logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

Sur la gestion des agents municipaux, Aubry devance Juppé

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.03.2008 | Fanny Guinochet, Colette Goinère

Alors que les deux élus se soumettent à nouveau au verdict des urnes, comment gèrent-ils leurs troupes ? La maire de Lille fait mieux que celui de Bordeaux, sur les rémunérations, la mobilité et le dialogue social.

D’ici à quelques jours, Martine Aubry à Lille et Alain Juppé à Bordeaux vont remettre en jeu leur mandat de maire. L’élue PS a, face à elle, un challenger sérieux, Sébastien Huyghe, un trentenaire qui l’a battue aux législatives de 2002. Quant à Alain Juppé, il a lui aussi un adversaire de taille : Alain Rousset, le président socialiste du conseil régional d’Aquitaine. Après sa cuisante défaite en juin dernier, qui l’a obligé à céder son siège de député, le maire de Bordeaux est fragilisé. Son bilan est d’autant plus difficile à défendre qu’il a dû confier fin 2004, pour deux ans, les commandes de la ville à son adjoint, Hugues Martin. Sensibles aux griefs de leurs électeurs mais aussi des agents municipaux, qui jugent parfois leur présence insuffisante dans leur ville, Martine Aubry comme Alain Juppé promettent, cette fois, d’être maires à plein-temps. Si la première règne sur le beffroi de Lille depuis sept ans, l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac occupe le fauteuil depuis douze ans.

Sans renier le passé, ni leurs illustres prédécesseurs, Pierre Mauroy et Jacques Chaban-Delmas, l’une comme l’autre ont cherché à poser leurs marques. Et notamment dans la gestion des agents municipaux. Avec des points communs. « Martine Aubry assure une gestion directe, au sens d’une executive woman. C’est une patronne exigeante et rigoureuse », note Pierre de Saintignon, le premier adjoint, élu lillois depuis plus de vingt ans. « Au quotidien, Alain Juppé est très loin de l’image que les médias décrivent. C’est un patron qui sait décider, il est juste », assure Alain de Bouteiller, le secrétaire général de la Ville de Bordeaux.

Remous et départs. En s’installant en 2001 à l’hôtel de ville, la maire de Lille n’a pas hésité à changer les habitudes. Quitte à susciter des remous et à provoquer quelques départs. « Martine Aubry a surtout voulu professionnaliser les équipes. Cela a été perçu comme de la brutalité », confie un agent. « Le personnel, ce n’était pas son truc. Les festivités de Lille 2004 étaient bien plus importantes à ses yeux », juge, de son côté, un représentant syndical. Des critiques que sa garde rapprochée balaie d’un revers de main : « Elle s’intéresse à tous les sujets. Et le temps où les agents faisaient toute leur vie dans une même collectivité est révolu. Les gens bougent, partent, font carrière. » Durant les premières années de mandat, ils ont pourtant été nombreux à se plaindre d’un flottement dans le management. « Il a fallu un temps d’adaptation après les années Mauroy. Il n’y avait pas de cohérence entre les services », raconte un cadre. Aujourd’hui, la situation semble stabilisée. D’ailleurs, « on se bouscule pour venir travailler à Lille, assure Pierre de Saintignon. Quand un directeur part, nous recevons une cinquantaine de CV. Si l’ambiance était si mauvaise, croyez-vous qu’ils seraient si nombreux à frapper à la porte ? » Et Gildas Barruol, le DRH, de confirmer : « Au total, sur tous les postes, stages et petits boulots compris, nous traitons près de 20 000 candidatures par an. »

La ville de Lille reçoit 20 000 candidatures par an à un emploi, un stage ou un petit boulot

