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Vie des entreprises

À propos des TIC

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.04.2008 | Jean-Emmanuel Ray

Une jurisprudence concernant l’usage du Web par les salariés ou les syndicats, ainsi que son contrôle par l’employeur, continue à s’étoffer. Elle tend à donner un peu plus de latitude qu’auparavant à l’entreprise pour surveiller les surfs de ses collaborateurs sur la Toile et à recadrer les syndicalistes qui franchissent la ligne jaune sur des sites intranet ou Internet.

Entre Facebook, Second Life, Meetic et autres, les entreprises se plaignant il y a dix ans des « divagations courriels » de leurs salariés regrettent le bon vieux temps : véritable phénomène de société, le « Web Travail 2.0 » a envahi les bureaux.

Mais nombre d’employeurs pensent aussi développer en interne ce social networking si bien adapté aux nouvelles générations, au risque d’accroître encore leur zapping. Du travail en perspective pour les DSI car, comme le constatait le président de la Cnil à l’occasion du 30e anniversaire de celle-ci en février 2008, « Google et Facebook sont potentiellement aussi dangereux à l’égard de la protection des données que les grands fichiers des ministères de l’Intérieur français ou allemand ».

CYBERSURVEILLANCE

Dans de nombreux arrêts où les faits fautifs semblent pourtant avérés, l’employeur perd son procès faute d’opposabilité de la preuve. Celle-ci doit en effet répondre à une triple exigence : information préalable du collaborateur, information-consultation du CE et déclaration à la Cnil, généralement simplifiée et en ligne.

• Information préalable du salarié (C. trav., art. L. 121-8). Sur ce sujet, la chambre sociale semble évoluer. Ainsi l’arrêt Canon du 29 janvier 2008 mettant en scène « un salarié ayant passé soixante-quatre heures avec deux messageries de rencontres entre adultes pour un coût de 829 euros ». Alors que ce commercial se plaignait, là encore, de l’absence d’information préalable, la Cour de cassation lui répond que « la simple vérification des relevés de la durée, du coût et des numéros des appels téléphoniques passés à partir de chaque poste édités au moyen de l’autocommutateur téléphonique de l’entreprise ne constitue pas un procédé de surveillance illicite pour n’avoir pas été préalablement porté à la connaissance du salarié ». Cet arrêt élargit donc celui du 15 mai 2001, où il s’agissait des relevés fournis par l’opérateur téléphonique. Mais un autocommutateur collectant des données personnelles, une déclaration à la Cnil reste indispensable.

• Fin de la présomption irréfragable d’incompétence informatique. De façon très classique, notre amateur de brèves rencontres invoquait aussi le défaut d’interdiction expresse d’un tel comportement dans le règlement intérieur. Or ce dernier n’est pas le Code pénal soumis au principe de légalité de délits et des peines. Il n’a donc pas à fixer la liste des fautes, mais celle des seules sanctions : « Le salarié sachant que cet usage était interdit dans l’entreprise, ces faits constituaient une cause réelle et sérieuse de licenciement. » Le 16 mai 2007 déjà, la chambre sociale avait indiqué que « le stockage et la structuration, le nombre conséquent des fichiers pornographiques et le temps dès lors consacré à eux par M. X. attestaient d’une méconnaissance par lui de son obligation d’exécuter les fonctions lui incombant, peu important une absence sur un tel point de mise en garde, de charte informatique ou de règlement intérieur » (faute grave). Dans l’arrêt du 23 mai 2007, enfin, elle avait accepté comme preuve d’un harcèlement sexuel des SMS très privés, « leur auteur ne pouvant ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur du destinataire ».

