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Vie des entreprises

Frank Dangeard met son point final à la mutation de Thomson

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.04.2008 | Anne-Sophie Bellaiche

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Évolution des effectifs

Crédit photo Anne-Sophie Bellaiche

Avec ce fidèle de Thierry Breton, Thomson a achevé sa conversion aux métiers de l’image. Une profonde restructuration menée sans trop de casse mais à conforter par l’harmonisation des statuts et la création d’une culture commune.

Comme l’immense atrium désert du siège de Thomson, à Boulogne, sa gouvernance actuelle donne un sentiment de flottement. Le 11 février, lors de la présentation des résultats, Frank Dangeard, le P-DG, a en effet annoncé qu’il quittait la direction générale pour ne garder que la présidence du groupe. Après un timide bénéfice en 2006, l’entreprise a renoué avec les pertes. Depuis, l’action dévisse pour rejoindre les plus fortes baisses du SBF 120, aux côtés d’Alcatel et de STMicroelectronics. « En interne, il se murmurait que, pour avancer, il fallait changer le casting », confie un ex-cadre dirigeant du groupe. Depuis deux mois, le retrait de Frank Dangeard n’est plus qu’une question de timing.

Le temps… Est-ce la denrée que les marchés ont refusée à l’ancien banquier d’affaires et artisan de la privatisation réussie de France Télécom ? En trois ans, le P-DG a pourtant finalisé une formidable mutation. Thomson, au bord de la faillite en 1997 et en grand danger en 2004, a, sous Thierry Breton puis Frank Dangeard, quitté l’électronique grand public pour devenir le spécialiste de l’image et de sa diffusion pour les industries du cinéma, de la télévision et des télécoms. Mais conduire avec brio restructurations et acquisitions est une chose, faire fonctionner ensemble les hommes d’une nouvelle entreprise en est une autre. 75 % des collaborateurs de Thomson ne faisaient pas partie du groupe il y a cinq ans. Frank Dangeard s’est attaqué à ce défi, mais la chrysalide tarde à se transformer en papillon.

1 - Éviter la casse sociale.

Thomson recense 49 000 salariés en 2004. Cette année-là, quelques milliers de collaborateurs ont déjà quitté le groupe pour rejoindre TTE, un joint-venture créé avec le chinois TCL pour reprendre l’activité téléviseurs. Aujourd’hui, le groupe compte 22 000 salariés dans le monde. Ventes et plans sociaux sont passés par là. Pour limiter les frais de ce dégraissage et assurer une viabilité des emplois aux anciens salariés, la direction a privilégié ventes et transferts aux fermetures sèches. Lorsque Frank Dangeard reprend les rênes de Thomson après un intermède de deux ans chez France Télécom, où il a suivi son mentor Thierry Breton, 70 % des cessions ont été réalisées. Reste encore les tubes, le joint-venture avec les Chinois dont il faut sortir et la division audio, vidéo et accessoires. Il cherchera pendant deux ans un repreneur pour cette dernière activité. Fin 2007, il trouve un américain pour les activités hors Europe, Audiovox.

En France, en l’absence de candidat, la direction finit par siffler la fin de la partie. En décembre, une centaine de personnes, essentiellement des cadres, sont licenciées au siège. Il reste encore deux sites industriels en France qui n’ont pas été cédés, Angers et Genlis, où l’on fabrique la Livebox et les décodeurs numériques à des conditions de rentabilité qui laissent peu de doutes sur leur pérennité. Les effectifs s’y amenuisent au fil des ans. À Angers, en 2006, le plan social a concerné 350 personnes. Au menu : préretraites et primes de départ volontaire doublées en cas de départ anticipé, cellule de reclassement et formation. Selon Odile Coquereau, déléguée CGT, « un certain nombre de salariés sont partis à des conditions satisfaisantes avec une prime de 30 000 euros en plus des indemnités légales. Mais nous sommes déçus, car le premier plan qui devait assurer la viabilité du site a été suivi par un second en 2007 ». Xavier Jeanjean, le DRH Europe, assure que de réels efforts ont été fournis pour réindustrialiser : « À Angers, par exemple, nous avons négocié un partenariat avec Veolia pour l’implantation d’un centre de retraitement de déchets électroniques, afin d’offrir des opportunités d’emploi aux collaborateurs. » Les emplois sont en partie au rendez-vous, mais pas les salaires. « Chez Veolia, cela ne dépasse pas le smic, la marche est haute pour retrouver le même niveau de vie », explique Odile Coquereau.