À Bordeaux, le management n’est pas non plus le domaine d’excellence du maire. Après plus d’une décennie, Alain Juppé apparaît comme très éloigné de la base. « La gestion du quotidien l’ennuie. Si Chaban avait fait de la mairie un laboratoire social, ce n’est pas son cas. Son dada, c’est plutôt le développement durable », déplore Philippe Labeyrie, le secrétaire général du syndicat CGT. « Les directeurs de service ne s’approprient pas les projets. Nous sommes en retard dans les techniques managériales », souligne Bernadette Bonnac, la représentante CFDT. Les employés de la ville regrettent, par exemple, de ne pas être davantage associés. En témoignent ces groupes de travail qui viennent tout juste d’être mis en place dans le service de la petite enfance et où seuls les chefs de service sont conviés. Pour aider l’encadrement à mieux gérer les équipes, la direction a fait appel au cabinet Capgemini. L’objectif était de former 200 cadres de catégories A et B. « Six mois après, le résultat est décevant. Il n’y a pas eu de changement de comportement de l’encadrement », constate Jean-Louis Saphores, délégué du personnel CFDT. Un bilan d’autant plus mitigé que cette action a coûté 352 000 euros. « Les cadres reviennent avec des objectifs de rendement. Nous ne sommes pas contre, mais il ne faut pas oublier que nous sommes un service public », s’inquiète le cégétiste Philippe Labeyrie.

Titularisations. « Lille est exemplaire en matière de sécurité de l’emploi », se félicite Pierre de Saintignon. Et de citer l’intégration presque intégrale des 400 emplois jeunes créés dans les années 2000. « Nous respectons un principe de stabilité des effectifs. Nos marges sont réduites pour recruter », nuance Gildas Barruol. L’effort est surtout consenti pour intégrer les précaires. Depuis 2002, 300 ont été titularisés ; environ 10 % d’emplois supplémentaires ont été créés. Au total, la municipalité lilloise table sur 200 embauches par an. Comme beaucoup de collectivités, elle doit surtout faire face à un vieillissement de ses troupes. Fin 2008, une cinquantaine de personnes prendront leur retraite. Un appel d’air qui va permettre l’arrivée de nouvelles recrues. « Martine Aubry laisse leur chance aux jeunes et aux femmes. La directrice des carrières ou encore la directrice générale adjointe des services sont trentenaires », se félicite Jean-Louis Frémaux, adjoint chargé du personnel, élu depuis 1983.

À Bordeaux, Alain Juppé mène une politique identique de maîtrise des embauches. En 2007, la Ville a légèrement augmenté ses effectifs par rapport aux années précédentes : 278 personnes ont été embauchées, pour 111 départs. Mais, là encore, plutôt que de recruter à l’extérieur, les RH misent sur la titularisation des employés précaires. « L’intégration des agents concerne surtout les contractuels, dits “agents de 16 heures”, qui, comme leur nom l’indique, sont à temps partiel », explique Alain de Bouteiller, le secrétaire général de Bordeaux. « Ces 109 salariés aujourd’hui contractuels devraient être prochainement titularisés. » Pour le responsable FO, Georges Dubernet, c’est loin d’être suffisant : « Nous demandons des passages à temps complet, sans quoi ces personnels n’auront pas un niveau de rémunération décent. » D’autres catégories, comme les agents du stationnement, attendent aussi d’intégrer la fonction publique territoriale.

Grilles indiciaires. Côté salaires, pas de surprise. À Lille comme à Bordeaux, les agents sont soumis aux grilles indiciaires de la fonction publique. « Un attaché qui débute gagne environ 1 500 euros net par mois, indique Jean-Louis Frémaux, l’adjoint chargé du personnel lillois. Mais, pour certains postes, il peut y avoir 100 à 200 euros d’écart selon les collectivités locales. » À la mairie de Lille, il n’y a pas de treizième mois, mais des primes, notamment au moment des vacances. À Bordeaux, Alain Juppé n’a pas modifié le système de rémunération bâti en 1992 : l’ensemble des primes avait été refondu dans le régime indemnitaire. À Lille, en revanche, un réel effort a été fait. « En six ans, nous avons doublé l’enveloppe », se félicite Martine Aubry. Désormais, les agents touchent un supplément de rémunération une fois par an, en septembre. « À la rentrée, ça met du beurre dans les épinards », se réjouit une fonctionnaire.

