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Politique sociale

Xavier Bertrand, habile VRP des réformes sociales

Politique sociale | Méthode | publié le : 01.03.2008 | Stéphane Béchaux

Régimes spéciaux, service minimum, retraites… Les dossiers chauds s’accumulent au ministère du Travail. Son patron s’en est pour l’instant sorti à son avantage. Ce qui en fait un prétendant sérieux pour Bercy, voire Matignon.

Il se rêvait en grand argentier de l’État, à Bercy. Mais, le 18 mai 2007, c’est à l’Hôtel du Châtelet qu’il pose ses valises. Pour l’ambitieux Xavier Bertrand, pas de quoi fanfaronner. Le ministère du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité fait figure de portefeuille de seconde zone, de surcroît très exposé. Car Nicolas Sarkozy a beaucoup promis en matière sociale pendant sa campagne présidentielle : mise en place d’un service minimum dans les transports publics, refonte des régimes spéciaux de retraite, instauration d’un contrat de travail unique, allongement de la durée de cotisation pour la retraite… Pour flinguer une carrière politique, pas de pire endroit que la Rue de Grenelle ! Dix mois plus tard, Xavier Bertrand est toujours debout. À bientôt 43 ans, l’ex-assureur de Saint-Quentin fait partie des valeurs sûres de l’équipe gouvernementale. Exigeant, doté d’un flair certain, il a su surfer sur les dossiers sans commettre de boulettes. Un bilan flatteur, qui pourrait le propulser vers de nouveaux sommets en cas de remaniement après les municipales. Pour peu qu’il échappe aux crocs-en-jambe de ses collègues ministres, qui s’agacent de son côté « sûr de lui » et « donneur de leçons ».

1-Privilégier les relations directes.

Xavier Bertrand, c’est d’abord un style. Rond, délaissant volontiers la cravate, ce quadra aux allures de VRP cultive son image de gentil provincial proche du peuple. Un gars normal, pas bling-bling pour deux sous, qui prend le pouls de ses électeurs chaque week-end sur le marché de Saint-Quentin. « Du temps de Borloo, on voyait défiler les VIP. Béatrice Schonberg, PPDA, Bernard Tapie… Lui, il n’est pas du tout paillettes », confirment les huissiers de l’Hôtel du Châtelet, qui voient débarquer le patron tous les matins vers 7 heures.

Au sein du cabinet, pas de formalisme. Accessible, Xavier Bertrand attend de ses conseillers qu’ils puissent lui parler librement. Il affectionne les notes courtes, dépouillées de tout jargon technocratique. « Quand on doit défendre un dossier, on ne se sent pas dans la position de l’étudiant face à un jury. Il écoute, questionne, accepte la contradiction », assure Franck Morel, conseiller à la réglementation du travail. Depuis son passage, en 2004, au secrétariat d’État à l’Assurance maladie, le ministre s’est entouré d’une équipe de fidèles. « Pour travailler avec lui, il faut établir un lien de confiance. Il aime les relations personnelles fortes », confie l’un d’eux. Dîners informels, apéros du vendredi soir, soirée karting… Xavier Bertrand se veut proche de ses équipes. Ce qui n’interdit pas les coups de gueule violents. « L’ambiance est plutôt sympathique mais les conditions de travail sont dures. Son perfectionnisme implique que les dossiers soient parfaits », explique un ancien collaborateur.

En bon manager, Xavier Bertrand sait aussi valoriser son administration. À peine nommé, il a fait le tour des services pour nouer contact. « On l’a reçu en comité de direction élargi. Il a serré la main de tout le monde et fait un tour de table pour qu’on se présente. Un vrai pro », note un chef de service de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle. En juin, c’est à la conférence des directeurs régionaux du travail qu’il a rendu visite. « Il y avait un pot pour fêter des départs à la retraite. Il est resté pour discuter et remettre des médailles », raconte un participant. Rebelote, en septembre, lors d’une rencontre interministérielle avec les directeurs départementaux du travail. « Bertrand a pris le temps de discuter. Lagarde et Hortefeux, eux, se sont immédiatement éclipsés », note une directrice. Et celle-ci de regretter que le ministre n’ait pas, depuis, tenu son engagement de les réunir tous les trimestres.

2-Jouer serré avec l’Élysée.

Très gros bosseur, Xavier Bertrand prépare ses dossiers. Et plutôt bien. D’après ses interlocuteurs, difficile de le prendre en défaut, même sur les sujets techniques. « Il est pointu sur le fond, et rond dans la forme », commente, épaté, le directeur de cabinet d’un ministère voisin. Les partenaires sociaux en ont eu un nouvel exemple début février, lors de la présentation de l’agenda 2008 en matière de protection sociale. « Il a pris la parole après Nicolas Sarkozy, sans notes, pour parler des retraites. C’était clair, argumenté. On sentait qu’il possédait son sujet, qu’il était dedans », décrit Pierre Martin, le patron de l’UPA.

