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Un bas de laine bien tentant

Dossier | publié le : 01.03.2008 | Anne-Sophie Bellaiche, Sarah Delattre, Sabine Germain

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Un bas de laine bien tentant

Crédit photo Anne-Sophie Bellaiche, Sarah Delattre, Sabine Germain

Avec 94 milliards d’euros d’en-cours, l’épargne salariale se porte bien. Ses défenseurs critiquent le déblocage de la participation décidé au nom de la relance de la consommation et plaident pour l’extension des dispositifs à l’ensemble des entreprises.

La participation au secours du pouvoir d’achat et de la croissance par la relance de la consommation. En autorisant, par la « loi pour le pouvoir d’achat » du 8 février, les salariés à procéder à un déblocage exceptionnel de leur participation, à hauteur de 10 000 euros entre le 1er janvier et le 30 juin 2008, le gouvernement Fillon compte bien faire d’une pierre deux coups. Seul bémol, les sommes collectées au titre de la participation doivent théoriquement restées bloquées cinq ans pour être exonérées de charges fiscales et sociales. « Ce déblocage exceptionnel réduit à néant la contrepartie des exemptions de charges, fulmine Jean Conan, représentant de la CFE-CGC au sein du Comité intersyndical de l’épargne salariale (Cies). Ce qui donne la fâcheuse impression – aux salariés comme aux employeurs – que la participation est un genre de prime exonérée de charges. » Tout le contraire de la philosophie même de ce dispositif, qui a fêté l’an passé ses 40 ans : il s’agissait alors de permettre aux salariés de participer aux fruits de l’expansion de leur entreprise tout en se constituant une épargne. Et, compte tenu des menaces pesant sur les régimes de retraite par répartition, cette incitation à l’épargne à long terme avait une valeur pédagogique.

Un précédent en 2004. Inutile de dire que ce déblocage exceptionnel est mal perçu par les défenseurs de l’épargne salariale. « Nous avons engagé tout un travail pédagogique auprès des salariés pour leur faire prendre conscience de la nécessité d’épargner en vue de leur retraite, poursuit Jean Conan. En les autorisant régulièrement à débloquer cette épargne, on leur donne de mauvaises habitudes. » Du reste, le déblocage décidé en ce début d’année ne mérite plus vraiment le qualificatif d’exceptionnel : c’est le troisième depuis 2004. Or le moins que l’on puisse dire est que ces opérations n’ont pas vraiment atteint leur but. « Au second semestre 2004, un déblocage exceptionnel a été autorisé, se souvient Ephraïm Marquer, directeur de l’épargne salariale et de l’épargne retraite à l’Association française de la gestion financière (AFG). Résultat : sur les 56,8 milliards d’euros collectés cette année-là, 7,5 milliards ont été débloqués. Mais à peine 1,5 milliard d’euros ont été injectés dans la consommation. Les 6 milliards restants ont été réépargnés sur d’autres supports (Livret A ou produits d’assurance vie). Quant au 1,5 milliard d’euros réellement dépensé par les salariés, il a davantage contribué à la croissance chinoise qu’à l’économie française : cette hausse de la consommation s’est en effet traduite par un creusement du déficit commercial… »

De même, en 2005, la loi Breton a permis aux salariés de percevoir immédiatement leur montant annuel de participation. Sur les 6 milliards d’euros distribués cette année-là au titre de la participation, 800 millions ont été débloqués (soit 14 %). « On sait que ça ne marche pas mais on s’entête », sourit Ephraïm Marquer. Probablement parce que c’est, à l’heure actuelle, le seul moyen de donner un coup de pouce au pouvoir d’achat. « Ce type de mesure ne répond à aucune demande, ajoute Jean-Jacques Guille, représentant de la CFDT au sein du Cies. Toutes les parties prenantes sont contre : les syndicats de salariés, les employeurs et les partenaires financiers, qui ont avant tout besoin de visibilité à long terme pour gérer au mieux ces en-cours. On se demande pourquoi les gouvernements s’obstinent à sortir régulièrement cette mesure de leur chapeau… » « Ponctionner dans un volant d’épargne voisin de 100 milliards d’euros pour stimuler la consommation des ménages peut être tentant, répond pour sa part Pierre Havet, animateur du groupe de travail épargne salariale à l’Association nationale des DRH (ANDRH). Mais cela constitue un dangereux contresens. »

Sévères à l’égard de ces décisions purement conjoncturelles, les observateurs sont plus sensibles à la volonté affichée par Nicolas Sarkozy lors de sa conférence de presse du 8 janvier de « favoriser le doublement, voire le triplement de la réserve de participation des salariés ». Un chef de l’état qui s’est également engagé à « créer les dispositions réglementaires et fiscales pour que la participation et l’intéressement puissent s’étendre à toutes les entreprises, même celles de moins de 50 salariés ». À ce jour, moins de 10 % des salariés de ces PME sont couverts par un accord d’intéressement ou de participation. Ce qui laisse 5,7 millions de salariés privés de toute forme d’épargne salariale : ni participation ni intéressement, encore moins de plan d’épargne d’entreprise ou de Perco (voir lexique ci-contre) afin d’assurer leur avenir… « Pour les bas salaires, l’épargne salariale est la seule forme d’épargne possible », commente Jean-Jacques Guille. « Elle aide le salarié à préparer sa retraite ou à amorcer un achat immobilier, inenvisageable sans cette réserve », ajoute Jean Conan, qui voit aussi dans l’épargne salariale « une façon de placer salariés, dirigeants et actionnaires dans une logique commune ».