Pour former 200 cadres, Bordeaux a fait appel à Capgemini. Une facture de 325 000 euros

Les bas salaires d’abord. Si tous les agents en bénéficient, les bas salaires reçoivent la plus grosse part. Les catégories C ont touché 120 euros en 2006 et 220 euros en 2007. En septembre, ils empocheront 320 euros. « Cette augmentation découle surtout d’un bras de fer avec la direction », observent les syndicats. En 2005, le personnel s’est mobilisé parce que les salaires n’avaient pas été réévalués. « On a perturbé les cérémonies de vœux », raconte Dalila Mehdi, représentante de l’Unsa. Finalement, un protocole d’accord sur trois ans a été signé par toutes les organisations. « Désormais, c’est contractualisé », se réjouit Patrick de Waele, le délégué CFDT, qui souligne que le texte a aussi permis d’installer une véritable gestion des carrières, en facilitant reclassements, mobilité et formation.

À Bordeaux, la mobilité a longtemps été figée. « Les directeurs de service avaient tendance à ne pas lâcher leur personnel car ils craignaient de ne pas avoir de remplaçants. Depuis trois ans, ça change un peu », constate un représentant CFDT. À Lille, place à la mobilité. « L’idéal serait même de changer de poste tous les cinq ans », estime Jean-Marc Germain, le directeur général des services. En 2007, 190 agents ont connu une nouvelle affectation, contre 173 en 2006 et 2005. En juin 2006, une cellule d’orientation composée de huit personnes a été mise en place pour aboutir à une meilleure adéquation entre les besoins des services et les attentes des agents. En dépit des incitations, les perspectives de carrière sont encore jugées insuffisantes. « Il faut attendre des mois avant d’espérer changer de service », déplore une rédactrice territoriale. « Avant, la promotion se faisait de façon aléatoire et, surtout, il n’y avait pas suffisamment d’agents qui préparaient les concours », assure Martine Aubry.

Le protocole de 2005 a donné un coup d’accélérateur. « En deux ans, nous avons augmenté de plus de 60 % le nombre de jours de formation », note Jean-Marc Germain. Là encore, les moins qualifiés sont prioritaires. La municipalité a instauré en 2005, à leur intention, un « contrat de développement personnel ». Signé pour deux à trois ans avec l’agent, ce document organise les perspectives d’évolution en prenant en compte la pénibilité des tâches. Pour les métiers difficiles, comme surveillant de voirie ou auxiliaire de soins, des groupes de travail ont été mis en place. L’objectif : définir une cartographie des parcours. Enfin, tous les salariés sont soumis à une évaluation annuelle, rebaptisée « évolution professionnelle ».

À Bordeaux, en revanche, l’évaluation n’est pas systématique. Dans certains services, les notes n’ont pas été signées depuis plusieurs années. Mais un guide de l’entretien et de l’évaluation pour les directeurs est à l’étude. « Même s’ils essaient de rattraper le temps perdu, Bordeaux, c’est la préhistoire en termes de gestion du personnel », confie un syndicaliste. Certes, comme à Lille, les avancements ont été plus nombreux ces dernières années. En 2006, 1 040 agents en ont bénéficié, contre 861 deux ans plus tôt.