Thomson aurait aussi sorti son chéquier pour solder discrètement le fiasco TTE, qui a déposé le bilan trois ans après sa création. La compagnie française ne voulait pas être accusée d’avoir externalisé son plan social aux Chinois.

2 - Harmoniser les statuts.

Sous Frank Dangeard, Thomson a poursuivi sa politique d’acquisitions. Thales Broadcast, Cirpack, VCF et d’autres sociétés plus petites ont rejoint le giron du groupe. Autant de salariés à intégrer dans une organisation patchwork et mondiale. Sur les 22 000 salariés, seuls 15 % travaillent en France, une population composée désormais essentiellement d’ingénieurs et de cadres. Artisan de ce chantier international qui a débuté en 2006, Éric Bachellereau, le DRH du groupe, a effectué une cartographie des 350 postes à responsabilité managériale. Sur le papier, la direction dispose désormais d’un outil de comparaison des postes et de pilotage des rémunérations quels que soient la division ou le pays. Mais l’expérience du terrain n’est pas tout à fait au diapason. « Manque de transparence », témoigne Dany Hulot, délégué CFDT de Grass Valley, une entité de la division systèmes de Thomson : « Nous avons réclamé, sans succès, une comparaison des rémunérations entre les anciens de Thales Broadcast, racheté en 2006, et les collaborateurs de Thomson Grass Valley. » Sur un même site appartenant à une même entité, les conditions de travail des salariés restent hétérogènes, car il faut repasser sous la toise tous les accords collectifs existants. Selon Jean-Pierre Ottavi, délégué CFDT groupe, « chez Grass Valley, nous avançons à pas de tortue. La direction manque de réactivité. Nous avons fait trois, quatre séances rien que sur les congés pour événements familiaux ».

Les collaborateurs continuent d’être régis par des temps de travail, des indemnités de déplacement et des astreintes différents. Pour les salariés issus de start-up, à l’instar de l’ex-Cirpack devenu Thomson Telecom, l’harmonisation est moins lourde à mettre en œuvre. Elle est souvent attractive pour les salariés. Selon la directrice des services généraux de Cirpack, Fabienne Pecheul-Guilllou, « en intégrant Thomson Telecom, nous avons bénéficié de plus de RTT, de la convention collective de la métallurgie, plus intéressante que celle du Syntec, et des prestations du CE ».

L’autre grand chantier d’Éric Bachellereau est celui de l’identification des talents : « Nous avons mis en place des talent reviews régulières en coordination avec les DRH des pays et des business units. » Les nouveaux venus ont également rejoint le réseau du top 100, les managers clés de Thomson chargés de diffuser les pratiques de management du groupe. Mais, selon certains cadres, il manque encore le deuxième étage de la fusée : « Il n’y a pas de système organisé pour changer de poste. De plus, les structures évoluent à une telle vitesse qu’elles bougent avant vous », explique un manager de l’entité micro-processeurs. Selon un cadre supérieur du groupe, « la DRH corporate n’est pas assez étoffée pour être performante sur la mobilité alors que la diversité des métiers et des implantations du groupe constitue une opportunité pour les collaborateurs. Le lien avec le manager est souvent plus fort qu’avec le groupe ». Les Thomson « canal historique » ont aussi le sentiment qu’on obtient plus facilement un bon package de départ qu’un vrai plan de développement.

3 - Bâtir une nouvelle culture d’entreprise.

Si les analystes et les marchés ont parfois du mal à appréhender Thomson, c’est également le cas d’un grand nombre de salariés qui évoluent au-delà du cercle des initiés du top 100. « L’organisation est constituée d’un tel nombre de métiers que l’on a affaire à un animal bizarre dont on ne voit pas toujours où est la tête et où est la queue », illustre un cadre. L’évolution ultrarapide des technologies ne simplifie pas la lisibilité. La communication interne est appelée à la rescousse pour travailler sur des valeurs. Désormais, dans les bureaux, des affichettes rouge et noir revendiquent quatre valeurs : « Respect, transparence, anticipation, responsabilité ». Ce credo, élaboré en groupes de travail de managers, est censé fédérer le personnel. Les quelques collaborateurs interrogés pour les besoins de cette enquête peinaient souvent à les citer. La remise à plat du portefeuille de marques, toutes passées sous le label Thomson, semble plus efficace pour générer de l’appartenance.