Le bon élève de la Sarkozie n’a pas pour autant les coudées franches. Il doit composer avec Raymond Soubie, l’éminence grise de l’Élysée en matière sociale, qui valide les stratégies avec le chef de l’État. Les deux hommes s’apprécient. « Il connaît ses dossiers, écoute beaucoup, a du flair », dit de lui l’ancien patron d’Altedia. Mais ce dernier n’en reste pas moins le chef d’orchestre de la partition présidentielle. « Le cœur de la préparation des calendriers, c’est votre serviteur qui l’assure », rappelle ainsi Raymond la Science, qui, en décembre et février, a décroché lui-même son téléphone pour caler les agendas sociaux avec les leaders syndicaux et patronaux. Même constat sur les régimes spéciaux. En première ligne, Xavier Bertrand et son cabinet ont mouillé la chemise pour dénouer la crise, gagner la bataille de l’opinion et faire aboutir les négociations d’entreprise. Rue de Grenelle, le défilé des délégations a ainsi duré plusieurs semaines. Mais c’est à l’Élysée que se trouvait la « war room » qui, chaque jour, établissait les plans de bataille.

De quel poids pèse le ministre du Travail sur les questions sociales ? La question divise les syndicats. À la CGT, on fait peu de cas de la Rue de Grenelle. « Xavier Bertrand s’occupe très bien de l’habillage. Mais il ne décide de rien. Dans ce gouvernement, tous les arbitrages se font à l’Élysée », assène l’un des proches collaborateurs de Bernard Thibault. Les autres centrales se montrent plus nuancées. « C’est vrai qu’on ne situe pas toujours bien les bornes. Mais il n’y a pas de divergences de fond entre Raymond Soubie et Xavier Bertrand. Ils travaillent ensemble, en étroite collaboration », analyse Jacques Voisin, président de la CFTC. « Sur les régimes spéciaux, il y a eu une centralisation du pouvoir à l’Élysée. Mais Soubie et Bertrand ont marché main dans la main », abonde Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO. Tous s’accordent, en revanche, pour constater la faible influence de Matignon.

3-Respecter les partenaires sociaux.

Nouvelle donne Rue de Grenelle. Depuis la loi Larcher sur le dialogue social, le ministre du Travail n’est plus en première ligne pour mener les réformes sociales. Un changement de règles du jeu dont Xavier Bertrand semble s’accommoder. « Normal, lui et moi sommes sur la même longueur d’onde. On n’est pas des ultralibéraux. On croit sincèrement à la nécessité du dialogue social pour mener à bien les réformes », explique Gérard Larcher, son prédécesseur. À l’automne, le ministre du Travail n’a pas cherché à s’immiscer dans la négociation sur la modernisation du marché du travail. « Il nous a foutu la paix », assure Jean-Claude Mailly. « Il était très au courant de ce qui s’y passait. Mais il nous a laissés faire », confirme Jean-François Veysset, de la CGPME. Dans la dernière ligne droite, Xavier Bertrand s’est quand même permis de faire savoir au patronat qu’il n’était pas emballé de faire valider les ruptures amiables par les directeurs départementaux du travail. Peine perdue.

Si François Chérèque et Bernard Thibault refusent le tutoiement, d’autres s’y sont laissé prendre

Avec les partenaires sociaux, pas de chichis. Le ministre joue la carte de la convivialité. « La veille de sa nomination, j’ai reçu un coup de fil. C’était Bertrand, qui voulait me donner son numéro de portable », illustre Bernard Van Craeynest, président de la CFE-CGC. Adepte des contacts directs, le ministre reçoit très régulièrement les leaders syndicaux et patronaux dans ses murs. Des entretiens informels, sans témoin, qui, pour peu que l’heure s’y prête, se terminent un verre à la main. Histoire de créer de la complicité. Si François Chérèque (CFDT) et Bernard Thibault refusent le tutoiement, d’autres s’y sont laissé prendre. « On se tutoie en privé. Ce qui n’empêche pas d’aborder les sujets qui fâchent », admet le patron d’une confédération.

Semaine après semaine, le bonhomme a su gagner leur estime. « Il connaît parfaitement ses dossiers. C’est un bosseur qui sait s’entourer », admet Bernard Devy, le monsieur Retraite de la CGT-FO. « Il est accessible et à l’écoute. Mais il ne se laisse pas beaucoup convaincre », nuance Jean-Christophe Le Duigou, son homologue cégétiste. Jaloux de leurs prérogatives, les négociateurs se méfient de leur ambitieux ministre de tutelle. Fin décembre, ils ont peu goûté ses avertissements, quand il les pressait de conclure la négo sur le marché du travail. De même les a-t-il agacés en tentant de faire venir Rue de Grenelle les leaders pour une séance de signature médiatique. « Il n’était pas question de lui donner la vedette sur un travail qu’il n’avait pas fait », assène François Chérèque, qui a fait bloc avec Laurence Parisot et Jean-Claude Mailly pour refuser l’invitation.

