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Politique sociale

Le travail dominical se banalise

Politique sociale | publié le : 01.05.2008 | Fanny Guinochet

Le travail du dimanche a toujours ses détracteurs, mais il se développe, surtout dans la grande distribution. Pour les volontaires, le gain en salaire vaut largement le sacrifice.

Travailler autrement pour gagner plus, tel est le credo de ces salariés prêts à être sur le pont le dimanche. La proposition de loi qui vient d’être déposée par l’UMP à l’Assemblée nationale devrait les réjouir. Elle entend assouplir l’ouverture de magasins et réformer la loi de 1906 sur le travail dominical. Pour Patricia, vendeuse dans une grande enseigne de meubles de la région parisienne, cela fait bien longtemps que le « jour du Seigneur » n’est plus sacré. À 46 ans, cette employée aurait bien du mal à se passer des 260 euros supplémentaires que lui rapportent chaque mois ses quatre dimanches travaillés. Avec un salaire brut fixé à 543 euros, difficile de s’en sortir. « L’essentiel de mon salaire se fait sur la guelte, c’est-à-dire les pourcentages sur les ventes. Et elle est nettement plus importante le week-end. J’arrive à dépasser 1 400 euros net. Sans les dimanches, je serai au-dessous de 1 000 euros. »

Dans le cas de Patricia, l’argument n’est pas que financier. Seule avec un garçon de 12 ans, elle apprécie d’avoir son mercredi et deux après-midi de libre dans la semaine. « Je peux chercher mon fils au collège, suivre ses devoirs. Le dimanche, il est pris en charge par ma famille. Je n’ai pas de frais de garde. » Idem pour Sonia, 37 ans. Hôtesse de caisse dans un magasin d’un centre commercial du Val-d’Oise, cette mère divorcée voit ses filles une semaine sur deux. « Les week-ends où mes filles sont chez leur père, j’aime autant travailler. Et si je dois aller au magasin un dimanche et que c’est à moi de m’en occuper, je trouve toujours une copine pour les garder. » Pour Sonia aussi, le supplément sur la feuille de paie pèse lourd dans la balance. « Un mois normal, c’est 932 euros pour un contrat de 35 heures. Avec le dimanche, je touche 1 100 euros. »

Chez Ikea, les travailleurs du dimanche sont payés jusqu’à 225 % ce jour-là ; tout comme au Virgin des Champs-Élysées. Aucun souci pour dénicher des volontaires : « Nous avons plus de candidats que ne le réclament nos besoins », assure Christophe Cuviller, l’ancien P-DG de Conforama. À la tête d’Abou d’Abi Bazar, une boutique de vêtements du Marais ouverte le dimanche, Patrick Aboukrat constate un engouement similaire : « De plus en plus de personnes déposent des CV pour travailler le week-end. Et ce ne sont pas que des étudiants. Les mentalités ont changé. » Ces arguments, les syndicats ont bien du mal à les combattre. « Si les salaires étaient plus élevés dans la grande distribution, les gens n’auraient pas besoin de sacrifier leur vie de famille », soutient cependant Joseph Thouvenel, secrétaire général adjoint de la CFTC, syndicat d’obédience chrétienne, traditionnellement opposé aux ouvertures dominicales.

Un risque pour l’emploi. Même son de cloche du côté de la CFDT. « Dans la grande distribution, la notion de volontariat est somme toute assez relative », estime Jean-Marc Cavagnara, secrétaire de l’union départementale des Bouches-du-Rhône. Et de citer pour exemple Plan-de-Campagne, cette zone commerciale proche de Marseille qui, depuis près de quarante ans, bénéficie de dérogations de travail dominical pour la moitié de ses 400 enseignes. « Les employeurs trouvent des volontaires, c’est sûr. Mais peut-on parler de choix quand la région est sinistrée ? » Reste qu’à Plan-de-Campagne, après une longue bataille juridique, les adversaires du travail le dimanche, CGT et CFDT en tête, se sont fait entendre : fin janvier, le tribunal administratif a imposé aux magasins concernés de baisser le rideau le dimanche. Bon nombre promettent de passer outre, préférant acquitter des amendes. « Nous réalisons près de 15 % du chiffre d’affaires ce jour-là. Si nous fermons, ce sont 1 000 emplois qui risquent d’être supprimés », prévient Tony Sessine, le président de l’association des commerçants de Plan-de-Campagne.