Toujours dans cette logique, la direction a également multiplié les formations communes avec, en point d’orgue, un programme d’une semaine à Harvard, l’université d’origine de Frank Dangeard. Cette formation réunit 30 salariés lors de deux sessions annuelles et fait la fierté de la direction. Selon un cadre du siège, « plus que des valeurs venues d’en haut, il faut un peu de temps pour installer des méthodes de travail communes ».

4 - Reconnaître les collaborateurs.

« Des collègues responsables » est l’expression favorite de Frank Dangeard pour parler des salariés du groupe « qui doivent tous se sentir traités équitablement ». Une philosophie qu’il résume en un mot : empowerment (responsabilisation). En France, l’entreprise s’est lancée dans un grand projet sur le bien-être au travail. Parmi les actions menées, un chantier « stress » a été ouvert au siège de Boulogne et sur le site de recherche rennais. « Les mesures réalisées par le cabinet Stimulus ont mis en évidence des niveaux de stress réels mais légèrement inférieurs à ce que l’on note dans des entreprises similaires », indique Philippe Dubois, responsable des relations sociales, qui reste évasif sur les taux à Boulogne. À Rennes, on compte 30 % de salariés stressés et 18 % d’hyperstressés. Ces derniers sont 22 % parmi les ingénieurs de développement.

Le chantier doit déboucher sur une formation des managers, des ateliers de gestion du stress et une hot line psychologique. À Rennes, les départements qui s’occupent de développement sont confrontés à la pression du time to market des nouveaux clients télécoms et à une affaire d’écrêtage des heures supplémentaires par le logiciel de temps de travail qui oppose le syndicat des ingénieurs aux responsables du site. Selon la CFDT, un certain nombre de salariés travailleraient depuis quelques mois bien plus que les dix heures quotidiennes autorisées, sans que cela apparaisse officiellement. Plutôt que des ateliers de gestion du stress, ils préféreraient des embauches pour assouplir les plannings. Avec une crainte : que la solution soit trouvée en Chine, impliquant à terme un transfert des activités de développement sur le site de Pékin, passé de 50 à plus de 350 salariés en trois ans.

La reconnaissance passe aussi par la formation (un récent accord groupe sur ce sujet recueille un satisfecit des organisations syndicales) et la rémunération. Pour fidéliser les cadres, un bonus est octroyé après trois ans de présence. La direction vient également d’attribuer 20 actions gratuites à tous. En France, l’accueil va du franc énervement à l’indifférence polie. En cause, le cours de Bourse, qui a perdu 60 % en un an, et un système d’attribution qui implique d’être toujours là dans quatre ans pour monnayer ces actions. Logique, mais chez Thomson, quatre ans c’est un siècle…

Repères

Avant de devenir le spécialiste de la vidéo, Thomson, issu d’une société américaine d’électricité créée en 1883, s’est diversifié dans la fabrication de produits blancs, mais surtout de matériels électroniques et audiovisuels pour la défense et le grand public. En 1995, l’activité militaire donne naissance à Thomson-CSF, futur groupe Thales, le grand public à Thomson Multimédia (TMM). En 1996, le Premier ministre Alain Juppé manque de céder ce dernier, alors nationalisé, pour 1 franc symbolique.

1997-2002

TMM se réoriente vers les solutions de l’image pour les professionnels. L’entreprise est privatisée en 1999.

2002-2004

TMM devient Thomson. Création d’un joint-venture avec le chinois TCL pour reprendre les activités télévision.

2004-2008

Frank Dangeard introduit le fonds Silver Lake pour redynamiser le programme d’acquisitions. Vente des activités tubes et du reste de l’électronique grand public.

Évolution des effectifs
ENTRETIEN AVEC FRANK DANGEARD, P-DG DE THOMSON
“Chez nous, la compétence prime, sans distinction d’âge, de sexe, de nationalité”

Avec 75 % de nouvelles recrues en cinq ans, comment fédérez-vous Thomson ?

Au-delà d’une stratégie claire et partagée, celle des solutions vidéo end to end, les clients restent le facteur d’intégration le plus fort pour nos collaborateurs. Nous avons mis en place depuis la fin 2007 des managers de compte clé qui coordonnent les offres entre nos trois divisions (services, systèmes et technologie) pour répondre à l’ensemble des besoins de nos clients. L’autre grand facteur d’intégration est notre R & D. Nous nous appuyons ensuite sur des réseaux de management, le comité exécutif, le top 100 et, enfin, sur des réseaux transverses comme les hauts potentiels ou les femmes managers.