Pour le ministre du Travail, les prochaines semaines s’annoncent moins tranquilles. Enlisées depuis 2005, les négociations sur la pénibilité du travail pourraient lui revenir comme un boomerang. « Les pressions sur le patronat sont très fortes. À quelques semaines de l’ouverture de nouvelles discussions sur les retraites, Xavier Bertrand n’a aucune envie de récupérer le bébé », commente un dirigeant du Medef. Idem sur la réforme de la représentativité syndicale. Craignant un échec des négos, le ministre a déjà fait mouliner son cabinet sur les différents scénarios possibles. Deux dossiers épineux susceptibles de ternir son bilan.

4-Défendre son pré carré.

Face à Borloo, Bertrand n’a rien pu faire. Quittant, en mai, la Rue de Grenelle pour un éphémère passage à Bercy, le premier a emmené dans ses bagages la DGEFP. À la Direction générale du travail, on fait la gueule. « Aux Finances, on ne voit la politique de l’emploi qu’au travers des mesures fiscales et des exonérations de charges », fustige un directeur du travail. Aujourd’hui, la séparation entre travail et emploi ne trouve plus aucun défenseur. Trop compliqué à gérer, comme l’a encore prouvé l’élaboration de la dernière loi sur le pouvoir d’achat. « Les mesures qui nécessitent des modifications du droit du travail, c’est chez nous. Celles qui impliquent des exonérations fiscales, c’est chez eux. On y arrive, même si la double commande rend naturellement plus difficile le travail collectif », explique Jean Castex, le dircab.

Entre Bercy et Grenelle, les relations sont mauvaises. « C’est très tendu. Les deux ministres se livrent un combat perpétuel pour garder la main sur les politiques du marché du travail. Xavier Bertrand reproche notamment à Christine Lagarde de ne pas valoriser les questions d’emploi », confie un fin connaisseur de la machine gouvernementale. Hors micros, le ministre du Travail a parfois du mal à cacher son dépit. « Ah ça ! c’est pas chez moi ! » lance-t-il à ses interlocuteurs qui le sollicite sur un sujet hors de son champ. Début février, la guéguerre a même viré à l’aigre quand une rumeur donnait Christine Lagarde démissionnaire. Une tentative de déstabilisation immédiatement attribuée à la Rue de Grenelle.

Au sein des services déconcentrés, la séparation entre travail et emploi est d’autant plus mal vécue que les directions départementales du travail s’inquiètent de leur avenir. Dans le cadre de la revue générale des politiques publiques, il est question de les supprimer. Les préfectures reprendraient alors l’essentiel de leurs attributions, hormis l’animation des services d’inspection, rattachée aux directions régionales. « On craint que le ministère du Travail ne pèse pas lourd face à celui de l’Intérieur », confie Alain Martinon, président de l’association des directeurs du travail. Xavier Bertrand s’en soucie-t-il ? Les directeurs du travail en doutent. « Il suit ça de loin. Il s’intéresse surtout à son plan de carrière, qui se joue sur les grandes négos nationales », analyse l’un d’eux. Réponse, peut-être, après les municipales…

Repères

Marié et père de trois enfants, Xavier Bertrand, bientôt 43 ans, n’a pas le profil type du politicien à la française. Militant au RPR dès l’âge de 16 ans, ce titulaire d’un DESS en administration locale se fait les dents en politique comme assistant parlementaire du sénateur maire de Saint-Quentin (Aisne). Conseiller municipal à 24 ans, il enchaîne ensuite les mandats locaux jusqu’à intégrer l’Assemblée nationale, en 2002. Deux ans plus tard, il lâche son cabinet d’assurances pour se lancer à plein-temps dans la politique.

2003

Rapporteur de la loi Fillon sur les retraites. Il soutient alors l’amendement invitant les partenaires sociaux à négocier sur la pénibilité.

2004

Secrétaire d’État à l’Assurance maladie. Son plan de redressement des comptes se solde par un échec.

2005

Ministre de la Santé et des Solidarités. Il gère la crise du chikungunya et initie l’interdiction de fumer dans les lieux publics.

2006

Annonce, fin novembre, son soutien à Nicolas Sarkozy pour la présidentielle. Le candidat en fait, avec Rachida Dati, l’un de ses deux porte-parole.

2007

Nommé ministre du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité.