• Cnil et collecte de données personnelles. « Le juge n’a pas constaté que ces données étaient destinées à faire l’objet d’un traitement automatisé » : célèbre pour avoir obligé une entreprise à devoir consulter son CHSCT à propos de simples entretiens d’évaluation, l’arrêt Groupe Mornay du 28 novembre 2007 ne doit pas faire illusion. Si la cassation est intervenue sur le caractère pas automatiquement automatisé du traitement des données personnelles recueillies au cours de ces entretiens, on voit mal managers et DRH en revenir aux carnets à spirales et autres fiches bristol. À quoi servent d’ailleurs tous les systèmes de cybersurveillance, sinon à collecter des informations directement ou indirectement personnelles ? Les grandes entreprises qui veulent éviter de gros problèmes avec la Cnil peuvent désigner un senior prudent et avisé comme correspondant (2 000 en mars 2008).

• Fond : nécessaire conciliation des intérêts en présence (C. trav., art. L. 120-2). Si tout est techniquement possible, tout n’est pas juridiquement permis : même s’il a respecté les trois conditions de forme, l’employeur ne peut effectuer n’importe quel contrôle. Comme l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Copland c/Royaume-Uni du 3 avril 2007 à propos de la surveillance du téléphone et des surfs sur Internet d’une assistante, il doit être proportionné au but recherché. Une telle proportionnalité interdit par exemple la géolocalisation permanente des itinérants : mais leur véhicule peut en revanche être localisé en cas d’appel d’un client proche.

L’article L. 120-2 du Code du travail est aussi applicable au droit syndical (Cass. soc., 26 septembre 2007).

SYNDICATS ET TIC

A fortiori après l’arrêt du 5 mars 2008, il faut ici nettement distinguer communication électronique interne et externe.

• Site intranet ou messagerie internes : l’accord, tout l’accord, rien que l’accord. Un délégué syndical du CIC avait reçu un avertissement pour avoir diffusé un courriel protestant contre l’arrestation d’un Gaulois syndicaliste paysan : l’accord collectif sur les TIC exigeait un lien entre le contenu et la situation sociale existant dans l’entreprise. Comme l’a rappelé la chambre sociale le 22 janvier 2008, s’agissant de l’accès aux systèmes d’information de l’entreprise, il n’existe, pour les syndicats, aucun « droit à » comparable à celui des panneaux d’affichage où l’employeur a une véritable obligation de résultat sous peine d’entrave au droit syndical. En application de l’ordre public social, c’est l’accord signé, par définition plus favorable car donnant accès à ces moyens nouveaux, qui régit cette mise à disposition et doit être appliqué aux conditions ainsi fixées : « Selon l’accord mettant à disposition des organisations syndicales du CIC la messagerie électronique interne pour la publication d’informations syndicales, cette faculté est subordonnée à l’existence d’un lien entre le contenu et la situation sociale existant dans l’entreprise. Faisant application de cet accord au litige, dans lequel l’intéressé se prévalait de sa fonction syndicale, la cour d’appel, qui a constaté qu’il n’y avait aucun lien entre la situation sociale de l’entreprise et le contenu du courriel litigieux, et que celui-ci était sans rapport avec l’activité syndicale du salarié, a ainsi caractérisé une faute disciplinaire. »

La chambre sociale, qui n’a jamais goûté le mélange syndical-politique d’ailleurs exclu par l’article L. 412-8, prend aussi soin de rappeler à deux reprises qu’elle applique à un délégué syndical les stipulations d’un accord sur le droit syndical. Mais la liberté d’expression d’un salarié reste la règle, même au sein de l’entreprise, et a fortiori à l’extérieur, y compris sur le Web.

• Sites syndicaux Internet externes : exit le droit du travail. Déjà, dans l’arrêt du 28 février 2007 où des représentants du personnel avaient distribué à l’extérieur des Caisses d’épargne du Hainaut des tracts syndicaux aux titres alléchants (« Vente à tout prix pour toujours plus de profits » ; « Facturation de services imposés dans des offres groupées »), la Cour avait logiquement exclu l’application du droit du travail : « L’article L. 412-8 qui se borne à organiser la diffusion des tracts par les syndicats aux travailleurs à l’intérieur de l’entreprise n’est pas applicable à une diffusion de tracts à l’extérieur. » Conséquence : « Les propos contenus dans les tracts distribués au public (donc à l’extérieur) et qualifiés d’injurieux et diffamatoires par l’employeur ne pouvaient être incriminés qu’au regard de la loi (très spécifique) sur la presse du 29 juillet 1881. » L’important arrêt du 5 mars 2008 reprend cette même logique même si, en l’espèce, il s’agit moins de « presse » que de communication électronique.

