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Enquête

Les recettes françaises pour travailler plus

Enquête | publié le : 01.03.2008 | Anne Fairise

Avec les heures sup défiscalisées et le rachat de jours de RTT, le gouvernement poursuit le détricotage des 35 heures. Ces mesures commencent à trouver leur public. Avec des effets d’aubaine en masse.

Curieux flash-back. En décembre, les vendeurs de Cash Anjou, grossiste de plantes en pots situé près d’Angers, ont regoûté aux 38 heures hebdomadaires pendant deux semaines, retrouvant presque le rythme pratiqué avant le passage du groupe Sicamus aux 35 heures. Son P-DG, Henri Mercier, n’a pas hésité à appliquer la loi Tepa, illustration du célèbre « travailler plus pour gagner plus », qui autorise, depuis octobre, une défiscalisation des heures supplémentaires. Fini le casse-tête des floraisons inattendues sous les serres ou des coups de feu dans les boutiques. « Cette mesure nous permet d’absorber les pics d’activité. Je préfère proposer des heures supplémentaires à mon personnel qualifié que de recourir à des intérimaires », note le leader européen de la production d’hortensias. Il n’y voit que des avantages : une souplesse d’organisation, un coût inférieur à l’intérim et, surtout, un « service rendu » à ses 140 ouvriers, techniciens horticoles et commerciaux. Gain sur les fiches de paie de décembre : 30 à 40 euros net. « C’est toujours bon à prendre, même si cela ne change pas notre train de vie », reconnaît Marie-Hélène, chef de secteur, qui table sur d’autres heures sup au printemps…

Nouveau coup de boutoir contre les 35 heures, cette défiscalisation fait école. Bien plus, en tout cas, que tous les dispositifs adoptés par la droite depuis l’élection présidentielle de 2002 pour assouplir les lois Aubry. Augmentation du contingent annuel d’heures sup, monétisation autorisée du capital d’heures non travaillées accumulées dans un compte épargne temps : aucune des mesures n’avait vraiment rencontré son public. Malgré sa grande complexité, qui a exigé la rédaction de quatre circulaires, la loi Tepa commence, elle, à faire mentir ses détracteurs. « sa marche ! » se félicite la ministre de l’Économie Christine Lagarde à chaque relevé mensuel des déclarations de cotisations. L’étude de l’Acoss a beau n’être réalisée qu’auprès de 308 000 sociétés sur 1,4 million, elle pointe une hausse continue du nombre d’utilisatrices : 38 % dès octobre, 49 % en novembre, 55 % en décembre. À cela, une bonne raison : à même volume d’heures supplémentaires, la mesure est bénéfique pour les salariés, qui voient leur salaire augmenter, et pour les employeurs, qui bénéficient d’exonérations.

Pour récompenser leurs salariés au moindre coût, au lieu de verser une prime, des employeurs déclarent des heures supplémentaires fictives, majorées et exonérées

En toute logique, les secteurs déjà gros consommateurs d’heures sup, à l’instar du BTP, de la restauration, du transport, se sont engouffrés dans la brèche. Comme les entreprises aux carnets de commandes gonflés. Et, contrairement aux idées reçues, celles qui avaient déjà opté pour la flexibilité, grâce à l’annualisation ou à la modulation, ne mégotent pas non plus. À Sochaux, dans le Doubs, le constructeur automobile PSA a, depuis janvier, réglé sur 40 heures hebdomadaires l’horloge des 900 ouvriers et techniciens fabriquant la 307. Une décision qui, explique la direction du site, n’est pas la conséquence de la loi. Mais « celle-ci permet de gonfler la feuille de paie de 240 à 270 euros net par mois par opérateur ». Pas négligeable pour des salaires entre 1 200 et 1 600 euros brut ! « PSA a trouvé le dispositif le plus acceptable socialement. En vertu de l’accord d’annualisation, le groupe aurait pu récupérer ces heures sup lors des périodes basses d’activité. Mais c’était le conflit assuré », note Bruno Lemerle, délégué syndical central CGT.

Les effets d’aubaine sont inévitables : certains employeurs ont trouvé un moyen de récompenser leurs salariés à moindre coût. Leur truc ? Au lieu de verser une prime, ils déclarent des heures sup fictives, majorées et exonérées. Mais, en définitive, pour que Christine Lagarde puisse crier victoire et que l’essai se transforme en véritable succès, il faudra surtout que la loi Tepa attire dans ses filets de nouvelles entreprises. Soit toutes celles qui ne pratiquaient – ou ne déclaraient – pas d’heures sup. Un défi, à l’heure où la croissance pique du nez.

Autre coup de boutoir sarkozyste contre les 35 heures, le rachat des jours de RTT, adopté le 31 janvier, compte également ses chauds partisans. Les SSII et les cabinets de consultants ont vite calculé la différence entre le coût de rachat des jours de RTT et ce qu’ils gagneraient à les vendre auprès des clients. Facile, en effet, d’évaluer la rentabilité d’une journée d’auditeurs ou d’ingénieurs informatiques facturés à l’heure. Mathieu Cortadellas, patron du cabinet Beex spécialisé dans le conseil en organisation, a fait ses comptes. « En rachetant 10 jours de RTT, même majorés de 10 %, on peut augmenter notre marge de 2 000 euros par salarié », note ce jeune P-DG qui, le lendemain de l’annonce télévisée de Nicolas Sarkozy en novembre, a réuni ses 20 consultants et obtenu leur accord. Gain estimé : 1 900 euros brut pour 10 jours de RTT cédés, soit 4/5 de salaire. Capgemini, première des SSII hexagonales avec 20 000 salariés, dont 80 % au forfait jours, a anticipé aussi, dès septembre, mais s’est heurté au refus des cinq syndicats du groupe. « Cette loi nous offre une possibilité de dégager, à effectif constant, des capacités de production supplémentaires, explique Jean-Michel Estrade, son DRH. Cela suppose, évidemment, que nous arrivions à valoriser et à vendre ces journées auprès de nos clients. Ce qui implique des investissements. » Lui aussi a sorti la calculette : si un quart des salariés monétisaient 50 % de leurs 9 jours de RTT, la SSII bénéficierait de 22 500 jours de production supplémentaires, soit « l’équivalent d’une centaine de postes à temps plein ». Et il n’a pas dit son dernier mot, prêt en dernier recours à signer des accords de gré à gré avec les salariés, comme l’autorise la loi. « Ces accords permettraient d’aller plus vite. Mais je souhaite plutôt mettre en place un accord collectif, afin d’éviter les marchandages entre managers et collaborateurs. »

Cette seconde loi risque d’inciter les DRH à reconsidérer la question des jours de RTT non pris. Beaucoup de cadres ne parviennent pas, en effet, à prendre tous les jours auxquels ils ont droit. Hier, ils perdaient des droits à congés non utilisés ; demain, ils ne voudront peut-être pas renoncer à une contrepartie financière, poussant les DRH à monétiser les reliquats de jours non pris… Chez Accenture, où les 3 000 cadres au forfait (sur 218 jours) sont déjà au taquet du contingent de 130 heures supplémentaires, quelque 9 000 jours de RTT n’ont pas été consommés en 2007. « Jusqu’à présent, la direction ne s’est pas justifiée sur ces jours travaillés en plus, mais ni récupérés ni payés », note Carole Coqué, déléguée syndicale CFDT.

Reste que, avant même la publication de la circulaire d’application sur le rachat des RTT, la direction avait annoncé l’ouverture de négociations sur le temps de travail, hésitant entre cette option et la création d’un compte épargne temps, vieille revendication syndicale. Chez PSA aussi, la monétisation des RTT est inscrite au calendrier des négociations, à mener avant fin mars. Les compteurs explosent : les 13 000 salariés en horaires de jour sur le site de Sochaux avaient cumulé, fin octobre, 231 722 jours. Près de 18 jours par salarié. Autant de droits à congés qui pèsent sur les comptes. Et peuvent, par ricochet, contribuer à un certain succès de la monétisation des RTT. Car, même si une majorité de Français sont opposés à la monétisation, à en croire les sondages, certaines catégories sont prêtes à foncer. Les cadres en premier. Selon un sondage CSA de fin 2007, 64 % étaient favorables à la mesure Sarkozy.