Vous avez développé vos centres de recherche de Pékin et de Bangalore. Allez-vous réduire la base de chercheurs en France ?

L’implantation mondiale de notre R & D n’a rien à voir avec les coûts salariaux. La proximité avec nos clients et la présence d’un « écosystème de partenaires » comme de pôles d’éducation capables de nous fournir des collaborateurs compétents sont en revanche primordiaux. Dans nos métiers du numérique, il faut interagir avec les clients en permanence. Des Italiens d’un grand opérateur haut débit se déplacent à Paris, des Indiens d’un groupe de médias ou de télécoms non. Pékin sert nos marchés asiatiques et est exclusivement un centre de développement. Rennes reste notre premier centre de R & D mondial. Nous avons maintenu les effectifs en France tout en améliorant l’organisation. J’ai aussi créé un laboratoire supplémentaire, à Paris, pour la recherche fondamentale : une spécificité de notre groupe parmi les entreprises de technologie.

Êtes-vous confronté à une guerre des talents ?

Nous n’avons pas de problèmes car Thomson est perçu comme un pôle d’excellence dans ses métiers. Mais je ne voudrais pas que nous devenions un « troisième cycle » pour former les collaborateurs de nos concurrents ; aussi mettons-nous l’accent sur la fidélisation. J’ai banni le concept rétrograde d’offshoring avec une tête de projet qui pense et sous-traite des tâches ingrates. Je m’attache à considérer de façon égale nos huit grands centres de compétences mondiales. Lorsque je m’y rends, je demande toujours à voir les chefs de projet. Ce mode de management est un avantage concurrentiel, comme le confirment tous les collaborateurs qui nous rejoignent, notamment par rapport aux entreprises américaines. Chez nous, la compétence prime, sans distinction d’âge, de sexe, de nationalité. Nous avons créé un programme de développement pour les hauts potentiels et, cette année, nous allons lancer une académie R & D.

Comment motiver les salariés alors que les résultats sont passés dans le rouge ?

Le Thomson d’il y a quatre ans, dans l’électronique grand public, n’avait pas d’avenir. Les pertes se comptaient en centaines de millions (636 millions en 2004) et la dette explosait (de 679 millions à 1,32 milliard entre 2004 et 2005). Les marchés sanctionnent aujourd’hui de manière exagérée un secteur et un groupe qui a élargi sa base de clients et est devenu le leader mondial de ses métiers. Après un chiffre légèrement positif en 2006, le résultat a été légèrement négatif en 2007, signe, dans les deux cas, de la fin de l’héritage de l’électronique grand public. Et le groupe dégage maintenant du cash. Le quotidien de nos collaborateurs, ce ne sont pas les marchés financiers, mais les contrats qu’ils viennent de gagner, la qualité de nos solutions vidéo et la fidélité de nos clients. En interne, il n’y a rien de plus déprimant que de voir ses parts de marché décliner. Ce n’est pas notre cas.

Laurence Parisot s’est insurgée contre les indemnités de départ de certains dirigeants. Vous-même avez été interpellé sur votre indemnité de vingt et un mois de salaire. Quelle est votre position ?

À titre personnel, j’ai beaucoup d’admiration pour Laurence Parisot et soutiens ses initiatives. En ce qui concerne les indemnités de départ des dirigeants, la règle est la bonne mesure et la transparence. En quittant la direction générale, je ne serai plus salarié du groupe. Le président ne touche que des jetons de présence. Quant à la performance, il est nécessaire qu’elle soit multicritère. Le dernier cours de Bourse n’est pas le seul critère. Il faut considérer l’ensemble du travail accompli et la manière dont un dirigeant a assuré, dans la durée, la pérennité et le développement de l’entreprise.

Propos recueillis par Anne-Sophie Bellaiche et Sandrine Foulon

FRANK DANGEARD

51 ans.

Diplômé de HEC, de l’IEP de Paris et de la faculté de droit de Harvard.

1986

Il débute comme avocat d’affaires à New York.

1995

Président du directoire de la banque d’affaires SBC Warburg.

1997

Rejoint Thomson Multimédia.

2002

DG adjoint de France Télécom.

2004

P-DG de Thomson.

Auteur

  • Anne-Sophie Bellaiche