Certes, et comme le montre le remarquable blog interactif www.miroirsocial.com créé par le journaliste spécialisé Rodolphe Helderlé, l’immense majorité des responsables de site ou de blog syndical externe ont compris que mettre en ligne des informations vraiment confidentielles s’apparentait à un pré-PSE dans la guerre économique qui est la nôtre : pour les contributions des internautes, ils effectuent donc un filtrage avant publication, excluant également toute donnée commerciale, attaque personnelle ou visant un autre syndicat.

Mais en cas de dérapage ? La Fédération CGT des sociétés d’études avait ouvert en novembre 2004 un site Internet avec neuf rubriques. Jugeant que plusieurs d’entre elles portaient notoirement atteinte à la confidentialité, la société TNS Secodip l’avait assignée et obtenu du TGI de Bobigny la suppression de certaines d’entre elles. Décision censurée le 15 juin 2006 par la cour d’appel de Paris sur un attendu très inattendu : « Comme tout citoyen, un syndicat a toute latitude pour créer un site Internet pour l’exercice de son droit d’expression directe et collective. Aucune restriction n’est apportée à l’exercice de ce droit, et aucune obligation légale de discrétion ou confidentialité ne pèse sur ses membres. » « Aucune restriction n’est apportée à l’exercice d’un droit » ? Légitime cassation le 5 mars 2008, avec un arrêt reprenant la problématique, sinon la phraséologie de la CEDH : « Si un syndicat a le droit de communiquer librement des informations au public sur un site Internet, cette liberté peut être limitée dans la mesure de ce qui est nécessaire pour éviter que la divulgation d’informations confidentielles porte atteinte aux droits des tiers. En omettant de rechercher si les informations litigieuses avaient un caractère confidentiel, et si ce caractère était de nature à justifier l’interdiction de leur divulgation au regard des intérêts légitimes de l’entreprise, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

L’arrêt du 5 mars 2008 est donc équilibré… mais, rendu quarante mois après les faits, il n’est guère opérationnel : le temps d’Internet – celui de l’éclair – n’est pas celui du juge, même des référés. Citée dans le visa, la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 a donc prévu une procédure de mise en demeure directe de l’hébergeur du site afin qu’il supprime immédiatement les passages litigieux.

Tout sauf le juge : cela ne vous rappelle-t-il pas un accord national interprofessionnel récent ?

FLASH
Le courriel, cette preuve orale-écrite

Les courriels envahissent les dossiers prud’homaux. S’agissant de faits juridiques, ils peuvent effectivement être produits. Mais leur tirage sur papier ne transforme-t-il pas leur sens ? L’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris, 21echambre, le 18 octobre 2007, a fait utilement le point, non sans donner une petite leçon de « netiquette ».

« Les auteurs des courriels, en utilisant un système de communication immédiat permettant un accès direct à chacun des membres de l’entreprise, sans aucun formalisme, se sont exprimés de manière différente de celle qu’ils auraient très vraisemblablement employée s’ils avaient dû écrire un courrier en bonne et due forme et le transmettre par des voies moins directes. En mettant en place un tel système de communication interne, désormais incontournable, l’employeur doit être conscient qu’il facilite la communication directe, pour le meilleur mais aussi le moins bon, incitant par là même les utilisateurs à une certaine disparition du formalisme et des précautions qu’il induit : ces derniers ont de toute évidence une propension à assimiler davantage le courriel à du langage parlé qu’à des propos écrits. »

Question subsidiaire : combien de cadres assumeraient tous leurs courriels si ceux-ci venaient à paraître dans un journal satirique ou étaient transmis à un juge ?

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray