Afin de clore son recueil d’essais, pour la plupart extraits de la revue le Débat, Jean-Pierre Le Goff a choisi un texte de presque cinq ans dans lequel il s’interroge sur l’engouement pour le concept de harcèlement moral. Le sociologue y souligne les risques d’une contamination de la société et du pouvoir politique par les nouveaux modèles de performance, fortement individualisés, en vogue dans l’entreprise moderne. Face à des individus qui se méfient de tout, à commencer de leurs dirigeants, les pouvoirs en place « n’ont de cesse d’en appeler à l’implication de chacun, dans un langage de la communication qui masque mal leurs incohérences et absence de vision prospective ». Une vision avant l’heure de l’état du débat public aujourd’hui en France. Cette capacité à articuler rapports de travail et évolution de la société, secteur privé et sphère publique, éléments économiques et culturels fait de Jean-Pierre Le Goff un des tout premiers « décrypteurs » sociaux du moment.

Du succès de la notion de harcèlement moral dans l’opinion au pathos envahissant de la dernière campagne présidentielle, il voit à l’œuvre la même psychologisation des rapports sociaux, faible substitut à la désagrégation du creuset culturel et politique dans lequel s’inscrivaient contradictions et conflits. L’impuissance des gouvernements qui se sont succédé face au chômage de masse lui para"t un des principaux facteurs du morcellement social qu’il déplore. Mais il multiplie aussi les analyses percutantes sur la déculturation des élites, la dégradation du rapport au syndicalisme, la crise de l’école ou le mal-être des nouvelles générations. Une approche subjective de la société française qui ouvre de nombreuses pistes de réflexion.