JAE, 45 ANS, OUVRIÈRE SPÉCIALISÉE CHEZ FORD
36,5 heures par semaine 3 semaines de congé

Pour Jae, 45 ans, le moteur du pick-up Ford F-150 n’a pas de secret : « Donnez-moi une caisse remplie de pièces, je vous construis ça en un rien de temps », explique cette ouvrière spécialisée de l’usine de River Rouge, à Dearborn (Michigan), la ville natale de Henry Ford. « Spécialiste produits », elle s’assure que ses collègues, assemblant le moteur du pick-up le plus vendu aux États-Unis, ont les bonnes pièces au bon moment. « C’est stressant : nous construisons un camion à la minute. »

Après 13 ans à la chaîne de nuit, elle travaille maintenant de 6 heures à 14 h 30, 5 jours par semaine. Son emploi du temps est minuté : à 8 heures, pause de 24 minutes pour le petit déjeuner, repos entre 10 heures et 10 h 12, déjeuner entre 11 h 20 et 11 h 50 et une dernière pause entre 13 heures et 13 h 15. Pour ses 36 heures trente de travail effectif par semaine, Jae gagne 63 600 euros par an, sans compter les heures supplémentaires.

Comme en janvier, où elle a dû assurer… 11 heures et demie par jour de présence dans l’usine pendant une semaine pour mettre au point le modèle 2009 du F-150. « Nos heures, au-delà de 40 par semaine, sont payées 50 % de plus », précise Jae. Grâce aux heures sup, elle a gagné en 2007 l’équivalent de 2 mois de salaire. Cette mère célibataire a trouvé son organisation, dédiant tous ses après-midi à Dominique, sa fille adoptive de 12 ans : « Le mercredi, je l’emmène aux scouts ; le vendredi, à la gymnastique. »

Elle bénéficie de 3 semaines de vacances et de 40 heures de « jours personnels » en cas de maladie. Son assurance santé comme sa retraite sont aussi prises en charge. « Je ne regrette pas d’avoir répondu à une petite annonce de recrutement publiée par Ford dans les journaux. C’est une bonne place », note Jae, qui se rêvait vendeuse. Cela ne l’empêche pas de compter les années : « Ma retraite ? Dans 15 ans très exactement.

À 60 ans, j’arrête ! »

Sylvie Deroche, à New York

CHRISTINE, 52 ANS, OUVRIÈRE CHEZ PSA SOCHAUX, À MONTBÉLIARD
35 heures par semaine 28 jours de congé

Impossible de refuser. « Il faut une bonne raison pour ne pas faire cette heure supplémentaire par jour : des problèmes de garde d’enfant, par exemple. L’âge n’est pas un motif valable de refus », note Christine, 52 ans, ouvrière à l’atelier de montage de l’usine PSA de Sochaux (Doubs). Depuis janvier, elle travaille 40 heures hebdomadaires au lieu de 35. Un rythme jamais connu depuis qu’elle a rejoint, voici 4 ans, la chaîne fabriquant la 307 pour mettre sous tension les systèmes électroniques des automobiles défilant sous ses yeux. À raison d’une voiture… toutes les minutes et 10 secondes.

Un poste « moins difficile » que le montage des Durit auquel elle était affectée. Cela lui a valu une inflammation des tendons du coude, reconnue en maladie professionnelle. Reste que, depuis septembre, la cadence a augmenté, avec un samedi travaillé sur deux. Cette heure sup journalière, ajoutée en fin de poste, ne bouleverse pas le déroulé chronométré de ses journées, « ses horaires de gare » comme elle dit. Une semaine sur deux, Christine débute à 5 h 21, avec une pause toutes les 2 heures, jusqu’à 14 h 12 désormais.

L’allongement de la durée du travail lui vaut une nouvelle pause de 3 minutes, à 13 h 10. « La direction en a finalement accordé 8, le temps que les ouvriers volontaires d’autres lignes nous rejoignent. » Mais elle fulmine : « Auparavant, la chaîne s’arrêtait 2 minutes avant la fin du poste pour qu’on range les outils. Maintenant, on le fait hors temps de travail ! » Habitant à 5 minutes du site, avec sa fille de 26 ans, elle n’a pas eu besoin de réorganiser ses journées. Mais, « comme les anciens », elle a choisi de récupérer sous forme de congés plutôt que d’être payée.

Ils s’ajouteront aux 5 semaines de congés payés, 3 jours de RTT et 6 jours accordés pour son ancienneté de 32 ans. « Le travail à la chaîne, c’est déjà fatigant en soi. J’ai besoin de repos », note la quinquagénaire, rémunérée 20 800 euros brut par an, treizième mois compris. D’autant qu’elle travaillera jusqu’à 60 ans.