ENTRETIEN AVEC XAVIER BERTRAND, MINISTRE DU TRAVAIL, DES RELATIONS SOCIALES ET DE LA SOLIDARITÉ
“Ce n’est pas à moi de dessiner le paysage syndical mais aux salariés”

Les syndicats se plaignent de la frénésie de réformes. Pourquoi un tel rythme ?

Il ne s’agit pas de réformer n’importe comment pour faire n’importe quoi. On veut moderniser et renforcer le modèle social. On ne peut plus attendre pour engager les réformes. Les Français veulent que ça change dans leur quotidien. Que ce soit pour faire garder leurs enfants, retrouver du travail après 50 ans ou prendre en charge leurs parents dépendants. On ne peut pas se contenter d’une réforme par an. Sinon, à la fin de la législature, on n’en aura fait que cinq !

Ce rythme effréné ne vise-t-il pas à déstabiliser les opposants potentiels à la réforme ?

Non, il y a une rupture sur la méthode, mais certainement pas de cassure sur le fond. L’idéologie ne nous intéresse pas. C’est le pragmatisme qui compte. Si besoin, on accepte de détendre le calendrier pour laisser aux partenaires sociaux le temps de conclure. Et on ne part pas d’une feuille blanche. Sur la conditionnalité des allégements de charges ou la représentativité, les diagnostics ont déjà été posés.

Certains observateurs jugent l’accord sur le marché du travail bien timoré…

Je suis persuadé que les réactions auraient été très différentes si on était arrivé au même résultat par voie gouvernementale. Que n’aurait-on dit sur l’instauration d’un mode de rupture à l’amiable ! Ce texte va redonner confiance et contribuer à dynamiser l’emploi. Je me suis engagé, et les parlementaires aussi, à le respecter scrupuleusement. C’est d’autant plus important qu’il en appelle d’autres, sur la formation professionnelle ou l’assurance chômage.

Les partenaires sociaux sont-ils assez forts pour faire vivre cette démocratie sociale ?

Oui, même si chacun a envie qu’ils se renforcent encore. Ce n’est pas au ministre du Travail de dessiner le paysage syndical, mais aux salariés. La démocratie sociale doit s’inscrire davantage dans le vote et la mesure de l’audience, notamment dans les entreprises. La négociation sur la représentativité n’est pas la plus simple. Mais j’ai le sentiment qu’on sera fin mars à un point d’arrivée qu’on ne soupçonnait pas lors de l’ouverture des discussions.

La chute de popularité de Nicolas Sarkozy va-t-elle compliquer la conduite des réformes ?

L’objectif du président de la République n’est pas de maintenir son taux de popularité à 65 %, mais de tenir ses engagements. On a dit qu’on transformerait la maison France en cinq ans, pas en neuf mois. C’est normal qu’on ne voie pas encore le résultat de tous les travaux. Mais on ira au bout des réformes. Les Français sont en attente de textes simples, courts, avec des résultats rapides.

Les DRH, aussi, demandent de la simplicité. La loi Tepa n’était pas un modèle du genre…

Sur le terrain, les patrons m’ont tous dit qu’il aurait fallu faire plus simple. Mais ce n’est pas le texte Tepa qui est compliqué, c’est le droit du travail sur lequel il vient s’appliquer. À la suite de ces remarques, on a adapté la méthode pour la loi Tepa. On a fait paraître très vite une circulaire uniquement sous forme de questions-réponses. Et on l’a rédigée avec ceux qui allaient l’appliquer, des experts-comptables et des DRH. En plus du service après-vote, je crois au service avant-vote, pour voir comment un texte va s’appliquer dans les entreprises.

Vos services s’inquiètent de la possible disparition des directions départementales du travail, dans le cadre de la revue générale des politiques publiques…

Je ne suis pas favorable au transfert des services déconcentrés du ministère du Travail vers les préfectures. Et je rappelle que les règlements internationaux ne nous permettent pas de casser le lien entre l’Inspection du travail et une autorité centrale unique. Ce qui est vrai, c’est que la région s’impose de plus en plus comme le niveau territorial le plus pertinent. à n’empêche pas, au contraire, de maintenir un lien de proximité dans les territoires.

Propos recueillis par Stéphane Béchaux, Denis Boissard et Sandrine Foulon

XAVIER BERTRAND

42 ans.

1987-1992

Assistant parlementaire de Jacques Braconnier, sénateur RPR de l’Aisne.

1992-2004

Agent général d’assurances.

2002

Député UMP de l’Aisne.

2004

Entre au gouvernement Raffarin comme secrétaire d’État à l’Assurance maladie. Promu ministre de la Santé et des Solidarités, en 2005, dans l’équipe Villepin.

Auteur

  • Stéphane Béchaux