Et, n’en déplaise aux syndicats, à Marseille, les salariés ont manifesté aux côtés des patrons. « Je tiens à conserver mon boulot et mes 200 euros net de plus par mois », assure Mounir, magasinier chez Fly. Musulman, ce jeune pratiquant est plus attaché à son vendredi qu’à son dimanche. « Dans les quartiers sensibles, beaucoup d’employés ne sont pas catholiques. Avoir un autre jour de congé que le traditionnel repos dominical contribue à maintenir l’équité et la paix sociale », signale un patron qui, sur cette question sensible, préfère garder l’anonymat.

Un effet d’étalement. « Il est difficile de tourner le dos à l’évolution de la société. C’est une nouvelle chaîne de consommation qui se met en place », argue de son côté Denis Akriche, P-DG d’Armatis, société spécialisée en télémarketing. À la tête de centres d’appels en France, ce dirigeant a quelques clients qui lui demandent des équipes dominicales : des organismes de crédit et des banques. « Dès lors que le consommateur est susceptible de faire un gros achat le dimanche – une cuisine équipée, un bien immobilier –, il faut être en mesure de lui proposer le crédit qui va avec… » Pour Dejan Terglav, le secrétaire fédéral de la FGTA FO, allonger cette chaîne de la consommation est un non-sens. « Le pouvoir d’achat n’est pas extensible. Dimanche ou pas, les gens n’auront pas plus d’argent à dépenser. Les ouvertures dominicales n’auront qu’un effet d’étalement du chiffre d’affaires sur la semaine. » Quant à contribuer à une relance de la croissance, les doutes persistent. Économiste à l’OFCE, Mathieu Plane évoque plutôt des effets de substitution au profit d’« achats d’impulsion » en remplacement des vraies dépenses des ménages. Des effets de report assez dangereux que la CGPME craint également. L’organisation patronale s’inquiète de voir les grandes surfaces se tailler la part du lion au détriment des petits commerces, qui n’auront pas les moyens d’ouvrir 7 jours sur 7. Une étude commandée par Renaud Dutreil en 2006 a ainsi conclu que l’ouverture généralisée des magasins le dimanche entraînerait la perte de 200 000 emplois dans les commerces de proximité.

Sur le fond, les Français restent partagés. En décembre 2007, un sondage Ifop pour le Journal du dimanche estimait que 53 % d’entre eux étaient opposés au travail du dimanche. Jusqu’à quand ? « Philosophiquement, les gens sont contre, mais économiquement, ils sont pour », souligne Denis Akriche, le P-DG d’Armatis.

2,5 millions de Français

Selon l’Insee, c’est le nombre de personnes qui, en 2007, ont déclaré travailler « habituellement » le dimanche. 3,3 millions le font de façon « occasionnelle ».

Les effets pervers de l’amendement Debré

Depuis l’adoption de l’amendement Debré le 20 décembre 2007, les magasins de meubles sont libres d’ouvrir le dimanche. « Seul hic, les salariés ne pourront plus refuser de travailler. Surtout, ils ne seront pas payés plus, comme c’était le cas auparavant », s’inquiètent des syndicats comme la CFTC et FO. Avant, la convention collective du meuble prévoyait une majoration salariale et un repos compensateur pour « travail exceptionnel le dimanche ». Mais, depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 31 janvier 2006, cette disposition devient « inapplicable dès lors que le salarié travaille habituellement le dimanche », font valoir les syndicats. « Transformé en un jour comme les autres, le dimanche s’aligne sur le Code du travail.

Rien n’oblige alors une entreprise d’ameublement qui n’a pas une convention interne particulière à verser une prime à ses salariés », déplore Joseph Thouvenel, de la CFTC. À l’origine du texte, Isabelle Debré, sénatrice (UMP) des Hauts-de-Seine, défend sa cause. « La convention nationale du meuble qui oblige les employeurs à payer double reste en vigueur. Les employeurs n’ont aucun intérêt à revenir en arrière. La jurisprudence prévaut. » Avant de reconnaître, cependant, qu’« il faudra sûrement clarifier les choses prochainement ».

Auteur

  • Fanny Guinochet