« Les préretraites, c’est fini. »

Anne Fairise

DIANA, 55 ANS, CAISSIÈRE CHEZ SHOPRITE
48 heures par semaine 10 jours de congé

J’ai commencé à 2,35 dollars l’heure il y a 31 ans. Aujourd’hui, je suis à 15 dollars, mais ici, on embauche à partir de 7. » Diana est fatiguée. Fatiguée d’être en poste 8 à 9 heures par jour, « quand ce n’est pas 14, s’il n’y a personne pour nous remplacer, cela arrive », à près de 55 ans. Même si ses heures supplémentaires sont rémunérées 50 % de plus.

La cadence est dure, puisque ShopRite, ce supermarché de taille moyenne de Millburn, dans le New Jersey, ouvert de 7 h 30 à 21 heures tous les jours, impose un minimum de 48 heures par semaine à ses employés à temps plein. « Je travaille 6 jours sur 7, j’ai un seul jour de congé, le lundi. » Et impossible de savoir son planning à l’avance, le supermarché notifie au personnel ses horaires le vendredi pour la semaine suivante, dimanche étant considéré comme le premier jour de la semaine.

« Les pauses ? C’est le manager de service qui décide, en fonction de la clientèle. En principe, on a 30 minutes pour déjeuner à midi, et puis une autre pause de 15 minutes. Mais ce sont des heures où nous ne sommes pas payés, alors je ne traîne pas. » Diana a 10 jours de vacances par an et 3 jours en cas de maladie. Comme ses collègues, son assurance santé est prise en charge, mais à 60 % seulement ; à elle de payer les 40 % restants.

Son entreprise, qui compte environ 200 magasins dans cinq États de la côte est des États-Unis, l’aide à cotiser à son plan de retraite complémentaire.

Avec un salaire annuel d’à peine 40 000 dollars (27 500 euros), en comptant ses heures supplémentaires de-ci, de-là, Diana ne se voit pas partir à la retraite de sitôt. Elle continuera à sa caisse à scanner les achats des clients et à remplir leurs sacs – aux États-Unis, ce sont les caissiers qui emplissent les sacs – « autant de temps qu’il faudra, mes petits-enfants attendront ! ».

Sylvie Deroche, à New York

BETTY, 45 ANS, HÔTESSE D’ACCUEIL À CARREFOUR
35 heures par semaine 6 semaines de congé

Comme tout salarié français à temps plein, Betty travaille 35 heures par semaine, à raison de 7 ou 8 heures quotidiennes sur 5 jours. « J’ai l’obligation de faire une fermeture hebdomadaire ainsi qu’une soirée jusqu’à 20 heures », explique cette mère d’un garçon de 9 ans qui passe 2 heures dans sa voiture chaque jour, entre son domicile en Seine-et-Marne et le Carrefour d’Ivry. Pas de trou dans son emploi du temps, mais des horaires régulièrement modifiés en fonction des prévisions de clientèle. « La direction présente les prévisions 15 jours à l’avance. Il faut être toujours disponible si vous voulez évoluer dans votre carrière. » Impossible de grappiller quelques minutes par-ci, par-là. La hiérarchie exige un pointage au plus près de la prise de poste, pour éviter d’alimenter les heures supplémentaires. Les pauses sont rares dans la journée. Trente minutes pour déjeuner à la cafétéria, au milieu des clients. « Nous avons aussi le droit d’aller aux toilettes de temps à autre, mais les managers maintiennent une pression constante pour préserver la productivité. Carrefour ne veut pas payer les gens à ne rien faire. » Parfois, les managers demandent de rester 1 heure ou 2 de plus, en fonction des besoins. Des heures supplémentaires rarement payées. En théorie, la convention collective laisse à la caissière le choix de les récupérer ou de se les faire payer. « Mais, en pratique, le manager fait pression pour qu’on récupère. »

Argument massue de la hiérarchie : « On te fera travailler le dimanche. » Grâce à l’ancienneté et aux indemnités compensatrices prévues par la convention collective, le salaire mensuel de Betty atteint 1 200 euros net après 21 ans de présence. Pour 1 000 euros proposés aux nouveaux embauchés. « Nous avons perdu des avantages depuis quelques années. Il n’y a plus de prime de présence trimestrielle et les primes d’ancienneté ont été supprimées pour les nouveaux. » Restent encore les 6 semaines de congés payés pris en fonction des demandes des collègues et des besoins du service. Éric Béal

Auteur

  • Anne Fairise