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Vie des entreprises

Pierre Mongin prépare les agents de la RATP au choc de la concurrence

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.05.2008 | Jean-Paul Coulange

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Evolution des effectifs

Crédit photo Jean-Paul Coulange

Productivité, mobilité, polyvalence… Le patron de la RATP s’emploie à insuffler une logique de résultat et un esprit de compétition à l’entreprise publique, qui va s’ouvrir progressivement à la concurrence à partir de 2009.

Négociation mouvementée du nouveau régime de retraite, signature d’un contrat de 5 milliards d’euros d’investissement d’ici à 2011 avec le Syndicat des transports d’Ile-de-France (Stif), mise en œuvre de la loi d’août 2007 sur la continuité de service dans les transports, élaboration du plan d’entreprise pour les cinq ans à venir… Les six derniers mois ont été chargés pour Pierre Mongin, le président de la RATP. Arrivé dans le courant de l’été 2006 pour remplacer Annie-Marie Idrac, partie à la SNCF, l’ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin à Matignon s’est vite glissé dans la peau d’un patron d’entreprise. À raison d’une ou deux visites sur le terrain chaque semaine, il prend, trois mois après sa nomination, 17 engagements concrets « au service des voyageurs » portant, pêle-mêle, sur la réparation des escaliers mécaniques, la propreté des quais, le confort des véhicules ou encore la promotion d’une rocade métro autour de Paris, qu’il baptise « métrophérique ». Car Pierre Mongin a fixé un objectif à la RATP : réintégrer le top 5 mondial des entreprises de transports urbains. « Le service public, ce n’est pas la course à l’échalote », raille la CGT de la RATP. L’autre défi de ce préfet de 53 ans est de préparer l’entreprise publique et ses 45 000 salariés à l’ouverture à la concurrence, à compter de 2009.

1 - Instaurer une démarche participative.

De mémoire d’Altedia, le cabinet de conseil qui a piloté l’opération, l’exercice est sans précédent dans une société de 45 000 personnes. Pour concocter le plan d’entreprise 2008-2012 de la RATP, Pierre Mongin a souhaité partir d’une feuille blanche. « Il y a longtemps que l’on n’avait pas donné la parole aux salariés. Je ne suis pas un chantre de la cogestion, mais, dans une entreprise comme la nôtre, il est important d’écouter les salariés pour mieux les associer à l’action », note le président de la RATP. Grâce à l’intranet Argos, à des groupes de travail qui ont réuni près de 5 000 agents, aux 16 000 contributions individuelles, le plan « ambition 2012 » a été bâti autour de cinq axes prioritaires (innovation et services clients, performance économique et financière ou encore valorisation des ressources humaines) approuvés par 88 % des salariés.

Pour éviter que cette consultation directe des salariés apparaisse comme une « machine de guerre » contre les syndicats, Pierre Mongin a passé fin 2006 un accord signé par les huit organisations, CGT et SUD compris. « Nous n’avons pas participé aux groupes de travail, indique cependant Didier Larrigaldie, délégué FO de la RATP, car, en faisant des propositions, on s’orientait vers une forme de participation à la gestion de l’entreprise. Or un tel projet est du ressort unique de la direction. » « Nous avons apporté une grosse contribution au plan d’entreprise, mais nos idées n’ont pas été retenues, souligne Jacques Eliez, secrétaire de la CGT, majoritaire à la RATP. La démarche n’a été qu’un prétexte pour justifier des choix prédéfinis, notamment sur les gains de productivité. » Ce que réfute Danielle Deruy, directrice générale déléguée d’Altedia : « Le mot productivité est un terme tabou à la RATP ; or il est sorti de la bouche même des opérateurs. »

Reste que la démarche participative voulue par Pierre Mongin va se poursuivre durant les cinq années du plan d’entreprise, animé par des « pilotes » qui vont assurer le reporting auprès du comité exécutif et des animateurs chargés d’assurer la visibilité des 22 chantiers du plan, rebaptisés par Pierre Mongin les « 22 logiciels de modernisation de l’entreprise ».

2 - Décloisonner l’entreprise.