C’est pourquoi les syndicats de salariés plaident, aujourd’hui plus que jamais, en faveur d’un élargissement de ce dispositif : « En 1967, à sa création, la participation n’a été rendue obligatoire que dans les entreprises de plus de 100 salariés, rappelle Ephraïm Marquer. En 1990, le périmètre a été élargi aux entreprises de plus de 50 salariés. » « Il n’y a aucune raison que les entreprises de plus de 30 salariés n’aient pas les mêmes obligations que les entreprises de plus de 50 salariés, note Jean Conan. Les employeurs ne cessent de se plaindre des effets pervers des seuils : si l’on doit abolir les effets de seuil, pourquoi cela ne se ferait-il pas dans les deux sens ? » Jean-Jacques Guille va encore plus loin en réclamant un élargissement de l’épargne salariale aux entreprises de plus de 20 salariés : « On en parle depuis longtemps, mais on ne voit rien venir. C’est pourtant là que réside la vraie rupture : il sera difficile d’étendre le nombre de ses bénéficiaires si l’on n’a pas le courage politique d’abaisser ce seuil. Or le Medef traîne les pieds. Comme si les PME n’avaient pas vraiment envie de partager leurs profits. »

Signe tangible des difficultés du dialogue social autour de l’épargne salariale, le Conseil supérieur de la participation, qui est censé, depuis sa création, en 1994, se réunir deux fois par an, n’a pas siégé depuis avril 2006. « Il n’a même pas été consulté quand le dernier déblocage exceptionnel de la participation a été décidé », ironise Jean-Jacques Guille.

À défaut de véritable concertation, une gouvernance de l’épargne salariale s’est mise en place : en créant le Comité intersyndical de l’épargne salariale en 2002, les partenaires sociaux ont fait un sérieux ménage dans l’offre des gestionnaires de fonds. « Aujourd’hui, on peut dire que les fonds d’épargne salariale – y compris les Perco, dont la mise en place a posé quelques problèmes – sont globalement bien gérés, estime Jean Conan. La tenue de compte s’est professionnalisée en même temps qu’elle s’est industrialisée. Avec cinq opérateurs principaux, je crois que le marché a atteint le bon niveau de concentration. » Le Cies reste toutefois vigilant : il a mis au point un label et encourage le recours aux fonds socialement responsables. « Nous sommes également prêts à accompagner les PME dans la mise en place d’un plan d’intéressement ou de participation », poursuit Jean Conan. Une démarche dont l’ANDRH se félicite : « L’offre s’est étoffée et modernisée, une gouvernance s’est installée, constate Pierre Havet, animateur du groupe de travail épargne salariale de l’association. Il est temps que les DRH, qui ont trop longtemps négligé la communication autour de l’épargne salariale, assument leur mission pédagogique. Souhaitons également que l’on sache résister à la tentation de modifier les règles du jeu en cours de partie : l’épargne salariale a besoin de stabilité juridique, sociale et fiscale pour se développer. » Tous les acteurs de l’épargne salariale – employeurs, salariés et gestionnaires de fonds – sont au moins d’accord sur ce point.

S. G.

Plans et fonds en tout genre

PEE (plan d’épargne d’entreprise) : dispositif mis en place par une entreprise pour encourager ses salariés à épargner. L’employeur peut décider d’abonder les versements des salariés.

Pere (plan d’épargne retraite d’entreprise) : institué par la loi Fillon de 2003, il permet à une entreprise d’accompagner ses salariés dans la constitution d’une épargne retraite via un contrat d’assurance souscrit par l’entreprise sur lequel les salariés peuvent effectuer des versements.

Perco (plan d’épargne pour la retraite collectif) : dispositif d’épargne collectif facultatif mis en place au niveau de l’entreprise sur une période longue (au moins dix ans).

Il peut être alimenté par des versements volontaires des salariés, un abondement de l’employeur ou des transferts en provenance d’autres plans (PEE ou compte épargne temps, par exemple).

FCPE (fonds commun de placement d’entreprise) : créé pour gérer les fonds constitués au sein d’une entreprise au titre de l’intéressement, de la participation ou des versements volontaires des salariés sur leur PEE ou leur Perco.

Auteur

  • Anne-Sophie Bellaiche, Sarah Delattre, Sabine Germain