Absentéisme élevé. À Bordeaux, l’absentéisme – évalué à 7,7 % – est considéré comme le point noir. Il y a trois ans, la direction a instauré des primes de présentéisme : 300 euros par an pour la catégorie C, 400 euros pour la catégorie B et 500 pour la catégorie A. Résultat : de 8,62 % en 2002, le taux a presque reculé d’un point en cinq ans. « Aujourd’hui, l’incitation n’est plus aussi forte », regrette Alain de Bouteiller, le secrétaire général. Adjoint chargé des ressources humaines pendant treize ans, Claude Bocchio a pourtant cherché des solutions : « Nous avons confié à un cabinet extérieur le soin d’apporter une assistance psychologique par téléphone. » Cette consultation sera testée à partir d’avril pour un an. Un psychologue du travail, chargé d’intervenir auprès des cas les plus difficiles, est en cours de recrutement. Avec un taux d’absentéisme de 8 %, légèrement supérieur à la moyenne nationale, Lille n’a pas lancé d’action particulière. Elle dispose pourtant de deux psychologues à temps plein.

À la botte de la direction. Dans ses vœux aux agents municipaux, Martine Aubry n’oublie jamais de rendre hommage aux syndicats : « Vous êtes fort individuellement mais vous l’êtes encore plus quand vos intérêts sont portés collectivement », a-t-elle dit en janvier. À l’hôtel de ville, chaque centrale dispose d’un local, y compris l’Unsa qui, après avoir récolté 8 % aux dernières élections, a fini par obtenir le sien.

Syndicat historique, FO reste majoritaire, avec environ 51 % des suffrages. « FO est à la botte de la direction, quitte parfois à négocier en solo », peste un agent CGT. Même son de cloche à Bordeaux où FO est aussi majoritaire depuis soixante ans, avec plus de 60 % des suffrages : « FO est le partenaire privilégié de la direction. Quand nous proposons une réforme, ça ne passe pas. Si c’est FO qui propose, ça marche », lâchent en chœur deux syndicalistes CFDT. La critique n’émeut pas Georges Dubernet, le chef de file Force ouvrière : « Chaban avait fait de sa mairie un laboratoire social. On signait régulièrement un contrat de progrès social entre les agents et la mairie. Alain Juppé s’inscrit dans cette ligne, ni plus ni moins. » Pour beaucoup, le dialogue social est surtout ponctuel, en fonction de la nature des sujets. Alors qu’« à Lille ce n’est pas un vain mot. Le dialogue est acté », se félicite Alain Van Daele, de FO, approuvé par la CFDT. Dans la ville de l’ancienne ministre du Travail, c’est bien la moindre des choses…

Lille

Nombre de salariés : 4 000 dont 200 contractuels

Budget : 300 millions d’euros dont 154 millions pour les dépenses de personnel

Agents : 80 % de catégorie C

Bordeaux

Nombre de salariés : 4 000 ont 220 contractuels

Budget : 350 millions d’euros dont 150 millions pour les dépenses de personnel

Agents : 75 % de catégorie C

Moins de 35 heures

Arrêtons de considérer que, quand il pleut, c’est la faute des 35 heures », répète à l’envi Martine Aubry. Et quand, dans les couloirs de l’hôtel de ville, un employé l’interpelle pour bénéficier d’heures supplémentaires défiscalisées, elle répond de manière tranchée : « C’est l’état, ce n’est pas nous… »

Si, dans l’opinion, Martine Aubry reste la mère des 35 heures, ce n’est pas elle qui les a mises en place à Lille. Dès 1982, Pierre Mauroy signait un contrat de solidarité avec l’état réduisant le temps de travail. Aujourd’hui, les salariés travaillent 1 519 heures, alors que le temps de travail national est de 1 607 heures. « Mais personne ne fait la semaine de quatre jours », précise le directeur général des services.

À Bordeaux, Alain Juppé a, lui aussi, anticipé les 35 heures. « Dès 1997, souligne Claude Bocchio, l’adjoint chargé des RH. Mais, en 2001, le tribunal administratif a annulé le nouveau régime (1 512 heures) pour vice de forme, à la demande de la CGT. Fin 2006, une nouvelle délibération du conseil municipal fixait la durée du travail annuelle à 1 607 heures. Une décision qui a suscité, en avril 2007, un recours de FO et de la CGT demandant un retour aux 1 512 heures.

Auteur

  • Fanny Guinochet, Colette Goinère