L’objectif semble bien modeste. D’ici à 2012, la RATP veut multiplier par deux (de 100 à 200 sur un total de 10 500 !) le nombre d’agents d’encadrement possédant des « compétences multimodales », c’est-à-dire ayant travaillé dans au moins deux des trois réseaux (bus, métro et RER). « Il nous faut faire mieux fonctionner la multimodalité », reconnaît en outre Yves Ramette, le patron des transports. La RATP traîne comme un boulet son histoire, celle d’une entreprise née de la fusion de la Compagnie du métro de Paris et de la Société des transports en commun de la région parisienne, qui exploitait autobus et tramways. Soixante ans après, Pierre Mongin veut s’attaquer au problème.

Mais l’entreprise « intégrée » dont il rêve n’est pas encore pour demain. « Les machinistes ne souhaitent pas aller vers le métro pour des raisons de relation avec les clients mais également pour des problèmes de bonifications différentes entre bus et métro », reconnaît Nora Si-Ahmed, qui dirige le centre bus de Malakoff. Entre métro et RER, ça bouchonne aussi, alors que la totalité des conducteurs de RER vient du métro. « Parmi nos 450 conducteurs, beaucoup habitent dans le même secteur. La vie s’organise après le travail et, du coup, ils ne veulent plus quitter la ligne », raconte Patrick Ablin, directeur de la ligne B du RER.

Pour introduire de la transversalité, la direction de la RATP veut doper la mobilité, bloquée à 8 % chez les cadres et entre 1 et 2 % pour les opérateurs. L’autre antienne « présidentielle » est d’offrir aux salariés de véritables parcours professionnels. « Tout est une question d’échelle, car plus de 30 000 des 45 000 salariés de la RATP sont des exploitants et, pour la plupart, des machinistes », rappelle Nora Si-Ahmed. Sur les 575 machinistes du centre bus de Malakoff, elle ne peut proposer un parcours de formation pour devenir chef de ligne qu’à 5 machinistes chaque année. À la direction de la RATP, on a bien conscience de la nécessité d’être plus « attractif », notamment pour recruter chaque année environ 2 400 personnes.

3 - Insuffler une logique de résultat.

Vive le benchmarking ! Au conseil d’administration, qui compte trois salariés sur neuf membres, Pierre Mongin a fait un gros travail de pédagogie pour insuffler une « logique de résultat » au sein de l’entreprise. Après un comparatif avec les principaux « concurrents » de la RATP, la SNCF pour le réseau RER, le métro de Berlin et les opérateurs privés pour les bus, le président de la RATP a fixé l’objectif à 10 % de gains de productivité sur cinq ans, soit l’équivalent de 350 millions d’euros sur un chiffre d’affaires de 3,55 milliards d’euros (2006). « Lors de la préparation du plan d’entreprise 2008-2012, la performance économique et financière a été l’axe prioritaire qui a suscité le plus fort consensus chez les salariés et le plus de participation », rappelle Emmanuel Pitron, directeur de cabinet de Pierre Mongin. La productivité n’est pas un « gros mot », assure Jacques Eliez. « Mais 2 % par an, c’est énorme, c’est quatre fois plus qu’avant, et cela représente 800 emplois en moins. » Le numéro deux de la CGT craint une individualisation des rémunérations, des parcours et des carrières, avec une rétribution plus fortement liée à la réalisation d’objectifs.

En fonction de la performance réalisée par leur unité, les opérateurs ont droit à leur part du gâteau. « Une partie des gains de productivité est reversée aux unités en fonction de la qualité du service rendu et de critères comme le présentéisme, la relation avec les clients ou la maîtrise de la consommation de gazole, explique Nora Si-Ahmed, patronne du centre bus de Malakoff. Pour un machiniste, la rétribution pouvait auparavant atteindre 700 euros. Cependant, la manne redistribuée pour 2007 va être réduite en raison du conflit de l’automne. » Mais, avec les bons résultats que vient d’annoncer la RATP pour 2007 (+ 105 % de résultat net par rapport à 2006), il est probable que les syndicats revendiquent un meilleur partage de la croissance.

4 - Anticiper l’ouverture à la concurrence.

À partir de décembre 2009, en application du règlement européen sur les obligations de service public publié en décembre 2007, toute nouvelle ligne ou création de desserte, en Ile-de-France ou hors de la région, donnera lieu à un appel d’offres. Une ouverture à la concurrence que Pierre Mongin a négociée pied à pied avec l’aide de Jacques Barrot, le commissaire européen aux Transports. « Ce règlement protège les réseaux existants pour une période de trente ans. Il respecte la liberté de choix des autorités organisatrices de transport et, surtout, définit la notion de service public en estimant que les aides publiques que nous recevons sont des aides aux voyageurs et non des aides d’État », souligne Emmanuel Pitron, le directeur de cabinet du P-DG de la RATP.

Les premières réunions préparatoires à l’ouverture à la concurrence ont beau avoir eu lieu dès 2000, l’échéance de 2009 constitue un sacré électrochoc. « En CE, nous avons eu des débats de nature quasi philosophique, indique Josette Théophile, la directrice des ressources humaines de la RATP. Car il faut passer d’un univers de certitude et de légitimité de droit à une autre réalité, celle de se remettre en cause et d’être choisis par les autorités organisatrices de transport. » « Sur le réseau bus, la concurrence, c’est de moins en moins abstrait, remarque Nora Si-Ahmed. En 2007, on s’est battu pour décrocher un nouveau service urbain à Vanves, qu’on a perdu. Et, cette année, nous avons deux autres appels d’offres, à Montrouge et à Châtillon. Nos chauffeurs savent bien qu’il faut être concurrentiel. »

Mais l’esprit de compétition n’est pas partagé dans toute l’entreprise. « La SNCF est mieux armée contre la concurrence car les Allemands ou les Britanniques, par exemple, viennent rouler sur le réseau français. En revanche, à la RATP, on ne roule pas sur d’autres réseaux », note Patrick Ablin.

5 - Achever la négociation sur les retraites.

Après avoir esquivé l’obstacle en 1995, puis en 2003, la RATP a fini par réformer son régime de retraite en décembre 2007, après neuf jours de conflit. « Dès le début, le métro tournait un peu et les bus fonctionnaient à plus de 50 %, rappelle Josette Théophile. En 1995, le réseau était totalement bloqué et, en 2003, il y a eu beaucoup plus de perturbations. Pour autant, la réforme n’est pas nécessairement acceptée. » « Et, avec l’affaire des 41 annuités, ça peut repartir », abonde un patron d’unité. « On va tout faire pour éviter de passer à 41 ans de cotisation », prévient Didier Larrigaldie, de FO RATP.

D’où l’importance des négociations qui vont avoir lieu cette année. Au menu, les avantages familiaux avec la suppression de la bonification d’un an pour les mères de famille, la création d’un Perco à la place de l’actuel PEE et, surtout, la définition de critères de pénibilité pour les nouveaux embauchés qui ne bénéficieront plus, à partir du 1er janvier 2009, du régime de bonification d’un an tous les cinq ans et de l’instauration d’une décote de 5 % par annuité manquante. L’observatoire des métiers mis en place cette année va réfléchir à la façon de compenser la pénibilité. « La CGT refuse le principe d’un double statut au sein de l’entreprise, martèle Jacques Eliez, tout en reconnaissant qu’il semble difficile, actuellement, de « créer un rapport de force ». Pour Pierre Mongin, le problème est réglé ; et la réforme n’a rien de « cosmétique » puisque, moyennant un coût de 0,5 % de la masse salariale, elle permettra de sauver un régime qui était sérieusement menacé à l’horizon 2040.

Repères

En moins de soixante ans, la RATP s’est dotée du réseau de transports urbains le plus dense du monde. Le trafic a atteint 2,87 milliards de voyages en 2007, (+ 3 % en tendance, mais + 0,3 % seulement en réel par rapport à 2006 en raison des grèves d’octobre et de novembre). L’activité des filiales, notamment celles qui opèrent en province et à l’étranger, représente désormais plus de 6 % du chiffre d’affaires du groupe RATP.

1949

Création de la RATP par la loi du 23 mars 1948.

1969

Ouverture du premier tronçon du RER A entre Nation et Boissy-Saint-Léger.

1982

Première femme conductrice du métro.

1998

Ouverture de la ligne 14, première ligne automatique.

2000

Autorisation pour la RATP de devenir opérateur en province et à l’étranger.

Evolution des effectifs
ENTRETIEN AVEC PIERRE MONGIN, PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA RATP
“La concurrence ne doit pas faire peur aux salariés de la RATP”

Vous venez de présenter le plan d’entreprise 2008-2012. Quelle est votre stratégie pour la RATP ?

Depuis une dizaine d’années, la RATP a énormément changé. Christian Blanc a provoqué le déclic, en opérant un véritable « big bang ». Jean-Paul Bailly a mis en œuvre le changement. Aujourd’hui, l’entreprise est au pied du mur. Deux voies sont possibles : celle de la stagnation ou celle d’une évolution choisie par les salariés. Auparavant, la RATP s’attachait davantage à l’offre de transport qu’à la qualité du service rendu au voyageur. Ma stratégie consiste à transformer cette entreprise d’experts en une entreprise performante de services, en s’appuyant sur ses valeurs : le sens du service public, le respect de l’égalité de traitement des voyageurs, la diversité, la laïcité…

Comment atteindre votre objectif de 10 % de gains de productivité ?

2 % de gains de productivité par an sur la durée du plan, c’est quatre fois plus que ce à quoi nous nous étions engagés avec le Stif dans le contrat 2004-2007. Nous allons y arriver par des changements d’organisation, un accroissement des volumes, le non-remplacement en douceur de certains départs à la retraite. Nous sommes à la fois en croissance et en adaptation de postes.

L’ouverture à la concurrence imposée par l’Europe suscite de l’inquiétude. Est-ce justifié ?

Nous nous sommes battus auprès des parlementaires européens pour que le nouveau règlement n’ouvre pas une ère de concurrence désordonnée. Le texte publié le 3 décembre 2007 nous permet de poursuivre nos missions de service public tout en introduisant une certaine dose de concurrence. Cette ouverture se fera de manière progressive, en commençant par les nouvelles lignes. La concurrence ne doit pas faire peur aux salariés de l’entreprise. Le plan stratégique qui met l’entreprise en mouvement va nous permettre de conquérir de nouveaux marchés alors que nous serons confortés par notre efficacité en Ile-de-France.

Quel bilan tirez-vous de la réforme des retraites ?

Le point capital est qu’elle maintient le régime spécial de la RATP pour les salariés en place. C’est donc une réforme respectueuse du contrat social. Sinon, le prix à payer aurait été trop lourd et aurait freiné la modernisation de l’entreprise. Ce n’est pas rompre le contrat social que de dire aux salariés de la RATP qu’ils sont des Français comme les autres. L’espérance de vie a augmenté de quinze ans entre 1948, année de la création de l’entreprise, et aujourd’hui. À partir de 2012, les salariés resteront donc deux ans et demi de plus dans l’entreprise s’ils le souhaitent. À partir de 2018, sans doute, trois ans et demi de plus. On a expliqué aux salariés qu’après cette date, en anticipant sur ce qui sera vraisemblablement la règle après le débat du printemps, on passera probablement à 41 ans. L’autre conséquence de la réforme est que les nouveaux embauchés ne bénéficieront plus, à partir du 1er janvier 2009, des bonifications, dont le coût financier est extrêmement lourd, car 83 % de l’effectif total est concerné, contre 15 % seulement à la SNCF.

Avez-vous eu peur d’échouer pendant la grève ?

Je n’ai jamais eu le sentiment que la réforme pouvait capoter. À partir du moment où les fondamentaux de cette réforme étaient compréhensibles par les salariés et justes, on ne pouvait pas déraper. En outre, dès lors que les dirigeants syndicaux ont accepté d’entrer dans la négociation d’entreprise, je savais qu’on trouverait un compromis.

Que pensez-vous de la réforme des règles de représentativité syndicale et de validation des accords ?

À la RATP, la représentativité, c’est l’élection. Ensuite, notre accord d’entreprise sur le dialogue social a fixé le seuil de validité à 35 % pour signer des accords. Ces règles actuelles fonctionnent bien.

Que vous inspire le bras de fer entre le Medef et l’UIMM ?

Nous sommes entrés dans une nouvelle ère du monde patronal. Et je trouve que Laurence Parisot incarne parfaitement ce renouveau. Elle souhaite tourner la page après avoir constaté des errements. Prendre le parti de la transparence est une très bonne chose.

Propos recueillis par Denis Boissard et Jean-Paul Coulange

PIERRE MONGIN

53 ans.

1980

Diplômé de l’ENA.

1984

Inspecteur de l’administration.

1993

Chef de cabinet d’Édouard Balladur à Matignon.

2002

Préfet de la région Auvergne.

2005

Directeur de cabinet de Dominique de Villepin à Matignon.

2006

Nommé président-directeur général de la RATP.

Auteur

  • Jean-Paul Coulange