantage sur les contrats collectifs via un renchérissement du coût des options proposées aux retraités de ces mêmes entreprises. En particulier lorsque le nombre de retraités est important. Un retraité de plus de 75 ans coûtant en moyenne quatre fois plus cher qu’un actif de 35 ans, « nombre de ces contrats sont déjà déficitaires », rappelle Christophe Guillermard, de Groupama. « Les assureurs pourraient être tentés de rééquilibrer les forfaits des retraités en renchérissant celui des actifs », anticipe Anne André, directrice générale d’Aon Assurances de personnes. « Sachant aussi qu’une partie de ces ALD relève en réalité de la dépendance, ajoute Guillaume Sarkozy, délégué général du groupe Malakoff-Médéric, les entreprises vont être de plus en plus sollicitées pour prendre en compte les problématiques de leurs salariés confrontés à celle de leurs proches. » Au travers du financement des ALD, c’est toute la question de la responsabilité de l’entreprise en matière de prise en charge du vieillissement et des personnes âgées qui est posée…

Ultime facteur de déstabilisation des dispositifs collectifs, la mise en place du « bouclier sanitaire » défendu par Martin Hirsch, le haut commissaire aux Solidarités actives. Ce dispositif importé d’Allemagne a vocation à plafonner les dépenses annuelles à la charge d’un assuré en fonction de ses revenus. Si Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, précise que le débat n’est pas tranché, les assureurs complémentaires y sont farouchement opposés. La création de ce bouclier risque en effet de « pousser les assurés bien portants à s’interroger sur l’opportunité de conserver leur complémentaire, si jamais la franchise était supérieure à leurs dépenses », résume Philippe Maximin, directeur du département prévoyance de Gras Savoye. « Cela risque de marginaliser encore plus les complémentaires dans la gestion du risque santé », prévient Jean-Louis Faure, du CTIP. Loin d’être marginalisés, les régimes complémentaires risquent au contraire de devoir absorber de nouvelles charges. Un transfert qui sera d’autant plus acceptable par les entreprises et les branches en contrepartie d’une mutualisation élargie. Autrement dit, d’une généralisation des contrats collectifs santé. Sachant que moins de 60 % des salariés sont couverts par ce type de dispositif, les arbitrages du gouvernement sont très attendus.

Vers la portabilité des droits des licenciés

Mine de rien, l’accord interprofessionnel sur la modernisation du marché du travail s’est attaqué à un sacré tabou : celui du maintien des droits des licenciés au-delà de la rupture de leur contrat de travail. L’article 4 de cet accord stipule en effet que, pendant sa période de chômage, un salarié bénéficiera du maintien de la couverture complémentaire en santé et prévoyance de son ancienne entreprise pendant au moins trois mois et dans la limite d’un an pour les salariés âgés de plus de 50 ans, bénéficiant de droits d’indemnisation élevés. Si ce type de dispositif existait déjà dans les grandes entreprises, « la vraie nouveauté provient du maintien d’une contribution patronale, ce qui est de nature à intéresser davantage de salariés licenciés », explique Anne André, directrice générale du courtier Aon Assurances de personnes. Pour les assureurs, l’idéal serait de mettre en place un dispositif qui, selon le directeur santé de la FFSA, Alain Rouché, « permette le recouvrement des cotisations patronales et salariales auprès de l’entreprise de départ ». Pour cela, « on pourrait calculer la cotisation salariale en fonction de la durée théorique maximale et la prélever sur le solde de tout compte du salarié », précise Pascal Broussoux, directeur technique d’AG2R, avant de « lui rembourser éventuellement le trop-perçu en cas de reprise anticipée d’activité », ajoute Didier Weckner, directeur des assurances collectives d’Axa. Ultime avantage de ce dispositif, il pousse à la conclusion d’accords de branche en santé de façon à mutualiser le risque pour les petites entreprises. A contrario, les assureurs se montrent très réservés sur la portabilité des droits en matière de prévoyance. « Que signifie le maintien d’un droit en arrêt de travail pour un chômeur qui par définition n’est plus en activité ? » s’interroge Christophe Guillermard, de Groupama. Reste aux rédacteurs des circulaires d’application de la future loi d’en préciser les contours…

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle